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Des sans-papiers condamnés avant d’être jugés

Publie le lundi 14 février 2005 par Open-Publishing
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Communiqué du collectif de soutien aux étrangers « pré-jugés"

Nous portons à votre connaissance, à travers les deux documents joints*, un évènement révoltant qui réduit à néant les droits de la défense. Ami(e)s, proches et familles d’étrangers sans-papiers, avons été les témoins
abasourdis d’une parodie de justice où le verdict « motivé » du juge est rendu avant même qu’aient lieu les débats.

Dans notre pays, le droit des étrangers, déjà squelettique, a été totalement
bafoué le 8 février 2005 au Tribunal Administratif de Paris par le juge
Braud. Si cet incident est en lui même inadmissible, il n’est pas isolé, et
nous nous apercevons que d’autre dysfonctionnements viennent se greffer à
chaque moment de la procédure (document fallacieux de la Préfecture de
Police de Paris faisant état de refus de remplir une demande d’asile
politique, alors que les papiers n’ont jamais été remis à l’intéressé).

Ne laissons pas ce genre de dérive prendre de l’ampleur, il y va de la sauvegarde de l’Etat de droit. Ensemble soyons vigilants pour donner un coup d’arrêt définitif à cette atteinte aux libertés fondamentales.

Nous demandons l’annulation des décisions de justice prises de manière non-équitable et la libération des étrangers sans papiers qui ont fait l’objet de ce pré-jugement.

Le collectif appelle chaque organisation, syndicat, association, collectif etc. à s’exprimer et à nous envoyer une lettre de soutien.

Merci de les adresser à :

collectifprejuges@yahoo.fr

ou à KATZ 15 Allée de la vigne 92350 Le Plessis Robinson

« C’EST UNE PARODIE de justice ! » Les avocats qui assistaient hier matin à
une séance du tribunal administratif de Paris étaient ébahis : sept des dix
sans-papiers pour qui cette audience était l’ultime recours avant d’être
reconduits à la frontière ont vu leur demande rejetée... et ce bien avant
que leurs avocats ne défendent et ne plaident leur cause devant le juge. Ce
matin-là, comme à leur habitude, M e s Fabien Ndoumou, Aminata Nianghane et
Irène Terrel se rendaient au tribunal pour défendre la cause de leurs
clients. « En salle d’audience, quelques minutes avant que la séance ne
débute, j’ouvre le dossier de mon client que m’avait confié le greffier,
raconte M e Irène Terrel. C’est alors que je tombe sur les feuilles
contenant le jugement : il y était inscrit noir sur blanc que sa requête
était rejetée. » Une main maladroite avait glissé dans les dossiers de
chaque sans-papiers le jugement qui aurait été rédigé plusieurs jours avant
par le président du tribunal. Sur ces feuilles que nous avons pu examiner,
on peut lire la décision écrite à la main de refus d’annulation des arrêtés
de reconduite à la frontière, précédée de longs paragraphes qui motivent le
jugement.

« Une pratique courante » Indignés, les trois avocats ont interpellé en
pleine audience le président présumé auteur de ces jugements. « Nous
demandons l’annulation de la procédure, s’exclame M e Nboemou en agitant les
feuilles compromettantes qui préjugeaient trois de ses cinq clients. Nous
avons la preuve que vous aviez déjà pris votre décision, c’est une mascarade
à laquelle nous refusons d’assister. » Stoïque, le juge répond sans hausser
le ton. « Ces documents sont-ils signés ou non ? demande-t-il. S’ils ne le
sont pas, ils ne peuvent pas être considérés comme des décisions
complètes. »

L’argument fait mouche car en bas du document, au lieu de la
signature, seul le nom du juge est inscrit à la main. « On peut demander une
expertise pour vérifier qu’il s’agit bien de votre écriture », riposte M e
Terrel. Un brouhaha envahit la salle, les trois quarts de l’assistance
sortent. Jean, venu soutenir la cause d’un des sans-papiers qui aurait dû
être jugé, refuse de sortir. « C’est écoeurant ! Tout ce décorum pour en
arriver à du toc ! » lance-t-il avant d’être évacué par les policiers. Le
président finit par renvoyer les affaires défendues par les trois avocats.
Outrée, Claude n’en croit pas ses oreilles. « J’étais venue apporter mon
soutien à Moussa, membre de l’opposition démocratique en Guinée, résidant en
France depuis 2001 avec toute sa famille, explique-t-elle. Comment après
tout cela faire confiance à la justice ? »

Un avocat, venu pour une tout
autre affaire, assiste à la scène sans vraiment s’étonner. « Rédiger à
l’avance la quasi-totalité du jugement et ses motivations est une pratique
courante ici et ailleurs, glisse-t-il. Mais le magistrat ne signe pas le
document tant qu’il n’a pas entendu la défense au cas où un argument choc
viendrait changer sa décision. » Pratique courante ou non, les avocats ont
saisi l’Ordre des avocats avec l’intention de s’adresser à la Cour
européenne de justice.

Géraldine Doutriaux

Le Parisien , mercredi 09 février 2005

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