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" Je voulais donner un visage à ces héros oubliés, raconter d’où ils venaient et qui ils étaient.
Il ne faut pas faire l’impasse sur la dimension humaine de l’histoire, le courage de ces hommes, le choix qu’ils ont fait.
L’histoire a besoin de distance, c’est vrai, mais aussi d’émotion. "
( Pascal Convert - plasticien )
Droit et Devoir de Résistance ...
( Ils nous ont ouvert la voie de la Résistance. Suivons - la ! )
Le 20 septembre 2003 sera inauguré au Mont Valérien ( Hauts-de-Seine - Région parisienne ), en présence du Premier ministre, le monument en hommage aux plus de mille otages et résistants qui y furent fusillés par les nazis de 1941 à 1944. Alors que partout stèles et plaques identifient les combattants et victimes dont on veut perpétuer le souvenir, les fusillés du Mont Valérien, sur le lieu de leur martyre, étaient restés jusqu’à présent anonymes. Le monument qui leur est enfin dédié, une sculpture de bronze en forme de cloche de 2,18 mètres de haut pour un diamètre de 2,70 mètres, portera leurs noms.
Entretien avce le plasticien Pascal Convert, créateur du monument, qui, saisi par cette histoire tragique, a aussi réalisé un documentaire consacré aux fusillés.
En 1997, Robert Badinter, sénateur des Hauts-de-Seine, déposait une proposition de loi en vue de l’édification d’un monument au Mont Valérien portant le nom des otages et résistants fusillés. Une commission fut créée dans ce but par le secrétariat d’État aux Anciens Combattants, qui allait travailler avec la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives (DMPA) du ministère de la Défense. Composée de représentants des administrations et collectivités territoriales et de douze associations impliquées dans le maintien du souvenir du Mont Valérien, la commission chargea un groupe d’historiens d’établir la liste nominative la plus exhaustive possible des fusillés. Parallèlement, elle lançait un concours pour choisir le concepteur du monument...
– Pascal Convert, en octobre 2001, votre projet de sculpture était retenu par le jury du concours. Qu’est-ce qui vous avait poussé à vous intéresser à ce monument ?
– Le sujet me tenait à coeur pour diverses raisons, la première étant familiale. Mon grand-père avait dirigé la Résistance dans les Landes. Cet homme mystérieux, qui ne racontait rien, est mort sans que nous puissions parler de cette époque avec lui. L’engagement de ces tout jeunes gens dans la Résistance restait une énigme pour moi. Mon grand-père était un simple vendeur de clous, comment lui et d’autres ont-ils pris conscience de la nécessité d’agir ? Comment se fait-il qu’au moment où disons 95 % des gens acceptent une situation, 5 % la refusent ? Cette question est toujours terriblement d’actualité. Par ailleurs, je connaissais le film de Cassenti, L’Affiche rouge, qui m’avait beaucoup marqué quand j’avais une vingtaine d’années. Ce faisceau de paramètres, à la fois d’ordre familial et intellectuel, et mon intérêt pour cette histoire, m’ont conduit à travailler sur ce monument. Je l’ai fait, bien que les artistes aient souvent tendance à partir en courant quand il s’agit d’une commande de l’État, comme s’il y avait antinomie entre officialité et modernité. Peut-être à tort, car de grandes oeuvres modernes ont été créées avec le concours de l’État.
– En tout cas, le jury s’est dit " séduit par l’audace et la modernité " de votre projet, une sculpture en forme de cloche. Pourquoi ce choix ?
– Ce type de commande - un monument et un monument aux morts, aux fusillés de surcroît - est pour l’artiste lourd à porter. Mon travail consistait à trouver une écriture symbolique simple, accessible à tous et qui traduise l’idée de communauté, car le monument se devait de rassembler les noms des fusillés réunis dans un même destin. La forme de la cloche, que j’ai déjà utilisée dans d’autres oeuvres, confère à une sculpture un caractère particulier : sa forme cylindrique, qui devient conique en son bout, produit un effet d’accélération, de vitesse et crée une impression de dynamisme. En outre, la cloche est liée à des événements culturels. Elle sonne le glas et le tocsin, elle appelle la communauté à se rassembler, elle célèbre la victoire... Dans notre société occidentale, la cloche est associée à la religion, mais l’art campanaire est plus universel et remonte à la haute Antiquité, il trouve son origine en Anatolie, en Égypte, en Chine. Je l’ai utilisée hors de toute considération religieuse, en tant qu’objet collectif de civilisation. Dans leur haine de la civilisation, les nazis s’acharnèrent d’ailleurs à immobiliser les cloches et à les faire fondre pour fabriquer des armes.
– La sculpture, scellée dans le sol, face à la chapelle où les condamnés à mort vécurent leurs derniers instants, présente en relief 1 006 noms...
– C’est le chiffre auquel est parvenu le groupe d’historiens chargé d’établir la liste des fusillés. Estimant qu’il serait sans doute impossible de les connaître tous, la commission a souhaité compléter l’inscription, qui figure au bas du monument, " Aux résistants et aux otages fusillés au Mont Valérien par les troupes nazies 1941-1944 ", par la mention : " et à tous ceux qui n’ont pas été identifiés ". La cloche, cet objet extraordinaire qui n’a ni face ni dos, permet de tourner autour d’elle et de lire tous les noms, sans hiérarchie. La surface est simplement partagée entre quatre champs verticaux, pour les quatre années, et dans chacun d’eux les noms sont classés par date de décès et par ordre alphabétique.
– Avant de vous attaquer à ce sujet, connaissiez-vous le Mont Valérien, le mémorial de la France combattante, la clairière des fusillés ?
– Je savais ce qui s’y était passé mais je n’y étais jamais allé. J’ai découvert un lieu absolument fantastique, un lieu paradoxal où se côtoient le monumental et le végétal. Le prestige d’un haut lieu du souvenir national, la pompe militaire qui accompagne les cérémonies au mémorial, et puis, à quelques pas, derrière des portes s’ouvre un autre monde où le temps semble s’être arrêté depuis les années quarante. Vous êtes dans la forêt... L’atmosphère est étrange et très émouvante, il y a la clairière des fusillés, la petite chapelle désaffectée... On voit Paris de loin, on voit les immeubles de La Défense, mais en ce lieu, rien n’a bougé, les bâtiments sont à moitié décrépis, c’est très étrange.
– Ce site brut, chargé d’une histoire tragique, quel environnement propice à la création !
– Oui, mais dans la tradition de la modernité, il existe toujours chez l’artiste une crainte par rapport à la dimension symbolique de son travail. Il doit en avoir conscience, la charge symbolique faisant partie de l’art. À ce niveau le créateur n’entre pas dans le détail de l’histoire. La grosse difficulté consistait à inscrire dans cette ¦uvre l’héroïsme et la compassion sans tomber dans le formalisme pur, c’est-à-dire qu’il fallait concevoir une articulation entre les sentiments et la forme. Je l’ai trouvée dans la cloche, une forme puissante et discrète, qui s’intègre dans le site et le laisse intact.
– Ce que la sculpture ne peut développer, l’histoire de ces hommes exécutés, vous avez voulu la décrire en réalisant un film : Mont Valérien, aux noms des fusillés, qui retrace aussi l’histoire du site. Vouliez-vous ainsi en quelque sorte compléter le monument ?
– Une oeuvre d’art n’a pas pour fonction d’expliquer l’histoire, elle dégage une puissance d’évocation qui se suffit à elle-même. Un film remplit un autre rôle, il permet d’être plus en prise avec l’histoire. Celui-ci m’a conduit à effectuer des recherches et à rencontrer des témoins, à comprendre l’engagement jusqu’à la mort des résistants dont les noms sont gravés sur la cloche. Je voulais donner un visage à ces héros oubliés, raconter d’où ils venaient et qui ils étaient. Il ne faut pas faire l’impasse sur la dimension humaine de l’histoire, le courage de ces hommes, le choix qu’ils ont fait. L’histoire a besoin de distance, c’est vrai, mais aussi d’émotion.
– C’est un film au ton très personnel, émouvant, dont la diffusion intégrale sur la chaîne Histoire a curieusement été annulée en juin dernier - on espère vivement qu’il sera bientôt reprogrammé. Vous vous y interrogez sur la mémoire et l’oubli qui, dites-vous dans le commentaire, ont traversé votre oeuvre depuis vingt ans ?
– À propos de mon documentaire d’abord - dont je n’ai pas compris la déprogrammation - je dois dire qu’il n’était pas destiné à l’origine à la télévision. Je l’ai réalisé de mon propre chef, sans aucune subvention, et je pensais seulement qu’il pourrait être montré dans la chapelle du Mont Valérien. Le film est le résultat d’un parcours personnel. De la même manière, je travaille actuellement sur une sculpture, à partir d’une photo de presse prise en 1997 lors du massacre de Benthala en Algérie, et je me plonge dans cette histoire afin de mieux comprendre la situation algérienne et, finalement, préparer un documentaire sur ce sujet.
Quant au problème de la mémoire et de l’oubli, il est au coeur de mon travail, inspiré par une expérience de vie privée. C’est le chant de deuil nécessaire à la survie. Mais qu’est-ce qu’on oublie, comment, pourquoi ? La question vaut autant pour la sphère privée que pour la sphère publique. Je m’interroge en effet dans le film sur le silence qui a entouré les fusillés du Mont Valérien. Si quelques-uns, célèbres, y ont échappé, tels d’Estienne d’Orves, Péri, Manouchian, la plupart sont restés anonymes et absents de la mémoire collective. C’est tellement injuste pour les martyrs et douloureux pour les familles. En déposant sa proposition de loi en 1997, Robert Badinter l’avait bien souligné en notant que " les noms des résistants et des otages ne sont gravés nulle part dans les lieux où ils connurent l’ultime sacrifice ", alors qu’ils le sont dans bien d’autres sites du souvenir. Beaucoup d’entre eux étaient issus des couches populaires, beaucoup étaient communistes, juifs, et étrangers. Est-ce la raison de cet oubli ? J’ai été frappé, en découvrant la liste des noms établie par la commission d’historiens, par le nombre d’étrangers qui sont venus combattre le nazisme, et mourir, avec la Résistance française. Ils étaient espagnols, allemands, autrichiens, arméniens, polonais, tchèques... C’est vraiment la grandeur de notre pays d’avoir pu motiver des gens de toutes nationalités qui se sont reconnus dans la République. Je trouve cela extraordinaire et suis d’autant plus choqué par le fait que leur contribution ait été si longtemps occultée.
– Pour vous, le combat dans la Résistance doit garder une valeur d’exemple ?
– Il faut faire comprendre que les résistants avaient fait un choix, qui était un choix politique doublé d’une attitude humaniste. Il y a là un facteur d’identification extrêmement fort. Je regrette qu’il n’ait pas été suffisamment porté par nos gouvernants. J’ai 45 ans et ma génération ne s’est pas emparée de ces symboles, préférant pour modèles des figures exotiques ; sur nos T-shirts nous arborions des Che Guevarra et jamais de héros de la Résistance. C’est toujours le cas aujourd’hui. Et pourtant, pour les jeunes, les jeunes en difficulté de nos banlieues notamment, ce serait une chance que de pouvoir s’identifier à ces combattants, qui avaient à peine vingt ans et qui allèrent jusqu’au bout de leurs convictions.
Propos recueillis par Irène Michine