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Ecole publique, adieu

Publie le vendredi 27 février 2004 par Open-Publishing


de Francesco Muraro (enseignant)

Après la manifestation de Milan du samedi 14 février 2004

Au-delà de cinquante mille personnes descendues dans les voies dans
une extraordinaire mobilisation de la societé civile.(NdR)

Nous sommes bien partis. Samedi après-midi, j’ai participé, en tant que citoyen,
parent et enseignant, à une manifestation publique réellement spontanée et auto
organisée. Le thème : la défense de l’Ecole Publique. Et c’est pour cela que des
dizaines de milliers d’enfants (de toute évidence instrumentalisés pour être
ensuite engraissés et dévorés), d’adultes de tous âges, de proches ou de travailleurs
de l’école, en somme tous ceux qui d’une manière ou d’une autre participent au
travail de l’énorme machine scolaire, sont descendus dans la rue pour rendre
public et visible leur désaccord. Moi compris.

En tant qu’enseignant, je voudrais exposer les raisons concrètes et pas seulement
idéales de mon désaccord avec le projet Berlusconi-Tremonti-Moratti ; un projet
qui transforme le système instruction-formation et le champ de l’éducation en
Marchandise, faisant suite à la précédente transformation, de Droit à Service,
accomplie
en grande partie par le gouvern ement de l’Ulivo.

La transformation des établissements scolaires publics en "entreprise (partiellement)
autonome" a ouvert la voie à la marchandisation de l’instruction, même si elle
a aussi ouvert des espaces de discussion et de création de projet, endormis depuis
longtemps. L’opération Moratti & Cie achève la transformation en entreprise de
l’école, commencée avec la réforme Berlinguer, tout en recentrant le contrôle
( éventuellement au niveau régional, pour une partie) et en hiérarchisant les
rapports professionnels. Les Dirigeants scolaires, nommés par l’autorité politique
et révocables par elle seraient alors une proie facile pour toutes sortes de
pressions, orientés vers le conformisme, prudents dans l’expérimentation, éventuellement
un peu moins ouverts au dialogue avec les professeurs et les RSU (représentations
syndicales unitaires, NdT)

Sur le plan des rapports avec le ministère, se profile une transformation dans
la façon de financer les établissements : tu es bon élève et tu obtiens une bonne
note dans l’évaluation du service - test ? quiz ? questionnaire à choix multiple ?
et ils te financent correctement ou sinon débrouille-toi et vends ton âme aux
entreprises de la région (les nouveaux vrais donneurs d’ordre qui voudraient
dicter les programmes et les orientations). Même entre école publique et école
publique on va à la création d’une hiérarchie au mérite, évaluée sur les meilleurs
rendements des élèves (? ! ?) : les écoles aux contextes difficiles, ou bien acceptent
l’estampille d’école à risque (et le financement ad hoc) ou, en tant qu’ école
simple, recevraient le minimum indispensable pour fonctionner à bas régime. Entreprise
au produit médiocre offre marchandise de mauvaise qualité : hard discount du savoir.

La "famille", fétiche et miroir aux alouettes de la réforme et de ses conséquences
propagandistes, pourra donc choisir "librement" d’acheter (avec des tickets,
des bons, des remises, etc...) ici ou là (public et/ou privé - discount ou magasin
chic) des heures d’école : en revanche on la soulage en grande partie de son engagement à participer
aux choix collégiaux d’établissement, là où l’on décide réellement et où l’on
participe librement à la vie scolaire, en séance publique, avec les autres composantes
de l’école. Pour démontrer comme l’opération "casse-nous le service public" (en
obtempérant, entre autres, aux indications internationales du FMI, de la Banque
Mondiale, de l’OMC) est stratégique et pensée avec attention, il suffit, comme
l’a suggéré le dirigeant scolaire Vito Giacalone dans un récent débat public,
d’observer ce que va abroger le décret Moratti : de l’article 19 "Normes finales
et Abrogations", on met en évidence que toute référence aux intentions constitutionnelles,
relative au Droit à l’instruction publique et gratuite est effacée.

Il y a ensuite toutes les questions spécifiques et relatives à la dite "offre
de formation".

La première est celle du Temps Plein/Temps Prolongé. Ce qui semble se dégager
de la lecture du décret, c’est que la quantité d’heures de Marchandise-école
offerte par l’école Publique ne diminuera pas (ou bien progressivement) mais
changera de nature. Le temps-travail des professeurs lui aussi changera de nature,
ou plutôt se dénaturera. Quelques exemples : avec la nouvelle organisation horaire à l’école
moyenne inférieure (=dans les premières années de collège, NdT), il devient pratiquement
impossible de partager les heures entre des professeurs de matières différentes ;
il a suffi de diminuer le nombre d’heures annuelles des différentes matières,
d’en abolir quelques-unes (Education Technique, on se demande pourquoi !), grouper
les enseignements, changer de nom les matières et ça roule. Suppression de personnel
(combien de milliers ?) et individualisation du travail d’enseignement : comment
atteindre un objectif culturel stratégique et économiser (ou déplacer des ressources
vers le privé).

Le même discours vaut pour l’institution de la figure du Tutor (? ! ?) à l’école
primaire : comme nous l’a rappelé Chiara Bianchi de reteScuola (TV), personne
n’en ressentait le besoin et aucun pédagogue qui se respecte ne peut soutenir,
sans paraître ridicule, que one vaut mieux que two. Donc moins de place pour
les projets de rattrapage, sur des groupes interclasses, pour des ateliers en
petits groupes, moins de place pour le soutien, moins de programmation commune,
moins de projets en commun, moins d’évaluation en commun (fait très grave, étant
donnée la délicatesse de cette opération). La plus grande partie de notre travail
sera de développer "la leçon", les corrections, d’évaluer (en feuilletant le
fantomatique dossier individuel que personne n’a jamais vu et qui, dans certains
cas, risque de ressembler à une sorte de casier judiciaire) et de compiler des
pyramides de papiers. C’est la réduction quantitative des heures d’école, 27
(+3 optionnelles en primaire + cantine à volonté) ou 27 (+6 optionnelles au collège
+ cantine), qui l’impose : aucune trace écrite de cette opération, aucune prescription
explicite et embarrassante, seulement des faits.

Les programmes des matières subissent eux-mêmes des variations qu’il faudrait
encore nous expliquer. Pourquoi l’Histoire Antique doit-elle être enseignée en
primaire alors que l’on réserve au collège le Moyen Age et ce qui s’en suit ?
A vouloir donner lecture du fait avec un œil d’historien, on pense immédiatement
qu’on réserve aux petits l’époque des contes et des mythes (mais aussi du paganisme,
de la démocratie athénienne et de l’impérialisme romain) et aux plus grands la
période d’évolution de la conscience dans l’Europe chrétienne. Une lecture plutôt
pré dix-neuvième siècle du déroulement de l’histoire à fort taux idéologique :
l’antiquité comme phase infantile de l’Histoire et le christianisme comme maturité de
l’humanité ! Et encore : pourquoi réintroduit-on l’économie domestique (entre autres,
au sein des enseignements mathématiques et scientifiques) ? Jusqu’à quel point
est-il vrai que les programmes de mathématiques ont été mal organisés et mal écrits
 ?

Mais surtout : pourquoi bloquer la réforme Berlinguer, qui était désormais en
phase d’achèvement, pour imposer d’en haut une transformation radicale qui -
et en tant qu’enseignant je peux l’assurer - jettera l’école dans le plus total
chaos sur le plan de l’organisation ?

traduit de l’italien par Karl et Rosa

27.02.2004
Collectif Bellaciao