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Deuxième édition du festival de films documentaires féministes

Publie le vendredi 17 septembre 2004 par Open-Publishing

Femmes en résistances... au capitalisme !

Thématique de la deuxième édition du festival de films documentaires féministes d’Arcueil

Pour sa deuxième année consécutive, le festival " Femmes en résistances " se propose d’explorer les luttes des femmes dans le domaine " économique ". Le capitalisme a des conséquences non moins dramatiques pour les femmes que la guerre, thème qui fut exploré lors de la première édition du festival. La guerre et la violence envers les femmes font d’ailleurs partie de l’arsenal des moyens du capitalisme pour s’imposer comme système économique unique à l’ensemble de la planète. Cependant, cet arsenal est multiple. Le mythe du développement par rattrapage qu’évoque Maria Mies (1999) (1) fait aussi partie de cet arsenal : il est " basé sur une compréhension évolutionniste et linéaire de l’histoire, certains ont déjà atteint le sommet de l’évolution, dont les hommes en général et en particulier les hommes blancs, les pays industrialisés, les citadins. Les "autres" - les femmes, les gens de couleurs, les pays "sous-développés", les paysans - atteindront aussi ce sommet avec un peu plus d’efforts, d’éducation de "développement" ". Le mythe, aujourd’hui, a du plomb dans l’aile... on n’en finirait pas d’égrener les maux que la croissance capitaliste fait subir à l’environnement et aux populations, particulièrement les femmes. En première ligne face à ces agressions, les femmes sont aussi les premières à construire des actions de résistance au capitalisme. Simples aménagements destinés à faire supporter et donc durer plus longtemps le système, ou bien sources de véritables alternatives, les résistances des femmes sur tous les continents seront évoquées et questionnées au travers d’une quinzaine de films documentaires.

La croissance capitaliste et ses dégâts

La croissance capitaliste est fondée sur le modèle de la productivité, dont le progrès technologique est censé constituer le moteur : " En dehors de la productivité, qui créée le revenu, qui structure la distribution des revenus dans toutes les économies nationales, point de salut ! " (Verlaeten, 1993 ) (2). Loin du mythe du développement par rattrapage, on constate cependant que ce système ne peut satisfaire que les intérêts d’une minorité, dont l’enrichissement et la consommation expansive n’existent qu’aux dépends de l’appauvrissement de pans entiers de la population, du pillage des ressources naturelles et de graves dégradations de l’environnement. Tout, dans ce monde, est susceptible d’appropriation pour exploitation par le détenteur de capital, qu’une idéologie libérale puissante veille à ne pas entraver dans sa course aux profits. En témoigne - pour ne prendre qu’un exemple - la volonté du GATT " d’étendre la propriété intellectuelle aux espèces vivantes, animales et végétales, génétiquement manipulées avec royalties à la clé pour les grandes firmes détentrices des brevets " (Bertrand, 1993) (3) .

Ce modèle de croissance est celui des pays du Nord ; il est imposé aux pays du Sud par de puissantes structures, dites internationales (Banque Mondiale, FMI) bien qu’elles ne servent que les intérêts des pays les plus industrialisés. Ce mouvement peut alors être aisément comparé à une " néo-colonisation " (Fatouma-Diaroumeye, 1993) (4) face à laquelle les pays du Sud ont aujourd’hui engagé la résistance. Mais des voix critiques de plus en plus nombreuses se font également entendre au Nord. Si l’on s’interroge aujourd’hui sur ce modèle, c’est parce que ses conséquences dramatiques se font de plus en plus visibles à l’échelle de la planète toute entière, y compris dans les pays " développés " : catastrophes industrielles, pollution des villes, chômage croissant, instabilité sociale,.... Comme si les risques et les coûts de la croissance capitaliste ne pouvaient plus être entièrement dissimulés en étant externalisés sur des populations et des environnements lointains.

Les femmes, premières victimes du capitalisme

Dire que les femmes sont les premières victimes car elles sont les plus fragiles ou les plus démunies cacherait un biais majeur : le capitalisme véhicule des valeurs, des modes de pensée et des comportements d’action masculins, dont les femmes sont exclues ou s’excluent d’elles-mêmes. La compétitivité ? L’individualisme ? La concurrence ? Le pouvoir ? La marchandisation ? La loi du plus fort ? L’argent ? Le visible ?... Les femmes ne sont-elles pas adaptées à ces logiques ? Les refusent-elles du fait d’autres croyances plus humaines, plus sociales ? Eprouvent-elles seulement un manque d’intérêt pour ces guerres nouvelles ou bien la société les forment-elles à se tenir en dehors de ses enjeux ? Quoiqu’il en soit, c’est un constat : au Nord, comme au Sud, les femmes souffrent particulièrement des maux du capitalisme. On n’évoquera ici que deux situations nationales, à l’image de toutes les autres à la surface de la planète

En France, alors qu’elles ont toujours travaillé et que leur place s’affirme sur le marché du travail, les inégalités persistent entre elles et les hommes. En octobre 2003, le taux de chômage des femmes âgées entre 25 et 49 ans s’établissait à 10 ,5% contre 7,5% pour celui de leurs homologues masculins (5), en sachant que le taux d’activité des femmes conjointes se réduit fortement avec le nombre d’enfants (6). Quand elles sont en emploi, elles sont davantage touchées par la précarité du marché du travail : contrats à durée déterminée, contrats aidés et surtout travail à temps partiel... un tiers des emplois occupés par les femmes sont à temps partiel, temps partiel contraint ou choisi... pour articuler vie familiale et vie professionnelle... la leur et celle des membres de leur famille. Concentrées dans un nombre très restreint de professions, encore souvent des emplois d’assistance ou dans le prolongement de l’activité familiale et domestique, elles sont aussi moins présentes dans les professions prestigieuses et de pouvoir, bloquées dans leur ascension professionnelle par un invisible mais solide plafond de verre et ceci malgré le fait qu’elles soient de plus en plus diplômées. Les inégalités salariales stagnent : en moyenne les femmes gagnent encore 20% de moins que les hommes ; résultat de l’ensemble des inégalités sur le marché du travail mais aussi de phénomènes discriminatoires...

Aux philippines (7), les " plans d’ajustements structurels " mis en place par le FMI et la Banque Mondiale conduisent le pays à consacrer la majeure partie de son budget national au remboursement de la dette. Les sommes qui peuvent être consacrées aux services tels que l’éducation ou la santé s’en trouvent considérablement réduites, ce qui touche au premier chef les femmes et leurs enfants. Dans certaines zones rurales, les familles d’agriculteurs, de moins en moins aidées par le gouvernement et contraintes d’acheter des insecticides et des engrais importés ont coutume d’envoyer leurs filles " servir " leur propriétaire afin de rembourser les dettes contractées auprès de lui. Au niveau national, les femmes sont encore " les instruments de la dette ", dans la mesure où elle constituent le gros des bataillons de travailleurs émigrés vers l’Europe, le Moyen-Orient ou encore le Japon afin de gagner durement les dollars nécessaires au remboursement.

Les femmes au cœur du système et pourtant invisibles

Pour Vandana Shiva (1999) (8) la décennie de la Femme des Nations-Unies - basée sur le postulat qu’une amélioration de la position économique des femmes conduirait à la diffusion du processus de développement - s’est achevée sur un constat amer : " le sous-développement croissant des femmes n’est pas du à une "participation" insuffisante et inadéquate dans le "développement", mais plutôt à leur participation forcée mais asymétrique dont elles supportent les coûts tout en étant exclues des bénéfices ". Car si les femmes sont les premières touchées par les inégalités générées par le capitalisme, elles sont aussi au cœur du système, celles qui permettent son fonctionnement au Sud comme au Nord. Ici, les femmes sont les gardiennes des sphères de l’assistance, actives du social, piliers du familial, intendantes des actions revendicatives... elles sont celles qui mettent de l’huile dans les rouages, qui soignent les exclus et rendent plus doux et acceptable ce qui ne l’est pourtant pas. Bénévoles actives et dévouées dans les associations de réinsertion et de formation des exclus du système, mères de famille alliant les sphères de l’éducation, du travail et du privé de tous les membres et dictant les règles de marketing en tout genre sous le masque de la célèbre " ménagère de moins de 50 ans ". Soutien actif préparant le café et les sandwiches des mouvements de protestation des hommes. Secrétaire d’association, secrétaire de délégation syndicale... celles qui prennent les notes, se lancent dans les procédures, préparent les réunions... Celles qui réfléchissent sans rien dire tous les jours aux solutions simples pour améliorer le bien-être de leurs proches au quotidien, dans l’ombre, dans toutes ces petites choses si vitales qu’on les oublie.

Là bas, les femmes sont aussi les piliers de la société. Elles constituent la majeure partie de la main d’œuvre agricole ; elles sont souvent chargées des cultures vivrières, de la gestion des ressources essentielles telles que l’eau ou le bois ; leur activité commerciale est essentielle... sans parler évidemment de leur rôle dans l’éducation des enfants, l’entretien, la protection et le soin de tous les membres de la communauté... " Néanmoins, dans la coopération française, les spécialistes de la production agricole, les responsables des programmes éducatifs, comme les démographes, réussissent trop souvent le tour de force d’être experts dans leurs domaines sans y avoir vu les femmes " (Duriez, 1993) (9).

Comme le souligne ATTAC (2003) (10), " la Banque mondiale ne s’y est pas trompée, qui leur prête une grande attention puisque les femmes constituent une "variable" qui aide à encaisser les ajustements structurels... ".

Les femmes sont donc partout, à la fois dans le système et juste à côté, cherchant à le rendre plus proche de leurs convictions. Simplement, personne ne les voit, elles sont invisibles, leur travail est invisible, qu’il soit agricole, industriel, marchand, domestique, familial, associatif ou syndical... elles sont à la fois présentes et invisibles. Une chose est sûre : tout changement de système ne pourra que passer par les femmes...

Les femmes entrent en résistance au capitalisme

Invisibles... enfin pas vraiment et pas toutes. Pas vraiment car tout dépend des yeux qui regardent, des valeurs soutenues par ceux qui inspectent, par ceux qui jugent de l’action. Et pas toutes, car certaines utilisent les valeurs du système pour se faire entendre, pour oser, pour agir ouvertement, sur le devant de la scène, elles se coalisent comme les infirmières aux conditions de travail déplorables, ou les ouvrières licenciées. Elles militent au sein des syndicats et autres organisations, créent des comités, et luttent pour l’égalité ; elles affrontent le capitalisme pour redistribuer les ressources plus justement et revendiquer leurs droits. Plusieurs des films présentés rendront compte de ces actions de résistance des femmes face à l’exploitation du travail humain, qui ont existé depuis les débuts du capitalisme industriel.

Cependant, au-delà de leur légitimité évidente, ces luttes que les femmes mènent pour leur droits dans les pays industrialisés posent une question : de quels droits parle-t-on ? Aujourd’hui, plusieurs gouvernements disent engager des actions de promotion des femmes (négociation collective sur le thème de l’égalité professionnelle, projet d’un crédit d’impôt famille afin d’inciter les entreprises à l’articulation travail/famille, encouragement de la parité politique ; etc.). Pour Maria Mies (1999) " tous ces efforts et ces initiatives au niveau politique équivalent à une stratégie de rattrapage des hommes par les femmes (...) qui signifie que les hommes en général et les hommes blancs dans des conditions d’influence, sont considérés comme le modèle auquel les femmes doivent aspirer ". Il s’agirait alors pour les femmes des sociétés d’abondances de s’approprier " une part du butin de l’homme blanc ". N’y a-t-il pas d’autres voies à explorer pour les femmes ?

Clara Flenley (1993) (11) remarque que " au Sud, les femmes sont productrices de l’alimentation, au Nord ce sont les femmes qui font les achats, les choix. Nous pouvons ainsi très fortement influencer les schémas de production et de consommation ". Quelques films, à l’instar du réputé " Ouvrières du monde " de Marie-France Collard, tentent d’ouvrir ces voies ardues de la solidarité féministe internationale. Afin de mieux appréhender ce qui est d’ordinaire caché aux yeux des consommateurs/trices du Nord, la programmation fera une large place aux expériences menées dans les pays du Sud. Là-bas aussi, les initiatives et les énergies conjuguées des femmes foisonnent pour tenter d’atténuer les maux causés par le capitalisme mondial. Quand les femmes prennent en main la lutte contre l’exode rural en créant des activités respectant l’environnement au Brésil (12) ou quand elles se battent contre la déforestation et la disparition de l’eau potable dans l’Etat du Gujarat en Inde (13), ces femmes ne font-elles que palier les dégâts les plus flagrants du régime économique et politique actuel, ou bien défrichent-elles de nouveaux espaces de participation citoyenne ?

Le festival cherchera ainsi à poser quelques pistes de réflexion sur la place et les rôles qu’occupent les femmes face à l’ensemble des maux causés par le capitalisme. Ne font-elles que mener des actions d’aménagement du capitalisme pour le rendre plus humain ou bien bâtissent-elles les contours d’un véritable système alternatif, qui ne serait plus basé sur la division, la domination et l’exploitation de la nature et des personnes ?

Anne Labit, Sociologue
Séverine Lemière, Economiste
Membres de l’association Résistances de Femmes

1 - Mies Maria, " Le mythe du développement par rattrapage " in Maria Mies et Vandana Shiva, Ecoféminisme, Edition l’Harmattan, 1999.
2 - Verlaeten Marie-Paule, " Les maux de la croissance ", in La croissance, quelques "maux" que je sais d’elle, Femmes et Changements, Festival de Créteil, 1993.
3 - Bertrand Agnès, " La "cocacolonisation" et pourquoi il faut refuser le GATT ", in La croissance, quelques "maux" que je sais d’elle, op. cit.
4 - Fatoumata-Diaroumeye Agnès, " Femmes d’Afrique et développement durable pour demain", in La croissance, quelques "maux" que je sais d’elle, op. cit.
5 - Données CVS - Ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
6 - Données INSEE, enquête Emploi.
7 - On s’appuie ici sur l’exposé de Tessita Oliveiros, " Dette et programmes d’ajustement structurel aux Philippines, in La croissance, quelques "maux" que je sais d’elle, op. cit.
8 - Shiva Vanadana, " L’appauvrissement de l’environnement, des femmes et des enfants ", in Maria Mies et Vandana Shiva, Ecoféminisme, Edition l’Harmattan, 1999.
9 - Duriez Françoise, " Femmes et développement : quelle problématique adopter ? ", in La croissance, quelques "maux" que je sais d’elle, op. cit.
10 - Attac, Quand les femmes se heurtent à la mondialisation, Editions Mille et une nuits, 2003.
11 - Flenley Clara, " Les actions du Women’s Environmental Network ", in La croissance, quelques "maux" que je sais d’elle, op. cit.
12 - Mao na massa (La main à la pâte) de Marcia Meireles et M. Angelica Lemos, Brésil, 1992, couleur, vidéo 17’.
13 - We can solve it (Nous avons la solution) de Nafissa Barot et Raju Barot, Inde, 1988, couleur vidéo 22’.

http://www.resistancesdefemmes.org/