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Elections au Venezuela : que font les États-Unis ?
Publie le jeudi 19 octobre 2006 par Open-Publishing1 commentaire

de Marcelo Colussi
Révolte : avant que ne se tiennent les élections présidentielles en République bolivarienne du Vénézuela, le 3 Décembre prochain, ne s’écouleront que deux mois à peine. Les tocsins des chapelles politiques auront soufflé sur les esprits portés au rouge vif et le laps de temps restant d’ici au scrutin final ne fera que les chauffer à blanc.
D’après les différents sondages qui remontent de tout le pays, tout indique que l’actuelle candidature de l’actuel président Hugo Chavez bénéficie d’une confortable avance dans l’ordre des préférences des opinions. Bien que les enquêtes varient selon la couleur idéologique de leurs commanditaires, toutes indiquent ces temps-ci une nette marge d’avance en faveur de Chavez, avec près de 60% d’intentions de votes - qui est approximativement le pourcentage historique avec lequel lui-même ou son mouvement on gagné toutes les élections précédentes.
L’opposition plafonne à 20%. Restent en lice pour l’instant de nombreux candidats : 10 au total. La situation s’est focalisée en tout état de cause entre ces 2 silhouettes : celle d’Hugo Chavez , et celle du candidat désigné par l’ambassade des €tats-Unis, en tant que représentant de l’Opposition, Manuel Rosales.
Cette dernière fut le résultat d’une manœuvre politique qui jeta aux oubliettes la promesse d’élections internes dans les rangs de l’Opposition ; d’un jour à l’autre, les autres candidats nominés pour ces primaires internes (Julio Borge et Teodoro Petkoff*) disparurent de la scène politique en laissant le champ ouvert à la voie imprimée par Manuel Rosales, en évaluant avec certitude les profils des possibles candidats en ces primaires et leurs chances réelles dans la course électorale finale. Les autres candidats présentant formellement leurs candidatures pour cette échéance du 3 Décembre n’existent pas comme forces politiques réelles. Elles font, en tout cas, partie d’une stratégie pensée par la Droite républicaine**. Ils ne disposent pas de gros moyens pour leurs campagnes, n’apparaissent pas dans le jeu politique préélectoral, ni devant la population votante, pour laquelle ils ne sont que des inconnus à peu près absolus.
On pourrait penser que toutes ces forces politiques (qui ne sont pas ce qu’elles paraissent) sont une manœuvre trompeuse de fragmentation de l’électorat, ou bien un élément d’un montage destiné à s’effacer au dernier moment de la compétition électorale pour créer le sentiment d’instabilité institutionnelle. Ce qui est clair, c’est qu’ils comptent pour du beurre en vue du 3 Décembre. Les cartes de l’Opposition sont vraiment dans la manche de Manuel Rosales, actuel gouverneur de l’Etat de Zulia.
Rosales s’appuie sur la classe moyenne urbaine. Il n’est pas le candidat des masses populaires, des secteurs marginalisés, de toute cette population des « ranchos »*** qui furent bénéficiaires ces dernières années des programmes sociaux du gouvernement révolutionnaire. Son message dégage une forte odeur anti-bolivarienne****, et c’est là le point central résumant sa campagne, ou presque.
Au-delà d’un discours prétendument conciliateur et d’ Union nationale, tout s’y propose de dénigrer les buts atteints par le processus impulsé sous la présidence de Hugo Chavez. Étant donné que la situation économique générale reste stable et prospère (voilà plus de 30 mois de croissance ininterrompue) au bénéfice de diverses couches sociales, le centre de son programme réside en un « anticommunisme » à la Papa caractéristique de la Guerre Froide.*****
Les leviers qu’il entend actionner durant sa campagne visent à s’attaquer d’un côté à la « dictature autoritaire », au « castro-communisme », en hystérisant une classe moyenne rendue peureuse par le fantôme des expropriations et en mettant l’accent sur la délinquance violente qui, selon la forme sous laquelle elle est présentée, constituerait le problème national majeur.
En mettant en évidence un manque total de solidarité, en rabaissant, en rabaissant les stratégies d’intégration latino américanistes, et en mettant l’accent sur les solutions individuelles, le message surligne « la fin du gaspillage de la richesse nationale », c’est-à-dire : stopper les politiques d’appui énergétique en faveur des peuples voisins et revenir sur les propositions de l’A.L.B.A.
Issue d’une ample culture politique de terreur face aux fantômes d’un communisme « mangeur d’enfants » provenant des décades passées, la classe moyenne à laquelle il s’adresse embraye sur ce discours. Ses indices d’opinion sont beaucoup plus élevés que ceux de n’importe lequel des autres candidats de l’Opposition.
Malgré que cela soit - et c’est fondamental - très éloigné des mobilisations en faveur de Chavez. Pourtant, tout le plan qu’a orchestré sa machinerie médiatico-électorale va dans le sens de diminuer l’appui à l’actuel président et enfler son niveau d’acceptation. La prémisse est simple : « Mens, Mens, mens, il en restera toujours quelque chose. » De fait, par exemple, loin des niveaux réels de diffusion de toutes les enquêtes accréditées, son appareil politique (avec l’appui de l’Ambassade des €tats-Unis) est à l’origine de la rumeur d’une différence dans l’option électorale chaque fois plus mince - Chavez ne devancerait aujourd’hui Rosales que d’un intervalle estimé à 10% - et, en l’État de Zulia, il serait déjà au plus haut dans les intentions du vote populaire.
Le montage médiatique est fort, et on sait que tout cela a un impact.
Le peuple bolivarien - c’est-à-dire la grande majorité de la population, les exclus historiquement, les « démunis » en son sens le plus large - continue de toutes façons à faire écho à son candidat, et la machinerie politique de la révolution ne cesse de faire un très bon travail. Tabler sur environ 10 millions de votes le 3 Décembre - 70% de l’électorat******n’est pas un objectif irréaliste.
Quels sont donc les scénarios possibles ?
Sans aucun doute multiples. Et en tous, la politique de Washington jouera un rôle actif. À l’heure actuelle, le Venezuela approvisionne à hauteur de 15% le pétrole que consomme le géant du Nord. Par ailleurs, les réserves pétrolières vénézueliennes -les plus grandes de la planète - assurent une rente régulière néanmoins, pour de nombreuse décades encore. C’est un point-clé pour comprendre ce qui se joue là. L’autre point-clé est la proposition socialiste en marche que dirige Hugo Chavez.
Un personnage politique de cette envergure qui est devenu une référence des Gauches et des forces progressistes au niveau international, dont l’action a servi à faire échouer la mise en marche du processus de néo colonisation promu par la Droite américaine, connu sous le nom d’A.L.C.A., et que cette action dirige une révolution en marche vers le socialisme, tout cela n’est pas tolérable par Washington.
Jusqu’ici, ils ont fait en sorte et ils continueront à faire l’impossible pour l’éliminer. Ce sont là des éléments déterminants pour comprendre la politique de l’Empire envers le Venezuela, et ce qui s’ensuivra du scrutin issu du 3 Décembre.
La Maison-Blanche permettra-t-elle que Chavez gagne sans encombres et continue à approfondir le processus amorcé en 1998 ? Non, sans aucun doute.
L’histoire est de toutes façons une matière plus complexe que les simples conspirations de la C.i.A. Il ne s’agit pas là que d’intrigues de palais ; les peuples comptent aussi /ont aussi leur mot à dire.
L’Empire entrave au maximum la réélection de Chavez, et au moins il livre bataille dans le camp démocratique-électoral. De telle sorte qu’il a placé un candidat « quelqu’un de confiance » au Venezuela. Malgré que tout indique raisonnablement que Rosales ne puisse l’emporter par les urnes.
Que fera Washington le 3 Décembre au soir, si le comptage des voix ne donne pas son candidat gagnant ?
Le Département d’État devra formellement accepter le vainqueur du scrutin, Hugo Chavez en l’occurrence ; mais cela restera une attitude à usage diplomatique. Dans l’immédiat son souci premier est d’empêcher que cela n’arrive, de miner ce chemin de mille obstacles pour qu’il ne puisse y avoir de mouvement bolivarien triomphant dans les rues, le jour venu.
Et cela implique la déstabilisation.
Que peut faire l’Empire ? Non pas négocier ; les Empires ne négocient que s’ils posent les conditions. De toutes façons, le raz-de-marée bolivarien ne cesse d’enfler, et cela ne peut s’arrêter aisément ; malgré le souvenir, qui reste dans l’air, de la mobilisation populaire massive qui empêcha la chute de Chavez, durant la tentative de coup d’État de 2002. Un autre coup d’État donc ? Une intervention militaire ? Une dénonciation du scrutin pour fraude ? Le discrédit jeté sur la régularité du scrutin, et la non reconnaissance de la légitimité du vainqueur ?
Les options sont multiples et variées. C’est un pur exercice de futurologie que d’envisager que peut bien tramer le gouvernement U.S. en cette occasion. Mais d’après l’information dont nous disposons, et en faisant une lecture à peu près objective de la situation, tout indique qu’il ne va pas rester les bras croisés. On spécule y compris sur l’éventuel assassinat de Manuel Rosales, comme moyen de compliquer le scénario : un martyr viendrait toujours à point et donnerait la possibilité de dénoncer ouvertement le « régime antidémocratique de Chavez » en ouvrant la porte à une intervention extérieure, via l’Organisation des États américains en tout cas. C’est dire si les options sont multiples et variées. On s’attend aussi - et ce furent là plus que de simples conjectures ; il y eut des tentatives concrètes que le gouvernement révolutionnaire a pu arrêter à temps - à la sécession de l’État de Zulia. Cela pourrait mener également à un scénario qui compromette sérieusement la marche du processus bolivarien : l’auto proclamation de Rosales gagnant les élections à l’échelle de son État, la réaction officielle le niant, et l’immédiate demande d’indépendance en tant que zone autonome, l’arrivée de forces extérieures pour maîtriser la situation. Ce schéma n’a rien de neuf, et pour autant qu’on sache il serait en préparation en Bolivie, sur les terres de la haute oligarchie de Santa-Cruz. C’est-à-dire : un nouveau montage médiatique, plus que jamais destiné à l’opinion publique internationale, qui favoriserait une intervention de Washington « digestible » de par le monde entier.
Il n’y a rien d’improbable à ce qu’on cherche à générer des actions de déstabilisation urbaine les jours précédents les élections en créant un climat d’ingouvernabilité. Les mercenaires, selon les rapports répétés, seraient déjà prêts à entrer en action. La terreur sert toujours à des fins destabilisatrices, et il n’y a aucune nouveauté en cela que les gouvernements nord-américains peuvent se prévaloir d’un palmarès fourni.
La fraude proprement dite, en termes techniques, sera sans aucun doute très difficile à dénoncer, étant donné les observateurs internationaux présents en nombre lors de la joute électorale. De toutes façons, il ne faudrait pas s’étonner qu’à travers la machinerie médiatique la Droite nationale - toujours avec l’appui nord-américain - Construise un scénario qui l’autorise à sortir hurler aux quatre vents que le processus n’aura pas été transparent. Une fois de plus : « Mens, mens, mens, il en restera toujours quelque chose ».
Avant tout la tâche du gouvernement et du peuple organisé reste d’approfondir la mobilisation et la prise de conscience comme unique moyen de se préparer à tout type de manœuvre de déstabilisation.
L’unique garantie de s’approfondir que recèle la révolution est son organisation populaire ; pour preuve : ce que cela a apporté aux peuples qui ont menés à bien leurs processus anti-impérialistes et socialistes au cours du XX° siècle (seuls Cuba et le Vietnam ne sont pas revenus en arrière), et les récents évènements, durant le coup d’État de l’année 2002 au Venezuela. Sans peuple organisé il n’y a pas de changement social envisageable ; les élites sont ainsi faites : élites qui feront l’impossible pour maintenir leurs privilèges. Les révolutions sont par essence un pouvoir du peuple, et seul le pouvoir d’en bas, la démocratie participative, le dépassement de la mascarade démocratico-bourgeoise peut garantir le changement réel.
Et si Hugo Chavez l’emporte, avec les 10 millions de voix qu’il s’est fixé pour objectif, cela ne veut en rien dire que le combat s’arrêtera là. Commencera là, en tout cas, une nouvelle phase : l’approfondissement du socialisme du XXI° siècle.
Marcelo Colussi
Traduit en Français par Jim Broglio, à Nîmes, le 19 0ctobre 2006 ; 14 h15.
Notes de bas de pages :
*Teodoro Petkoff : leader milliardaire et dirigeant du M.A.S. (Movimiento Accion Socialista), sorte de P.S.U. local, issu de la fin de la Guerre Froide et de l’enthousiasme pour la Révolution cubaine, et passé du « foquisme » des années 60-70 au réformisme parlementaire ;à cheval, dans les années 1980, entre un basisme efficace à la gauche d’A.D. (Accion Democratica = section vénézuelienne de l’Internationale socialiste, type notabilité droitière et gestionnaire : Uslar Pietri écrivain) et ouvertures libérales de centre-gauche. A compté plusieurs députés à la Chambre des D., qu’on appelle « Senado » au Venezuela.
**La Droite vénézuelienne : une aile Atlantiste et la Démocratie-Chrétienne, avec les traits qu’on lui connaît en Italie, mais le clanisme des familles gaullistes de la Droite catholique, bonapartistes et de la Haute société protestante française, en plus, le Venezuela ayant calqué ses institutions sur celles de la République française, auprès de laquelle, la jeune république Bolivarienne, constituée en État, dépêcha un ambassadeur, Miranda, dès avant 1789. Très curieux et féru des formes que prenaient les journées révolutionnaires, Miranda, fréquentait les cabarets à libelles, révolutionnaires et ... « Tricoteuses », et était reçu à la Cour. Cela finit par lui valoir des ennuis, puisqu’il fut emprisonné comme « conspirateur » et condamné à être guillotiné lors de la Terreur de 1793 ; il fut pourtant arraché aux mains de son bourreau par la foule, qui le reconnut.
*** « ranchos » : ce sont les favelas de Caracas, ou les quartiers à l’abandon, tel le quartier insurrectionnel du « 9 Mai » qui connaissent des problèmes d’assainissement des eaux, d’équipement, et de la matière même des programmes sociaux.
**** Simon Bolivar et Maria Lionza : le Libertador est la figure emblématique fondatrice de la nation venezuelienne inspirée du Rationalisme des Lumières. Cette figure est indissociable au Venezuela, de celle de Maria Lionza, figure d’esclave yoruba-guajira-caribe-affranchie , et emblème du positivisme d’Auguste Comte, d’Ordre et de Progrès social, très voisin de celui du Brésil. C’est une influence qui vise surtout à cimenter les classes moyennes, dont la condition peut varier selon la région : montagnes et plaines de l’Oest, llano du Centre et Jungle de l’Est . Si l’on pense à la sympathie immédiate qu’ont rencontré et Fidel Castro et la révolution cubaine au Venezuela « voisin », c’est non seulement face à l’impérialisme américain qui leur était commun, mais aussi par les traits caraïbes qui leur sont communs : le métissage, une société créole et une classe moyenne d’ascendance espagnole, méprisée par des Grands bourgeois commerçants hollandais, souvent embusqués dans les postes-clés d’influence stratégique. C’était une société qui avait tous les aspects d’un Apartheid « en douceur » en 1981.
*****Guerre Froide : période ouverte par la fin de le Seconde Guerre mondiale et la Guerre de Corée, jusqu’à la Crise des fusées de 1961, qui ouvrit l’époque dite de « Coexistence pacifique » entre les deux blocs U.S.A. et U.R.S.S. (aujourd’hui C.E.i.)
******En 1980, il y avait 20 000 000 d’habitants recensés au Venezuela sur un territoire grand comme une fois et demi la France...
Messages
1. > Elections au Venezuela : que font les États-Unis ?, 19 octobre 2006, 22:55
"Un personnage politique de cette envergure..."
...ça serait qui, ici, en France ? Pour lutter contre le capitalisme sauvage, l’ultralibéralisme, les "cachorros" (petits chiens) qui vont faire allégeance à Bush en montant sur un tabouret, les voraces captateurs d’EDF-nucléaire, les coyottes de la CIA - ici présents ?
Ou alors ici ce n’est pas nécessaire ?