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Embrouilles sur le chantier du journal « Le Monde »
Publie le vendredi 13 août 2004 par Open-PublishingEmbrouilles sur le chantier du journal « Le Monde »
TRAVAIL CLANDESTIN
L’Urssaf soupçonne des conditions d’emploi illégales pour les ouvriers de sous-traitants étrangers
La liste des irrégularités enregistrées sur le chantier du futur siège du journal Le Monde, boulevard Auguste-Blanqui à Paris (XIIIe), n’en finit pas de s’allonger. Bouygues est la principale entreprise en charge des travaux et une multitude de sociétés sous-traitantes, certaines étrangères, l’épaulent. Point de départ de l’affaire, sept ouvriers turcs de l’entreprise Metal-Veyapi-Sistemleri Ticaret se mettent en grève le 28 juin dernier. Ils dénoncent leurs mauvaises conditions de travail et protestent contre le paiement d’un salaire trois fois inférieur à ce qui avait été convenu. « Ils travaillaient six jours par semaine de 7 h à 20 h, et ne disposaient que d’un revenu de 450 € net par mois, relate Bernard Pracht, responsable CGT de la coordination interfédérale du groupe Bouygues. Et c’est parce qu’ils ont été menacés qu’ils ont repris leur travail le 19 juillet. » Ismail Boyraz est l’un d’entre eux. Il est devenu le porte-parole officieux du petit groupe. Il sait que fin octobre, lorsqu’il regagnera son pays, il sera mis à la porte par son employeur. « C’est un peu comme une punition, le prix à payer pour avoir protesté », nous a-t-il expliqué hier.
Car, depuis la fin juin, les choses ont évolué. L’inspection du travail et l’Urssaf se sont rendues sur place à plusieurs reprises. Avant-hier, Lucien Contou, chef de la division de lutte contre le travail illégal de l’Urssaf, a procédé à un deuxième contrôle inopiné. « On m’a d’abord refusé l’accès au chantier. Puis un conducteur de travaux salarié de Bouygues m’a fait faire une promenade de tourisme pour permettre aux salariés qui n’étaient pas en règle de s’échapper. J’ai trouvé des postes de travail vides alors que le moteur des engins fonctionnait encore, et j’en ai vu un partir en courant. De même, des salariés non déclarés portaient des badges de sous-traitants », raconte-t-il.
L’interprète des 19 salariés de l’entreprise turque, qui déchiffre les plans et organise le travail, ne dispose que d’un visa de tourisme qu’il a déjà dû faire renouveler en Turquie. Si de nombreuses administrations s’intéressent de près à la société turque, c’est qu’elle cumule les anomalies. Alors que les ouvriers dépendent de celle-ci, c’est avec sa filiale belge, Metal Yapi, que Bouygues a passé le marché. C’est encore Bouygues qui s’est chargé, le 12 mars, de leur demande d’autorisation de travail auprès de la Direction départementale du travail des Yvelines où se trouve son propre siège. « L’autorisation a été obtenue en quatre jours. D’habitude, les délais sont plus longs », souligne Bernard Pracht. Selon Lucien Contou, « l’entreprise turque aurait dû réaliser ces démarches auprès de la Direction départementale du travail de Paris, puisque c’est là que se trouve le chantier ». Considérant que la convention de réciprocité passée avec la Turquie pour la Sécurité sociale n’a pas été respectée, l’Urssaf va chiffrer les cotisations et en demander le règlement à Metal Yapi. Si celle-ci n’en honore pas le paiement, l’Urssaf se tournera vers Bouygues.
Corinne Caillaud et Camille Sayart
[13 août 2004]
Le Figaro