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Durban II : les espoirs du Haut Commissaire aux Droits de l’Homme
Publie le dimanche 19 avril 2009 par Open-PublishingAlors que 103 Etats ont annoncé leur participation au sommet de Genève sur le suivi de Durban I, voilà que les Etats-Unis font volte-face après avoir clairement laissé entendre qu’ils seraient présents !
Ils estiment que "leurs craintes de parti pris anti anti-israëlien et anti occidental n’ont pas été prises en compte..." Ils disaient exactement le contraire, il y a quelques jours à propos des avancées du texte proposé.
Du coup, on ne connaît toujours pas quels pays occidentaux décideront de se joindre à cette conférence qui s’ouvre lundi, au risque de se couper de l’ONU à travers l’une de ses composantes essentielles.
Mais n’est-ce pas le but poursuivi par nombre d’Etats libéraux que de discréditer l’institution mondiale sous prétexte qu’ils n’y sont pas majoritaires ?
Nous reproduisons ci-dessous l’interview de la Haut Commissaire aux Droits de l’Homme, madame Navanethem Pillay, réalisée le 2/4/09 par la "Tribune des Droits humains" de Genève.
Ce point de vue n’a guère intéressé la plupart des médias français impliqués dans une campagne visant à faire échouer la conférence mondiale sur le racisme, les discriminations, la xénophobie et la tolérance.
Nous avons seulement modifié le titre qui était :"Il serait salutaire que la Suisse préside Durban II".
Comme quoi l’objectivité de l’information est une notion toute relative. On a le droit, dans un but de manipulation de l’opinion, de condamner un texte qu’on n’a pas lu, de caricaturer, de dénigrer ou de taire des points de vue -même les plus officiels- qui ne vous plaisent pas, et de jouer des affinités dont on dispose dans les "grands" médias.
La campagne de dénigrement entreprise en France pour que cette conférence ne puisse se tenir a donné lieu à des excès verbaux dont certains n’étaient pas plus raffinés que ceux, indéfendables, entendus en 2001, hors séances officielles, à Durban, en Afrique du Sud.
Madame Pillay y était. Originaire de Durban, elle est devenue depuis juillet 2008, Haut Commissaire aux Droits de l’Homme.
Elle fut la première avocate non blanche à ouvrir un cabinet à Durban en 1967 car elle ne pouvait espérer être embauchée par des blancs !
Elle défendit les militants de l’ANC engagés dans le combat contre l’apartheid.
Après l’abolition, elle fit inclure dans la constitution d’Afrique du Sud une clause d’égalité qui interdit la discrimination fondée sur la race, la religion et l’orientation sexuelle.
En 1995, elle devint juge à la Haute Cour d’Afrique du Sud, ainsi qu’au tribunal pénal international pour le Rwanda. En 1999, elle fut nommée par l’assemblée générale de l’ONU présidente du tribunal pénal international. Depuis 2003 , elle siège à la Cour pénale internationale, jusqu’à sa récente nomination comme Haut Commissaire où elle a remplacé la canadienne Louise Arbour.
Elle aborde ici les enjeux de cette conférence qui se tient à Genève et "la désinformation continue au sujet de Durban I" :
R.F
La Conférence de suivi de Durban suscite des commentaires acerbes. Comment appréhendez-vous ce sommet ?
La Conférence revêt pour moi une importance majeure. Durban est ma ville d’origine et ayant souffert de l’apartheid, le racisme est une question essentielle à mes yeux. Il a fallu beaucoup de temps pour faire tomber ce régime, mais maintenant nous apprécions ce que signifie le plein respect de la dignité de chacun. Ma perception des enjeux de Durban II est donc très liée à mon histoire personnelle.
D’où vient la vive polémique autour du sommet de Genève ?
Beaucoup de monde m’a dit, quand je suis arrivée au Haut-Commissariat aux droits de l’homme, que la Conférence d’examen de Durban serait un désastre. J’ai fait alors mes propres recherches. Depuis huit ans, je constate une désinformation continue au sujet de Durban I. Je suis frappée de voir à quel point les médias de nombreux pays ont continué à répandre cette fausse image du sommet de 2001 qui aurait été orchestré contre les juifs et contre Israël. Beaucoup d’Etats européens et les Etats-Unis sont restés sur cette impression. Ils m’ont officiellement dit que la Conférence de suivi allait finir comme Durban I et qu’elle serait dominée par la haine d’Israël. Mais à bien regarder la déclaration et le programme d’action de Durban I, le document est très global et aborde toutes les formes de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance. Il a été adopté par 189 Etats à l’exception des Etats-Unis et d’Israël. Ce qui m’a surpris, c’est de voir plusieurs pays occidentaux menacer de se retirer de Durban II alors qu’il n’y avait encore aucun projet de déclaration sur la table.
A trois semaines de la conférence, quel message souhaitez-vous transmettre à ces Etats occidentaux ?
Les gouvernements qui envisagent un retrait de la conférence ne devraient pas oublier qu’ils ont des comptes à rendre à leurs citoyens, surtout dans les pays démocratiques. Les discriminations existent dans tous les pays. Et les actes de racisme ne concernent pas que les pays du Sud, ils touchent le Nord également. Le phénomène des migrations est un bon exemple.
Où en est-on dans l’élaboration d’un projet de déclaration ?
Nous avons un bon texte que la plupart des Etats soutiennent. Je ne connais aucune objection à ce document à ce stade.
Que pensez-vous du concept controversé de diffamation des religions, cher à l’Organisation de la conférence islamique, mais qui ne figure plus dans le présent projet de déclaration ?
Je comprends la préoccupation liée à la diffamation des religions. Mais le droit international existant prévoit les instruments pour condamner l’incitation à la haine raciale et religieuse. Par ailleurs, la liberté d’expression est l’un des droits de l’homme les plus fondamentaux et doit être respecté. Voilà pour le principe général. Il y a toutefois des traités qui permettent de déroger à ce principe. Les Etats ont dû cadrer la liberté d’expression. Il y a des codes nationaux en Europe qui considèrent le blasphème comme un délit.
Qu’est-ce qui fera que Durban II sera un succès ou un échec ?
Une participation du plus grand nombre d’Etats sera un élément du succès de la conférence. Par ailleurs, il s’agit ici d’une conférence de suivi. Il importera de vérifier dans quelle mesure la Déclaration et le Plan d’action de Durban ont été mis en œuvre, quels ont été les meilleurs moyens utilisés pour combattre le racisme. A mon avis, ce plan d’action a été intégré par de nombreux Etats dans leurs propres plans d’action nationaux. Mais après les terribles attentats du 11 septembre 2001, quelques jours après Durban I, les défis auxquels nous sommes confrontés sont plus difficiles. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il y a eu des violations des droits de l’homme, de l’islamophobie et des discriminations contre les gens de couleur. La mondialisation et les migrations de même que la crise économique et financière compliquent la mise en œuvre de Durban I.
Craignez-vous de subir le même feu de critiques que l’un de vos prédécesseurs, Mary Robinson ?
Je n’ai aucune peur. Il s’agit ici d’une conférence de suivi. C’est moins sensible. Je m’inscris en faux quant à Mary Robinson. A Durban en 2001, elle a au contraire été une vraie héroïne en s’opposant aux visions maximalistes des ONG.
Dans le processus de Durban, qu’attendez-vous de la Suisse ?
Il serait salutaire de voir la Suisse prendre l’initiative d’assurer le succès de la conférence en proposant d’assumer la présidence du sommet. Pour l’heure, cela n’est pas intervenu, bien que nous ayons exhorté le gouvernement suisse à agir dans ce sens. Mais nous comptons sur un large soutien de la Suisse qui nous a déjà beaucoup aidés.
Au sujet du Conseil des droits de l’homme, les Etats-Unis souhaitent faire acte de candidature.
Je salue la décision du président Barack Obama. Elle est en droite ligne avec sa décision de fermer la prison de Guantanamo. Même si je ne sais pas quelle sera leur attitude au Conseil s’ils sont élus, je pense que c’est une très bonne chose que les Etats-Unis deviennent membre.
Cette annonce peut-elle avoir un impact sur d’autres Etats ?
C’est triste à dire, mais les mauvaises pratiques en matière de respect des droits de l’homme dans le cadre de la lutte antiterroriste tel qu’on a pu le constater au cours des huit dernières années aux Etats-Unis, avec la détention sans procès par exemple, ont fait des émules auprès de pays moins respectueux des droits humains. J’espère que par leur nouvel engagement, les Etats-Unis auront une influence positive sur ces mêmes Etats.
La Conférence de suivi de Durban suscite des commentaires acerbes. Comment appréhendez-vous ce sommet ?
La Conférence revêt pour moi une importance majeure. Durban est ma ville d’origine et ayant souffert de l’apartheid, le racisme est une question essentielle à mes yeux. Il a fallu beaucoup de temps pour faire tomber ce régime, mais maintenant nous apprécions ce que signifie le plein respect de la dignité de chacun. Ma perception des enjeux de Durban II est donc très liée à mon histoire personnelle.
D’où vient la vive polémique autour du sommet de Genève ?
Beaucoup de monde m’a dit, quand je suis arrivée au Haut-Commissariat aux droits de l’homme, que la Conférence d’examen de Durban serait un désastre. J’ai fait alors mes propres recherches. Depuis huit ans, je constate une désinformation continue au sujet de Durban I. Je suis frappée de voir à quel point les médias de nombreux pays ont continué à répandre cette fausse image du sommet de 2001 qui aurait été orchestré contre les juifs et contre Israël. Beaucoup d’Etats européens et les Etats-Unis sont restés sur cette impression. Ils m’ont officiellement dit que la Conférence de suivi allait finir comme Durban I et qu’elle serait dominée par la haine d’Israël. Mais à bien regarder la déclaration et le programme d’action de Durban I, le document est très global et aborde toutes les formes de discrimination raciale, de xénophobie et d’intolérance. Il a été adopté par 189 Etats à l’exception des Etats-Unis et d’Israël. Ce qui m’a surpris, c’est de voir plusieurs pays occidentaux menacer de se retirer de Durban II alors qu’il n’y avait encore aucun projet de déclaration sur la table.
A trois semaines de la conférence, quel message souhaitez-vous transmettre à ces Etats occidentaux ?
Les gouvernements qui envisagent un retrait de la conférence ne devraient pas oublier qu’ils ont des comptes à rendre à leurs citoyens, surtout dans les pays démocratiques. Les discriminations existent dans tous les pays. Et les actes de racisme ne concernent pas que les pays du Sud, ils touchent le Nord également. Le phénomène des migrations est un bon exemple.
Où en est-on dans l’élaboration d’un projet de déclaration ?
Nous avons un bon texte que la plupart des Etats soutiennent. Je ne connais aucune objection à ce document à ce stade.
Que pensez-vous du concept controversé de diffamation des religions, cher à l’Organisation de la conférence islamique, mais qui ne figure plus dans le présent projet de déclaration ?
Je comprends la préoccupation liée à la diffamation des religions. Mais le droit international existant prévoit les instruments pour condamner l’incitation à la haine raciale et religieuse. Par ailleurs, la liberté d’expression est l’un des droits de l’homme les plus fondamentaux et doit être respecté. Voilà pour le principe général. Il y a toutefois des traités qui permettent de déroger à ce principe. Les Etats ont dû cadrer la liberté d’expression. Il y a des codes nationaux en Europe qui considèrent le blasphème comme un délit.
Qu’est-ce qui fera que Durban II sera un succès ou un échec ?
Une participation du plus grand nombre d’Etats sera un élément du succès de la conférence. Par ailleurs, il s’agit ici d’une conférence de suivi. Il importera de vérifier dans quelle mesure la Déclaration et le Plan d’action de Durban ont été mis en œuvre, quels ont été les meilleurs moyens utilisés pour combattre le racisme. A mon avis, ce plan d’action a été intégré par de nombreux Etats dans leurs propres plans d’action nationaux. Mais après les terribles attentats du 11 septembre 2001, quelques jours après Durban I, les défis auxquels nous sommes confrontés sont plus difficiles. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il y a eu des violations des droits de l’homme, de l’islamophobie et des discriminations contre les gens de couleur. La mondialisation et les migrations de même que la crise économique et financière compliquent la mise en œuvre de Durban I.
Craignez-vous de subir le même feu de critiques que l’un de vos prédécesseurs, Mary Robinson ?
Je n’ai aucune peur. Il s’agit ici d’une conférence de suivi. C’est moins sensible. Je m’inscris en faux quant à Mary Robinson. A Durban en 2001, elle a au contraire été une vraie héroïne en s’opposant aux visions maximalistes des ONG.
Dans le processus de Durban, qu’attendez-vous de la Suisse ?
Il serait salutaire de voir la Suisse prendre l’initiative d’assurer le succès de la conférence en proposant d’assumer la présidence du sommet. Pour l’heure, cela n’est pas intervenu, bien que nous ayons exhorté le gouvernement suisse à agir dans ce sens. Mais nous comptons sur un large soutien de la Suisse qui nous a déjà beaucoup aidés.
Au sujet du Conseil des droits de l’homme, les Etats-Unis souhaitent faire acte de candidature.
Je salue la décision du président Barack Obama. Elle est en droite ligne avec sa décision de fermer la prison de Guantanamo. Même si je ne sais pas quelle sera leur attitude au Conseil s’ils sont élus, je pense que c’est une très bonne chose que les Etats-Unis deviennent membre.
Cette annonce peut-elle avoir un impact sur d’autres Etats ?
C’est triste à dire, mais les mauvaises pratiques en matière de respect des droits de l’homme dans le cadre de la lutte antiterroriste tel qu’on a pu le constater au cours des huit dernières années aux Etats-Unis, avec la détention sans procès par exemple, ont fait des émules auprès de pays moins respectueux des droits humains. J’espère que par leur nouvel engagement, les Etats-Unis auront une influence positive sur ces mêmes Etats.