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Del Boca : "Colonies italiennes, un mythe qui fait rire"
Publie le samedi 30 septembre 2006 par Open-Publishing
L’historien piémontais commente les déclarations de l’ex vice-premier, qui remettent en valeur l’occupation fasciste en Libye et dans le Corne d’Afrique
de Vittorio Bonanni traduit du français par karl&rosa
"Il est surprenant qu’un personnage de la taille de Fini, qui a été entre autre aussi ministre des Affaires étrangères, puisse faire des déclarations pareilles sur nos ex-colonies". C’est Angelo Del Boca, journaliste, historien, l’un des plus grands connaisseurs du colonialisme italien, qui commente les paroles du leader de Alleanza Nazionale, selon lequel les pays africains colonisés par l’Italie se trouveraient maintenant dans des conditions pires que celles des années Trente.
Pourquoi êtes-vous surpris ?
Parce que, à cause du rôle qu’il a eu, il doit avoir une connaissance historique et politique des évènements. De pareils commentaires je peux les justifier si c’est un pauvre bougre qui les fait, sans aucune culture, aucune instruction et surtout sans charges politiques. Mais cet homme est le secrétaire du troisième parti italien ! C’est vraiment incroyable.
Les déclarations de Fini sont encore plus graves si nous considérons le scénario actuel...
En effet j’imagine ce que sera, hélas, la réaction de Kadhafi à un moment où il semble que cela ne vaille vraiment pas la peine d’utiliser le fer brûlant des blessures coloniales. Et je crois que Meles Zenawi, le premier ministre éthiopien, ne sera pas heureux lui non plus. Dire ces choses dans des moments si difficiles pour notre pays aussi, c’est vraiment inopportun. Surtout si nous considérons que, pour une raison ou pour une autre, nos rapports avec nos ex-colonies ne sont pas très simples.
Nous sommes dans l’embarras vis-à-vis de l’Ethiopie et de l’Eritrée parce qu’il s’agit de deux pays, justement de nos ex-colonies, qui se sont fait face militairement et qui, encore aujourd’hui, n’ont pas normalisé leurs relations. Avec la Libye nous avons même le problème, encore ouvert, des dédommagements coloniaux, résolu avec le roi Idris mais d’une manière bricolée. Kadhafi nous demande maintenant un effort énorme, celui de réaliser une autoroute côtière. Or, si nous disons les choses que nous avons dites, je ne crois pas que nous puissions trouver une solution à ces problèmes. A moins que ces affirmations ne soient faites pour mettre en difficulté la majorité.
En tout cas il s’agit de déclarations malheureuses qui ne font que confirmer comment dans l’ADN de Alleanza Nazionale il y ait encore des éléments de fascisme. Qu’en pensez-vous, professeur ?
J’ai toujours eu de grands doutes sur le tournant de Fiuggi et sur les voyages de Fini à Jérusalem pour battre sa coulpe. Parce qu’en réalité d’autres épisodes, certaines manifestations, d’autres symboles toujours exhibés, donnent toujours l’impression que malgré quelques changements superficiels, comme vous le dites justement, l’ADN est toujours le même. Et ces déclarations le font sûrement penser encore plus.
En entrant dans le détail, non seulement la comparaison que fait Fini entre la situation actuelle des ex-colonies italiennes et celle de l’époque n’a aucune scientificité historique, mais le leader de Alleanza Nazionale oublie, ou veut oublier, les modalités avec lesquelles la colonisation a eu lieu. Vous, professeur, vous l’avez rappelé plusieurs fois...
Nos conquêtes ont coûté à l’Afrique cinq cent mille morts. Et récemment j’avais suggéré aussi de célébrer une « journée de la mémoire », une idée qui n’a pas encore été reprise, mais je l’espère parce que c’est un devoir que nous avons envers ces personnes.
Parmi tant d’épisodes terribles je veux en rappeler deux : la réaction indiscriminée à l’attentat à Graziani de 1937, qui provoqua entre trois mille et trente mille morts. Et ensuite l’autre grand massacre de diacres et de prêtres de la ville conventuelle de Debrà Libanos. Dans ce cas aussi il n’y avait aucune certitude que l’attentat eût été préparé dans ce lieu situé à cent cinquante kilomètres d’Addis Abeba. Et pourtant c’est tellement vrai que Graziani voulut sa vengeance, que le soir même du massacre, en télégraphiant à Mussolini, il dit : « Nous avons tué quatre cent quarante neuf prêtres et moines et cela va mettre sûrement l’église chrétienne orthodoxe dans une telle situation qu’elle n’aura plus le courage de s’opposer à nous ». Graziani rapportait en réalité un chiffre très erroné, parce que deux de mes chercheurs des universités de Nairobi et d’Addis Abeba, qui ont fait des campagnes de fouilles et recueilli des témoignages, ont découvert que les morts furent entre un minimum de mille six cent et un maximum de deux mille deux cent. Et puis n’oublions pas que, outre la liberté, nous n’avons pas donné d’école, parce que le maximum que l’indigène pouvait fréquenter étaient cinq ans d’école élémentaire, le minimum qui servait pour recevoir des ordres, pas pour en donner ; et les hôpitaux étaient surtout pour les blancs. Sans oublier l’emphase sur le réseau routier de l’Ethiopie. On divague sur cet ouvrage sans dire qu’il fut réalisé dans des buts militaires, pour déplacer rapidement une division d’une frontière à l’autre. Il avait été fait dans ce but, certainement pas pour le passage des troupeaux éthiopiens. Ces histoires sont devenues désormais des mythes, qui font rire, et qui font rire surtout dans la bouche d’un ex-ministre des Affaires étrangères.