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De quel réel cette crise est-elle le spectacle ?

Publie le lundi 20 octobre 2008 par Open-Publishing
10 commentaires

de Alain Badiou

Telle qu’on nous la présente, la crise planétaire de la finance ressemble à un de ces mauvais films concoctés par l’usine à succès préformés qu’on appelle aujourd’hui le “cinéma”. Rien n’y manque, y compris les rebondissements qui terrorisent : impossible d’empêcher le vendredi noir, tout s’écroule, tout va s’écrouler…

Mais l’espoir demeure. Sur le devant de la scène, hagards et concentrés comme dans un film catastrophe, la petite escouade des puissants, les pompiers du feu monétaire, les Sarkozy, Paulson, Merkel, Brown et autres Trichet, engouffrent dans le trou central des milliers de milliards. “Sauver les banques !” Ce noble cri humaniste et démocratique jaillit de toutes les poitrines politiques et médiatiques. Pour les acteurs directs du film, c’est-à-dire les riches, leurs servants, leurs parasites, ceux qui les envient et ceux qui les encensent, un happy end, je le crois, je le sens, est inévitable, compte tenu de ce que sont aujourd’hui et le monde, et les politiques qui s’y déploient.

Tournons-nous plutôt vers les spectateurs de ce show, la foule abasourdie qui entend comme un vacarme lointain l’hallali des banques aux abois, devine les week-ends harassants de la glorieuse petite troupe des chefs de gouvernement, voit passer des chiffres aussi gigantesques qu’obscurs, et y compare machinalement les ressources qui sont les siennes, ou même, pour une part très considérable de l’humanité, la pure et simple non-ressource qui fait le fond amer et courageux à la fois de sa vie. Je dis que là est le réel, et que nous n’y aurons accès qu’en nous détournant de l’écran du spectacle pour considérer la masse invisible de ceux pour qui le film catastrophe, dénouement à l’eau de rose compris (Sarkozy embrasse Merkel, et tout le monde pleure de joie), ne fut jamais qu’un théâtre d’ombres.

On a souvent parlé ces dernières semaines de “l’économie réelle” (la production des biens). On lui a opposé l’économie irréelle (la spéculation) d’où venait tout le mal, vu que ses agents étaient devenus “irresponsables”, “irrationnels”, et “prédateurs”. Cette distinction est évidemment absurde. Le capitalisme financier est depuis cinq siècles une pièce majeure du capitalisme en général. Quant aux propriétaires et animateurs de ce système, ils ne sont, par définition, “responsables” que des profits, leur “rationalité” est mesurable aux gains, et prédateurs, non seulement ils le sont, mais ont le devoir de l’être.

Il n’y a donc rien de plus “réel” dans la soute de la production capitaliste que dans son étage marchand ou son compartiment spéculatif. Le retour au réel ne saurait être le mouvement qui conduit de la mauvaise spéculation “irrationnelle” à la saine production. Il est celui du retour à la vie, immédiate et réfléchie, de tous ceux qui habitent ce monde. C’est de là qu’on peut observer sans faiblir le capitalisme, y compris le film catastrophe qu’il nous impose ces temps-ci. Le réel n’est pas ce film, mais la salle.

Que voit-on, ainsi détourné, ou retourné ? On voit, ce qui s’appelle voir, des choses simples et connues de longue date : le capitalisme n’est qu’un banditisme, irrationnel dans son essence et dévastateur dans son devenir. Il a toujours fait payer quelques courtes décennies de prospérité sauvagement inégalitaires par des crises où disparaissaient des quantités astronomiques de valeurs, des expéditions punitives sanglantes dans toutes les zones jugées par lui stratégiques ou menaçantes, et des guerres mondiales où il se refaisait une santé.

Laissons au film-crise, ainsi revu, sa force didactique. Peut-on encore oser, face à la vie des gens qui le regardent, nous vanter un système qui remet l’organisation de la vie collective aux pulsions les plus basses, la cupidité, la rivalité, l’égoïsme machinal ? Faire l’éloge d’une “démocratie” où les dirigeants sont si impunément les servants de l’appropriation financière privée qu’ils étonneraient Marx lui-même, qui qualifiait pourtant déjà les gouvernements, il y a cent soixante ans, de “fondés de pouvoir du capital” ? Affirmer qu’il est impossible de boucher le trou de la “Sécu”, mais qu’on doit boucher sans compter les milliards le trou des banques ?

La seule chose qu’on puisse désirer dans cette affaire est que ce pouvoir didactique se retrouve dans les leçons tirées par les peuples, et non par les banquiers, les gouvernements qui les servent et les journaux qui servent les gouvernements, de toute cette sombre scène. Je vois deux niveaux articulés de ce retour du réel. Le premier est clairement politique. Comme le film l’a montré, le fétiche “démocratique” n’est que service empressé des banques. Son vrai nom, son nom technique, je le propose depuis longtemps, est : capitalo-parlementarisme. Il convient donc, comme de multiples expériences depuis vingt ans ont commencé à le faire, d’organiser une politique d’une nature différente.

Elle est et sera sans doute longtemps très à distance du pouvoir d’Etat, mais peu importe. Elle commence au ras du réel, par l’alliance pratique des gens les plus immédiatement disponibles pour l’inventer : les prolétaires nouveaux venus, d’Afrique ou d’ailleurs, et les intellectuels héritiers des batailles politiques des dernières décennies. Elle s’élargira en fonction de ce qu’elle saura faire, point par point. Elle n’entretiendra aucune espèce de rapport organique avec les partis existants et le système, électoral et institutionnel, qui les fait vivre. Elle inventera la nouvelle discipline de ceux qui n’ont rien, leur capacité politique, la nouvelle idée de ce que serait leur victoire.

Le second niveau est idéologique. Il faut renverser le vieux verdict selon lequel nous serions dans “la fin des idéologies”. Nous voyons très clairement aujourd’hui que cette prétendue fin n’a d’autre réalité que le mot d’ordre “sauvons les banques”. Rien n’est plus important que de retrouver la passion des idées, et d’opposer au monde tel qu’il est une hypothèse générale, la certitude anticipée d’un tout autre cours des choses. Au spectacle malfaisant du capitalisme, nous opposons le réel des peuples, de l’existence de tous dans le mouvement propre des idées. Le motif d’une émancipation de l’humanité n’a rien perdu de sa puissance. Le mot “communisme”, qui a longtemps nommé cette puissance, a certes été avili et prostitué.

Mais, aujourd’hui, sa disparition ne sert que les tenants de l’ordre, que les acteurs fébriles du film catastrophe. Nous allons le ressusciter, dans sa neuve clarté. Qui est aussi son ancienne vertu, quand Marx disait du communisme qu’il “rompait de la façon la plus radicale avec les idées traditionnelles” et qu’il faisait surgir “une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous”.

Rupture totale avec le capitalo-parlementarisme, politique inventée au ras du réel populaire, souveraineté de l’idée : tout est là, qui nous déprend du film de la crise et nous rend à la fusion de la pensée vive et de l’action organisée.

http://www.lemonde.fr/opinions/arti...

Messages

  • Long et verbeux, pour balancer des évidences que tout le monde ici connaît et a creusé un peu plus.

    Badiou se la pète.

    Soleil Sombre

  • Avec ING et la Caisse d’Epargne, la crise bancaire continue de sévir

    par Philippe Béchade

    Lundi 20 Octobre 2008

    ** Le Forum de l’Investissement, qui se déroulait au Palais des Congrès de Paris (et où l’équipe de MoneyWeek animait un stand avec beaucoup de bonne humeur et de curiosité vis-à-vis des réactions des lecteurs à hebdomadaire économique le plus atypique du marché), m’a laissé une drôle d’impression.

    Cela a commencé dès mon arrivée samedi, peu avant l’heure du déjeuner. J’avais garé mon scooter en face de l’hôtel Méridien Porte Maillot, et j’ai constaté que le restaurant L’Orénoc était désert ; mais où était donc passée la clientèle étrangère qui déjeune d’ordinaire très tôt avant d‘aller faire son shopping ?

    J’ai traversé le boulevard Gouvion-Saint-Cyr pour gagner le Palais des Congrès par une entrée donnant accès aux galeries commerciales... avant de remonter 10, 15, 20 boutiques en direction du grand hall – en constatant qu’elles étaient toutes désertes, à part l‘agence Air France où une poignée de clients étaient en train de se faire enregistrer... il était 11h45.

    Je vous résumerai dans le prochain chapitre l’essentiel des conversations — parfois inattendues (ô combien) — que j’ai pu glaner de stand en stand en jouant les Candide... mais je voudrais en terminer avec l’ambiance "creux du mois d’août" régnant dans le quartier de la porte Maillot samedi. En repartant, vers 16h, je suis passé saluer une amie gérant un complexe de cinéma multisalles ordinairement très fréquenté le week-end. Verdict sans appel : "j’ai fait 40% de tickets en moins cette semaine... et en confiserie/pop-corn le chiffre d’affaires est en chute libre de 50%".

    Peut-être que le riant soleil qui brillait sur l’ouest parisien avait attiré plus de public dans les espaces verts que dans les galeries commerciales et les salles obscures... mais il n’est pas interdit de penser qu’à force de multiplier les gros titres au sujet de la crise, de la comparer à la grande dépression de 1929, la sinistre prophétie qui fait la une des médias ne soit dangereusement auto-réalisatrice.

    ** Mais revenons-en au Forum de l’Investissement. Il semblerait que les discours apaisants concernant la conjoncture économique ne soient plus dans l’air du temps.

    Les anticipations des professionnels présents sur le salon s’échelonnent entre une récession autour de -0,2% à -0,5% l’an prochain — si les pays émergents sauvegardent 60% à 70% de leur croissance actuelle — et une dépression économique d’une profondeur comparable à celle qu’ont connu les pays asiatiques en 1997, la Russie en 1998 ou l’Argentine en 2002 (Singapour subit déjà une contraction historique de 6% de son PIB).

    Partant des hypothèses les plus sombres, les professionnels n’écartent pas des scénarios-catastrophe tels que la division par quatre (par rapport à octobre 2007) de la valeur des indices boursiers d’ici un an. Ils n’excluent pas non plus l’anéantissement d’une part significative de l’épargne des particuliers malgré toutes les garanties annoncées par les différents états... mais ceux-ci ont-ils réellement les moyens financiers de faire face ?

    L’annonce d’une recapitalisation d’ING à hauteur de 10 milliards d’euros par le gouvernement néerlandais semble démontrer que le système bancaire européen n’est pas au bout de ses déconvenues. Par ailleurs, la rumeur de faillite d’une banque régionale allemande (un scénario totalement exclu par Angela Merkel 15 jours auparavant) devrait peser sur le compartiment financier à Francfort au cours des prochaines heures.........

    http://www.la-chronique-agora.com/articles/20081020-1278.html

    • "les professionnels n’écartent pas des scénarios catastrophes..." bla bla bla "les états..." bla bla bla C’est sûr que non seulement les états ne vous protégerons de rien mais qu’en plus ils n’attendent qu’une seule chose, c’est de vous entuber bande de naïfs. Sautons dans la rue pour dégager tous ces vautours avant qu’il soit trop tard. Grève générale et inventons ensemble l’avenir au lieu de crever à petit feu.

  • Cher Bellaciao,

    un petit mot pour une petite faveur, si c’est possible.

    Pourriez, s’il vous plait, cesser de mettre des photos obsènes telle que celle qui illustre cet article. Depuis plusieurs mois, je souffre d’une maladie grave : un rejet sarkozyste.

    Cette nouvelle maladie m’est apparu suite à une sur-exposition au sus-nommé. Je ne peux ni lire, ni voir, ni entendre la moindre référence sans être pris d’une sérieuse nausée. Le fait même d’évoquer le nom de cette maladie me coûte énormément.

    Je vous serais gré de bien vouloir faire un geste, si tant est que ce soit encore possible de trouver un lieu d’information qui ne fasse pas état de cette personne.

    Je tiens toutefois à souligner que l’évocation du clebs de l’état par divers sobriquet atténue fortement les effets indésirables de ma maladie.

    Merci de votre attention et bonne continuation.

    Pitchounet.

    • D’autant que pour l’aversion à cette photo,tu n’es pas le seul Pitchounet. Pour ma part ce traumatisme va même jusqu’à me coller de l’urticaire. D’aucuns prétendent même que je frôle l’érésipèle. De toute façon je souffre d’hérésie c’est sur, en effet je suis totalement hérétique aux idées du personnage de la photo en question. Est-ce que ça se soigne ?

    • Mon cher Pitchounet, je suis dans le même cas que toi lorsque je vois cet énergumene et non seulement ça me met la nausée mais en plus le seul fait d’entendre sont nom me met des boutons sur tout le corps, alors ensemble demandons a Bellaciao de ne plus publier des photos de cet affreux négus et ce pour le bien de l’humanité toute entière.

      Varenne louis

  • Alain Badiou,une fois encore,merci à lui !
    Il survivra à toutes les baudruches .. ; qui ne le ménagent pas dans le "microcosme"...
    C’est sûr qu’il n’est ni Minc,ni Marseille... de plus il est philosophe(pas sociologue)"c’est pour ça qu’on l’aime"
    Et il sait que défendre la Laîcité c’est indissociable !

  • Putain,vous en foutez un bordel pour une photo !

    Tout ça pour un mec qui demande "2 doigts" de vodka à POUTINE !

    LE REBOURSIER