Accueil > EGYPTE (ET AILLEURS) LA LOI DU MARCHE (des organes), L’AVENIR DE L’HOMME... (…)

EGYPTE (ET AILLEURS) LA LOI DU MARCHE (des organes), L’AVENIR DE L’HOMME... EN MORCEAUX !

Publie le lundi 24 novembre 2008 par Open-Publishing

Texte publié par Sylvie Nony, Prof au Lycée Français du Caire dans son Blog : http://snony.wordpress.com/

L’affaire a été révélée par le “Badyl” (décidément un sacré journal, site en arabe ici) il y a quelques jours : il existe un véritable réseau de commerce des organes prélevés…sur les enfants des rues du Caire*.

Ce réseau a de véritables agents (des simsârs, dit-on ici pudiquement) qui démarchent auprès des jeunes et les mettent en contact avec les médecins, les laboratoires et les hôpitaux impliqués dans ce trafic.
La Une du “Badyl”du 16 novembre (photo ci-dessous) annonce une catastrophe à “Mama Suzanne” (la femme d’Hosni) qui est présidente du Conseil National de la Mère et de l’Enfant en cette veille de journée internationale de l’enfance : le témoignage dans un enregistrement video, de six enfants des rues qui racontent le commerce de leurs propres corps, mené par une bande de voleurs. Cette bande organisée -écrit en toutes lettres le journal- sévit à Shubra al-Khyamyya (un quartier du Nord-Est du Caire) et pratique le commerce des organes avec la coopération d’un grand hôpital de Doqqi (un quartier du centre ville) contre de la fausse-monnaie. Suivent les noms des jeunes ayant été opérés et les “tarifs” qui leur avaient été annoncés : le rein à 10 000 LE (1300€) ; la cornée à 15 000, et le poumon à 20 000.trafic-organes

L’annonce est illustrée d’une photo de la cicatrice qui montre tout le respect des “médecins-voyous” qui ont pratiqué l’opération sur Abdel Bady, un des jeunes qui témoigne et nomme les personnes qui l’on emmené à l’hôpital pour l’ablation de son rein. Le journal ajoute en gros caractères : Abu Said, l’agent du trafic d’organes habite rue 25 à Shubra al-Khyamyya”…

Le soir même des extraits des videos étaient diffusés sur une chaine égyptienne (que je n’ai pas vue) provoquant un vrai séisme, malgré l’actualité footballistique intense (championnat d’Afrique imminent). D’autres quotidiens ont repris l’affaire les jours suivants et le Badyl continue d’apporter chaque jour des détails supplémentaires. D’ores et déjà son action a contraint le procureur général à ouvrir une enquête, à fermer un hôpital à Aguza, et un autre à Madinat Nasr pour des transplantations douteuses.

Le 18 novembre le “Badyl” en a remis une couche, accusant même le gouvernement sur sa Une de fermer les yeux sur une activité qui, selon le journal, “transforme le quartier en un véritable centre commercial de vente d’organes”. Un député (Hachem) réclame un projet de loi visant à encadrer les transplantations d’organes.

Au delà du scandale de ce trafic - qui n’est surement pas l’apanage de l’Égypte- se révèle le monde actuel : puisque la loi est celle du profit, les inégalités entre les hommes, entre les pays, ne doivent pas être combattues mais utilisées pour réaliser la grande libération des marchés (les archaïques mesures égalitaires et les garanties de dignité pour chacun étant autant d’entraves à cette réalisation). Il est clair que les “clients” des hôpitaux épinglés ne sont pas des pauvres égyptiens. Mais c’est à peine si les auteurs de ce trafic rougissent : ils œuvrent pour sauver des vies (certes de riches) tout en donnant de l’argent à des jeunes qui en ont besoin…

Reste-t-il des valeurs à défendre dans un monde pareil ? La preuve que oui : l’action du Badyl, contre l’air du temps, montre que l’engagement de journalistes pour s’insurger contre de pareilles pratiques est d’une urgente nécessité. Un journalisme authentique qui pourrait faire pâlir plus d’une équipe de rédaction en France !

Dans son édition d’aujourd’hui (22/11), le quotidien raconte comment quatre intermédiaires ont cherché à acheter un rein ou un lobe de foie (30 000 LE) ou des poches de sang groupe O…et ont ainsi découvert d’autres centres “commerciaux” … Le journal relaye la demande de l’avocate de l’association “Lumière du jour” qui s’occupe de ces enfants, pour que les six jeunes qui ont, les premiers, témoigné et diffusé les videos enregistrées sur leur téléphone, soient protégés pendant la durée de l’enquête. Cet engagement est tout à l’honneur d’une presse qui s’efforce de construire ici une véritable déontologie dans le champ de mines de la corruption généralisée. Même s’il y a ci ou là quelques balbutiements (un ami me faisait remarquer hier qu’un jour sur deux le journal oublie de floutter les visages des jeunes qui témoignent), la démarche mérite d’être soutenue.

* Le nombre de ces enfants des rues est assez difficile à cerner : près d’un million dit l’Unicef, chiffre repris par le Samusocial International qui vient d’ouvrir une antenne au Caire. Médecins du Monde parle de 15 000 enfants, même si sa responsable interviewée par le magazine Alif, reconnait qu’il est pratiquement impossible de l’évaluer. Leur existence massive est pourtant indéniable.

Concentrés autour des zones de grande circulation, les gares, les lieux touristiques (quand ils ne sont pas chassés par la police), pas un touriste ne peut éviter de les voir.