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Article paru dans l’édition du 2 septembre 2006. Rubrique
Éditorial par Jean-Paul Piérot L’acharnement
C’est la rentrée. Dès lundi, ce sera l’heure des retrouvailles, des bises et des poignées de mains échangées entre enfants et adolescents qui se sont égayés dans la nature deux mois durant.
Tous seront-ils au rendez-vous ? Question posée aux communautés éducatives, aux parents d’élèves, aux élus locaux, au terme d’un été lourd de dangers.
Sous le règne de Nicolas Sarkozy, sans attendre « la France d’après », plusieurs dizaines de milliers de jeunes scolarisés, 50 000 selon une estimation du Réseau Éducation sans frontières, risquent d’être expulsés de leur école, avant d’être embarqués de force dans un avion, rejetés d’un pays qu’ils croyaient celui des droits de l’homme. Et en conséquence des droits de l’enfant.
Des droits de l’enfant, parlons-en ! La France est signataire de la convention internationale. Au fil du texte, on peut lire que les États « prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d’abandon scolaire ».
On est bien obligé de constater que le gouvernement - puisque, en la matière, le ministre-président de l’UMP a l’aval du premier ministre - contrevient, à l’esprit, sinon à la lettre, de la Déclaration internationale des droits de l’enfant, tout comme il bafoue les traditions d’accueil de la France. L’objection selon laquelle ce texte, qui nous engage, ne pourrait s’appliquer à l’égard de familles en situation irrégulière, puisque ne disposant pas des papiers nécessaires, ne résiste pas face à la réalité humaine d’un enfant dans une salle de classe, au milieu de ses camarades, sous la conduite de ses professeurs, intégré dans un environnement qui favorise son épanouissement.
Que reproche-t-on aux quelque 30 000 personnes, qui ont déposé, remplis d’espoir, des demandes de régularisation au cours de l’été, et qui pour la plupart d’entre elles n’obtiendront qu’une injonction à quitter l’Hexagone ? De tout faire pour que leurs enfants bénéficient de conditions d’études dignes de notre temps ? De vouloir leur assurer un sort meilleur que le leur ? Pourquoi cet acharnement contre des « jeunes adultes », entendez : des lycéens ou étudiants majeurs, qui ne demandent qu’un « privilège », celui de continuer à étudier en France ? Les privilégiés, certes, ne manquent pas dans notre pays, mais ce n’est pas à Cachan qu’on pouvait ces derniers jours les croiser, mais à Jouy-en-Josas, dans les Yvelines, où le gratin du MEDEF riait aux plaisanteries de Nicolas Sarkozy sur les squatters sans logis et savouraient ses menaces contre le droit de grève.
À la vérité, les familles sans papiers et leurs enfants scolarisés font les frais d’un jeu politicien qui fait honte à la France, consistant à jeter les plus pauvres parmi les pauvres en pâture aux appétits de la droite la plus extrême. Ce week-end à Avignon, les hiérarques du FN auront bien du mal à distinguer les différences qui demeurent entre la copie sarkozienne et l’original lepéniste, après le traitement infligée à une famille ukrainienne, dont l’enfant né en France était en maternelle, l’expulsion musclée du lycéen Jeff Babatunde au Nigeria, après celle d’Abdallah au Maroc et de deux filles vers le Mali. Et hier encore, c’est l’avocat-médiateur Arno Klarsfeld, qui s’érigeait en procureur pour s’opposer à la régularisation, à Sens, de Mme Barbe Makombo et de ses deux filles en faveur desquelles se mobilise un important comité de soutien.
Ce mouvement citoyen, que Nicolas Sarkozy avait tant brocardé en juillet, est une donnée avec laquelle le pouvoir doit compter. La vigilance ne s’est pas relâchée, marquée par des actes de courage - la tentative de passagers d’empêcher le départ d’un avion-, des mobilisations victorieuses, - la lycéenne comorienne Fatoumia restera avec ses camarades de classe.
Nul doute que dans chaque classe, lundi et dans les jours qui suivront, l’on va veiller à ce qu’aucune chaise ne reste vide.