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Diam’s : « Je me sens à ma place à la Fête de l’Huma »

Publie le mardi 12 septembre 2006 par Open-Publishing
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Diam’s : « Je me sens à ma place à la Fête de l’Huma »

Vendredi, 22 heures . Sur scène, la Boulette s’amuse et rappe comme un petit mec. Si ses mots sont radicaux, ils visent juste et témoignent du mal-être des jeunes.

Née à Chypre, venue en France à l’âge de trois ans, la chanteuse Diam’s ne se considère pas comme la porte-parole des petites soeurs des cités. Elle a grandi à Brunoy, dans l’Essonne, jusqu’à l’âge de douze ans, menant une enfance « un peu sauvage ». Elle se souvient encore de ce pavillon modeste où elle a vécu aux côtés de sa mère qui travaillait dans « l’événementiel musical ». Adolescente, elle écoutait Michaël Jackson, Idir, Francis Cabrel ou Jean-Jacques Goldman. Les soirs de blues, il lui arrivait souvent d’écrire pour s’évader un peu. Diam’s dit volontiers que « l’écriture a réussi là où les psys » ont échoué. Aujourd’hui, ses mots fusent telles des balles, faisant mouche : « Ma France à moi ne vit pas dans le mensonge, scande-t-elle. Elle se mélange / Elle vit à bout de rêves. »

Après son précédent opus Brut de femmes, portée par le succès de l’album Dans ma bulle, Diam’s revient avec la rage des jeunes que les adultes n’écoutent plus depuis longtemps. À vingt-cinq ans, elle incarne la génération « nan nan » qui ne se reconnaît pas dans la « démago de Sarko » (la Boulette). Festif autant que revendicatif, son rap ne fait pas dans la dentelle quand le danger est là. Diam’s qui a le courage de ses idées, lève le poing et lance : « J’emmerde le Front national », à l’occasion d’une chanson dénonçant Marine Le Pen. Une tchache radicale à destination de son jeune public quelle invite à aller voter à la prochaine présidentielle : « Ça serait bien qu’on se bouge le cul, lance-t-elle sur scène. On est des citoyens. Faites-pas les cons : allez voter ! » Un discours qu’elle reprendra sûrement lors de son passage sur la grande scène de la Fête de l’Humanité. Diam’s est dans la place, généreuse et pleine d’un enthousiasme régénérant. On est prié de faire un maximum de bruit pour cette petite bombe qui « déchire » sur scène. Total respect.

Étonnamment, vous n’êtes jamais allée à la Fête de l’Humanité...

Diam’s. C’est tout bêtement parce que je suis de la banlieue sud (de l’Essonne) et que la Fête de l’Huma est dans le nord, où je vais moins. Mon DJ, lui, la connaît bien, il y va quasiment tous les ans à titre personnel. Cela fait trois ans qu’il m’en parle. Comme un rêve pour nous dans le sens où la Fête est un gros festival qui a une connotation très engagée. Je sais que j’ai le discours pour les gens qui vont être là. Je me sens à ma place à la Fête de l’Huma dans la mesure où c’est un festival populaire, qui ne fait pas « de la soupe ». C’est le principe de cette Fête qui rassemble les gens sur la base d’une affiche de qualité. Je suis très fière d’avoir été choisie dans les programmes.

Vous dites souvent que vous ne seriez pas devenue ce que vous êtes sans la musique. Considérez-vous avoir été sauvée par elle ?

Diam’s. C’est clair. Sans la musique, je ne sais pas ce que je serais aujourd’hui. Je n’ai pas de diplôme, pas d’autres passions, n’étant pas de nature à avoir un hobby... Je me suis aperçue que j’étais passionnée par le rap, il y a un an et demi, quand je suis rentrée en studio pour faire Dans ma bulle. Si la musique avait été un simple hobby, j’aurai pu m’arrêter après le succès de Brut de femme. Mais, je me suis aperçue que ça me rongeait, que je n’arrivais plus à vivre parce que je créais moins, que j’étais malheureuse. C’est là que je me suis dit que je devais être vraiment passionnée.

À quel âge avez-vous découvert la culture hip-hop ?

Diam’s. C’est l’écriture qui m’a amené au rap. J’étais une enfant qui écrivait beaucoup, des billets d’humeur, un journal intime, des lettres à mes copains... J’ai commencé à écrire des poèmes. À l’école, les dissertations, c’était le seul truc que j’aimais. Je me suis mise à écouter du rap vers l’âge de douze ans, le rap américain et français. Je me suis aperçue qu’il y avait un vrai fond, un vrai contenu dans le rap français, à travers des groupes comme NTM qui dénonçaient des choses, IAM qui me racontait des histoires, et Assassins aussi. Je n’ai pas envie de résumer cela au mot « rébellion » mais j’avais un truc en moi assez enragé. Je n’étais pas bien sûr cette planète et je ne m’y sens toujours pas bien. Au-delà d’un mal-être social, j’étais surtout dans un mal-être humain. Mes soucis venaient du fait que je n’étais pas bien dans ma vie...

C’est important d’avoir « la rage » pour faire du rap ?

Diam’s. Je le pense. La fuite de mon père, que j’appelle aujourd’hui mon géniteur parce qu’il n’a vraiment aucun rôle dans ma vie, m’a pas mal blessée. Le fait d’être fille unique, d’avoir grandi sans hommes autour de moi, le fait aussi, dès mes premières amours - je l’ai raconté dans mon précédent album - de m’être « pétée la gueule » puisqu’un de mes premiers petits copains me battait. Tout cela m’a un peu détruite. Ma reconstruction est passée par l’écriture et non par les relations humaines. Elle m’a libérée.

On imagine que ce ne doit pas être facile d’être une femme dans un milieu d’hommes ?

Diam’s. Au contraire, c’est un avantage. En même temps, quand j’ai commencé le rap, j’étais ado et pas femme. Je ne débarquais pas en talons et jeans moulants. J’étais un petit mec. Je n’ai jamais été à l’aise avec mon corps, j’avais des complexes. Je me camouflai derrière des sapes super-larges, des gros pulls, une casquette. Quand je rentrais dans un studio, je n’étais pas désirable. On ne disait pas : « qu’est-ce qu’elle vient faire là cette bimbo ? » C’était vraiment la performance qui payait. Les gens voyaient que j’avais la niaque.

Cela vous fait-il plaisir lorsqu’on dit, tel Kool Shen, de NTM, que vous « rappez comme un mec » ?

Diam’s. Bien sûr, parce que pour moi les mecs sont les meilleurs dans cet art. Il n’y a pas une fille - ni moi ni une autre - pour égaler les cinq, six mecs très forts dans le rap français. Nous sommes loin de leur talent. Ça me plaît, parce que j’ai juste à écouter un morceau de certains rappers, tout d’un coup, je me prends une giffle. Ça me motive. Pour moi, c’est un compliment. C’est comme une joueuse de foot dont on dirait « qu’elle joue aussi bien qu’un mec ». La référence, elle est masculine dans ce sport. Tout d’un coup, ça fait d’elle une très grande joueuse.

Dans la Boulette, vous chantez « ce n’est pas l’école qui nous a dicté nos codes »...

Diam’s. Les codes ce sont les valeurs, nos principes, nos petites façons de faire, notre verlan, notre sens de l’humour... C’est un billet d’humeur en rapport avec ce que j’appelle la génération « nan nan ». C’est le côté on ne va pas se laisser faire. Aujourd’hui, on est plus dans le « non » que dans le « oui » parce que ce que l’on nous propose, on n’aime pas.

Qu’avez-vous retenu des événements du CPE ?

Diam’s. Je crois qu’on commence à entrer dans une ère un peu différente. Quand ça va vraiment mal, tout le monde se bouge. Là, ça devenait grave. Le CPE, c’était un peu « prenez ce qu’on vous donne et fermez-la ». Ce n’est pas comme cela que ça marche. On est dans un pays où les gens ont des droits, où chacun peut s’exprimer. Il y a un moment où il vaut mieux discuter, sinon les gens descendent dans la rue. Quand on se rassemble, cela donne l’impression d’être dans un pays où les gens se comprennent un peu mieux, ou, en tout cas, ont envie de faire avancer les choses, tous ensemble.

Comment ressentez-vous le discours sécuritaire du gouvernement ?

Diam’s. Ce que je n’aime pas, c’est le côté répressif. Cela m’insupporte. Ils ont fait peur à tout le monde, quand il y a deux ans, ils ont commencé leur discours sur l’insécurité. Il y a eu une paranoïa qui s’est installée chez tout le monde, avec la plupart des journaux qui ne parlaient plus que de ça. Ok, ça a touché quelques quartiers, mais aujourd’hui, j’ai plus peur d’un mec lambda qui pourrait me violer que d’une bande de jeunes. Ce n’est pas parce qu’ils marchent à plusieurs avec des capuches qu’ils vont agresser. Je pense que les médias ont eu un impact vraiment négatif sur les gens. Ensuite, il y a eu le côté répressif de la police. On peut obtenir la paix, sans faire la guerre. Or, il y a une période où les policiers ont un peu abusé de leur pouvoir.

Selon vous, d’où vient ce qu’on a appelé « le malaise des banlieues » ?

Diam’s. On n’écoute pas les gens. Il faut arrêter de tout se permettre sans aider. Moi, j’ai vingt-cinq ans, si je ne faisais pas de musique, je chercherais à être aidée. J’aimerais qu’on me propose d’apprendre un travail ou à monter une entreprise, qu’on ne me juge pas sur le fait que je n’ai pas le bac, que je viens de banlieue, sur la couleur de ma peau, etc. Il faut aider les jeunes. Or, on les pousse à se taire. Il arrive un moment où il fallait que cela pète. On a dit qu’ils auraient pu s’exprimer autrement. Mais comment ? Où sont-elles les solutions quand vous cherchez un travail et que vous savez pertinemment que vous n’allez pas être pris ? Au bout de dix rendez-vous, vous abandonnez. C’est logique.

Que voulez-vous dire par « Ma France à moi leur tiendra tête jusqu’à ce qu’ils nous respectent »...

Diam’s. J’en avais marre des clichés sur la France des banlieues. Je me suis dit qu’on pouvait utiliser aussi d’autres clichés sur la France de la baguette et du saucisson. Les gens qui crachent sur la banlieue sans la connaître réellement, qui ne se fient qu’aux médias, on sait que beaucoup votent FN alors qu’ils n’ont jamais eu de problèmes. Cela me fait mal tout ça. Je ne vise personne. Il y a un message de fin : « oui, on va être des gens bien, oui on va faire des choses de notre vie et ils ne pourront que nous respecter. » J’espère être un exemple aujourd’hui, parce que ce que je prône n’est pas négatif. Je ne crois pas avoir un discours malsain. Je suis une éternelle romantique, mais en même temps, je ne suis pas de nature à me laisser marcher sur les pieds.

Comment est née la chanson Marine ?

Diam’s. D’un discours entendu à la télé. Je ne comprenais pas qu’elle puisse se promener dans un marché avec des gens qui lui serrent la main. Elle s’appelle Marine Le Pen, elle est dans le même parti que son père. Elle pourra dire ce qu’elle veut, elle est « front nationaliste » aujourd’hui. Avec Le Pen en chef de rang, on n’a pas besoin d’en savoir plus.

Vous chantez « tu es le problème d’une jeunesse qui saigne »...

Diam’s. Les Béruriers noirs chantaient « la jeunesse emmerde le FN », NTM et différents groupes de rap ont tapé sur le FN... Moi, je prends le relais. L’idée, suite à 2002 et à l’abstention, c’est de dire aux jeunes : « Allez voter. »

Il y a un côté chroniques

sociales dans vos chansons. Comment réagissez-vous lorsqu’on fait de vous une porte-parole des petites soeurs des cités ?

Diam’s. Il y a des gens qui sont beaucoup plus porte-

parole que moi, parce qu’ils ont pris le parti de dénoncer. Moi, je suis une reporter de ma génération, plus qu’une nana engagée. En revanche je pousse au vote parce que je suis pour qu’on défende ses idées. Si tout le monde votait, je pense qu’on se plaindrait moins dans le sens où on saurait dans quel pays on vit. 2002, ça nous est tombé dessus. J’étais loin de me douter qu’il y avait cinq millions de votants du FN. Je le dis franchement, si ce genre de personne passe, je m’en vais. Quand je chante Aux armes la jeunesse, c’est une manière de dire : « Aux urnes ! ».

Entretien réalisé par Victor Hache

http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-09-11/2006-09-11-836403

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