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Des femmes mariées se cachent pour se mettre sous contraception

Publie le mercredi 3 août 2005 par Open-Publishing
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De Fulgence Zamblé, Abidjan

"Une trentaine de femmes à Daloa jouent à cache-cache avec leur mari, pour se mettre sous contraceptif", révèle Fatouma Touré, une sage-femme de l’Association ivoirienne pour le bien-être familial (AIBEF) à Daloa, une ville du centre-ouest de la Côte d’Ivoire.

Selon Touré, ces femmes, musulmanes en majorité, gardent chez elles leurs cartes de consultation et viennent rapidement à la clinique AIBEF, le plus souvent entre deux courses, le jour du rendez-vous, pour se ravitailler en pilules contraceptives ou se faire injecter. L’AIBEF conseille et assiste les femmes à planifier les naissances pour une meilleure santé de la reproduction.

"Elles courent se faire consulter quand elles vont au marché ou elles trouvent un argument pour ne pas que leur mari le sache", a expliqué à IPS, la sage-femme. Touré a donné l’exemple d’une jeune dame de 28 ans, mère de sept enfants "fanée, épuisée et pas du tout épanouie" qui, ne pouvant pas rejeter son mari au lit, s’est fait poser en cachette un stérilet (un dispositif contraceptif introduit dans l’utérus d’une femme).

Elles le font en cachette pour espacer les grossesses. Sachant qu’il est difficile de convaincre directement leurs époux, ces femmes optent pour le cache-cache, explique Touré. Mais c’est en partie à cause de la religion que leurs maris s’opposent à la contraception, estimant que c’est une pratique contraire à l’islam.

Ces informations ont été communiquées il y a quelques semaines par Touré à la Cellule des femmes des médias engagées dans la lutte contre le VIH/SIDA (CFMS), lors d’une campagne de sensibilisation contre la pandémie, à Daloa, une ville située à 300 kilomètres au nord d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. La CFMS est une association non gouvernementale regroupant des femmes journalistes, animatrices, reporters photographes et des réalisatrices issues de la presse ivoirienne.

En Côte d’Ivoire, la prévalence contraceptive est estimée à 16,5 pour cent, toutes méthodes confondues (traditionnelles et modernes) ; et à 5,7 pour cent pour les méthodes modernes seules. Parmi les personnes utilisant des méthodes modernes, 2,5 pour cent prennent la pilule ; 0,7 pour cent les injections ; 1,9 pour cent le préservatif et 0,6 pour cent les autres méthodes, selon les statistiques de l’Institut national de santé publique.

Confrontées à l’exigence traditionnelle qui recommande à la femme d’être soumise à l’homme et de lui donner autant d’enfants qu’il souhaite, elles optent désormais pour des méthodes contraceptives appliquées à l’insu de leurs maris.

"Je suis à mon troisième enfant en six ans. Il est difficile de parler d’espacement des naissances avec mon mari. Je souhaite parfois que les campagnes dans ce sens soient menées jusque dans les domiciles. S’il ne tient qu’à nous, il sera difficile de convaincre nos hommes", raconte avec amertume à IPS, S.D, jeune femme ménagère de 27 ans, reçue en consultation dans une maternité d’Abobo, un quartier populaire d’Abidjan.

Selon S.D., les maris n’évoquent généralement aucunement une raison médicale pour s’opposer à la contraception. Leur seule volonté est d’avoir des enfants. Huguette Yao, la responsable d’un centre de Protection maternelle et infantile, explique à IPS : "Je viens de recevoir une nouvelle accouchée de deux semaines qui a perdu son bébé. Elle s’est mise sous pilule, car elle ne doit pas dire non à son mari".

"J’ai essayé de lui faire comprendre que son organisme n’est pas encore prêt pour les contraceptifs, encore moins les rapports sexuels, mais finalement, je lui ai donné satisfaction, car il fallait choisir le moindre mal qui est ne pas tomber enceinte", a-t-elle confié à IPS, montrant les carnets des personnes consultées depuis le début de l’année.

L’utilisation de la contraception, dont le préservatif, n’est certes plus un sujet tabou dans les foyers africains. Mais très peu de femmes ivoiriennes font usage du préservatif, ce qui les expose au VIH/SIDA, selon la CFMS.

Sur une population estimée à plus de 15 millions d’habitants, la Côte d’Ivoire compte 8,100 millions de femmes. Mais sur dix personnes infectées par le VIH, six sont des femmes, selon le Programme national de lutte contre le SIDA (PNLS).

Selon le Réseau ivoirien des personnes vivant avec le VIH/SIDA (RIP+), au moins 12 pour cent de la population en Côte d’Ivoire est infectée par le virus du SIDA, soit près de 1,5 million de personnes.

En 1993, le PNLS avait estimé que 9,8 pour cent de la population - âgée de plus de 15 ans - était séropositif. Le taux actuel de prévalence du VIH de 12 pour cent fait de la Côte d’Ivoire le pays le plus touché de l’Afrique de l’ouest, et l’un des pays les plus touchés en Afrique subsaharienne, ajoute le PNLS.

"Nous ne pouvons plus continuer de travailler en ignorant que plus de 40 pour cent des lits hospitaliers sont occupés par des malades du SIDA", avait déclaré le ministre ivoirien de la Santé et de la Population, Mabri Toikeusse, en octobre 2003, face aux médecins de la région du Moyen Comoé, dans l’est du pays.

Les chiffres officiels sur le taux de prévalence en Côte d’Ivoire font craindre véritablement le pire pour l’avenir socio-économique de ce pays qui est encore divisé en deux depuis l’insurrection armée du 19 septembre 2002, selon des analystes à Abidjan.

Aujourd’hui, seulement 2.500 personnes, soit 0,5 pour cent, ont accès aux traitements anti-rétroviraux (ARV) qui coûtent entre 100 et 160 dollars par mois, alors que la population la plus touchée par la maladie est également la plus démunie, selon le PNLS.

Ce qui avait conduit le RIP+ à lancer une requête pour une aide en faveur des malades. Selon le RIP+, plus du tiers des personnes vivant avec le VIH, soit près de 500.000 personnes, ont actuellement besoin d’un traitement ARV en Côte d’Ivoire.

La Cellule des femmes des médias engagées dans la lutte contre le VIH/SIDA (CFMS) a également lancé une campagne, sous le thème : "Femmes, je dis non au VIH/SIDA". Lancée pour la période du 4 mars au 30 septembre 2005, cette campagne se poursuit et vise à lutter contre la féminisation du fléau.

En effet, "de cinq hommes séropositifs pour une femme au début de l’infection à VIH en Côte d’Ivoire en 1988, on est passé à un homme infecté pour plus d’une femme infectée", a déploré Viviane Mouhi, journaliste et membre de la CFMS, dans un entretien avec IPS, lundi (1er août) à Abidjan.

Rose Doudou, la présidente de l’Association des femmes vivant avec le VIH/SIDA, dénommée ’AMEPOUH’, partage l’engagement de la CFSM dans cette campagne. "Les femmes sont souvent exposées à la maladie. Et cela en rapport avec de nombreux facteurs, dont la tradition et la religion".

"Notre volonté à nous est de porter le message de la sensibilisation jusqu’à ce que certains foyers comprennent la nécessité de la contraception et de la protection" a-t-elle déclaré à IPS, tout en lançant un appel au soutien des organisations internationales qui mènent le même combat contre la pandémie. (IPS)

http://fr.allafrica.com/stories/200...

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