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Elémentaire, architecture

Publie le samedi 8 octobre 2005 par Open-Publishing

de Fabrizio Violante traduit de l’italien par karl&rosa

Une ancienne et fascinante suggestion survit depuis des siècles dans la pratique architecturale : dans le troisième tome de son De Architectura, Vitruve démontre la perfection et l’harmonie du corps humain en décrivant comment la figure d’un homme, les bras et les jambes ouverts, s’inscrit exactement dans les figures géométriques les plus parfaites, le cercle et le carré.

"L’homme, avec la sûreté que donne le savoir, a fait de lui-même la mesure de toutes choses, assimilant le monde à sa minuscule humanité", écrit Worringer, et l’image de l’homo ad circulum et ad quadratum a eu beaucoup de succés, en influençant ainsi les aspirations architecturales idéalisantes de la Renaissance et ses présomptions anthropocentriques.

Le cercle, le carré, les figures géométriques élémentaires, les proportions, la symétrie sont les éléments par lesquels depuis toujours les architectes essayent d’ordonner leurs propres constructions.

La maladie pour les formes primaires et les canons proportionnels a touché aussi des personnages fondamentauxde l’architecture moderne : comme Le Corbusier qui tenta, d’abord par ses tracés régulateurs et ensuite par la formulation du modulor, de créer un système proportionnel basé sur le nombre d’or ; ou comme Louis I. Kahn, qui donna vie à des constructions monumentales hors du temps basées sur les formes archétypiques et les compositions géométriques élémentaires ; ou encore Oswald Mathias Ungers, qui a souvent déclaré une véritable obsession pour le carré, dont la forme abstraite et régulière libérerait l’architecture de tout arbitraire et de tout hasard. Notamment à propos de l’œuvre de l’architecte allemand, Fritz Neumeyer explique que "déjà en raison d’un simple motif pragmatique les grands projets, dont la réalisation, de l’ébauche à l’exécution, s’étale sur dix, quinze ans, rendent conseillable une aspect le plus possible supra temporel, auquel le recours au carré assure une aura d’éternité"...

Le thème de la durée (et de la gravité) revient aussi dans les mots - et dans les réalisations - de l’architecte tessinois Mario Botta, lequel s’est exprimé plusieurs fois dans les termes d’une architecture ramenée à ses formes primordiales, "capable de parler d’histoire, de mémoire, d’avoir un rapport plus amical avec le passé".

Ceux qui ont visité l’exposition consacrée à ses Architectures du Sacré, jusqu’à juillet dernier à la Gypsothèque de l’Institut d’Art d’Etat de Florence, n’ont pu manquer de constater que Botta est, justement, un architecte du cercle et du carré : ses architectures élémentaires, aux volumes purs, s’élèvent isolées dans leur stéréométrique, minérale immobilité. Botta cite et se cite, en donnant la vie à un langage, à un style personnel, incomparable et abusé.

On doit à Mario Botta le projet du Mart, le nouveau musée d’art moderne et contemporain de Rovereto, rare exemple en Italie d’édifice public de nouvelle construction pensé comme point de référence "en matière de disciplines artistiques, de didactique de l’art, d’étude, d’archivage et de recherche des plus importants phénomènes de l’histoire de l’art national et international de l’âge romantique à aujourd’hui" ; en somme une version de chez nous du parisien Centre Pompidou.

Toutefois, à la différence du musée de Piano et Rogers, geste architectural significatif et radical à l’intérieur de la structure urbaine historique de la capitale française, le Mart, même s’il est l’édifice le plus représentatif (et vaste) de la petite ville du Trentin, ne se voit pas, il n’a même pas une façade sur la rue : bien loin de solutions plus audacieuses comme la Kunsthaus à Graz de Cook et Fournier ou l’Eyebeam à New York de Diller + Scofidio, pour ne citer que quelques exemples, Botta propose une architecture qui se cache, renonce à s’affirmer et, au contraire, recule par rapport aux préexistences historiques.
Construit en effet derrière deux palais du 18ème, Palazzo Alberti et Palazzo dell’Annona, le Mart se développe autour d’un imposant vide circulaire, surmonté par une coupole en acier et verre, et selon un plan carré et symétrique ; à l’intérieur, des espaces neutres white cube fonctionnels, pour les collections et les lieux de service.

Le Mart est certainement un musée qui remplit sa fonction, et pourtant il est évident que l’architecture, étant donné aussi le grand potentiel des technologies actuelles, devrait emprunter de nouveaux chemins, chercher de nouveaux contenus, se donner une plus grande liberté de distribution des espaces "je crois que la géométrie ne doit pas être simple, mais instable et ambiguë [...]. La nouvelle beauté est extrêmement dynamique", avertit Toyo Ito, en se souvenant peut-être du conseil de Paul Claudel : "Si l’ordre est le plaisir de la raison, le désordre est le délice de l’imagination"...