Accueil > "En Iran, la parenthèse sera difficile à refermer"
"La société iranienne est plus complexe" que les deux visages de l’Iran qui semblent se détacher à la suite des manifestations post-électorales, d’après Fariba Adelkhah, directrice de recherche au CERI, spécialiste de ce pays*.
Quelle qu’en soit son issue, cette crise aura plus qu’égratigné le régime, explique-t-elle à LEXPRESS.fr.
"- Dans les rues de Téhéran, les pro-Moussavi manifestent d’un côté, les pro-Ahmadinejad de l’autre. Est-ce le reflet d’une division entre deux Iran ?
Effectivement, on dit souvent que ceux qui soutiennent Moussavi sont plus sensibles à la modernité, plus jeunes ou plus riches, alors que les plus défavorisés, les ruraux et les traditionnalistes soutiennent Ahmadinejad. A gauche, les réformateurs, des défenseurs de l’Etat qui seraient culturellement plus ouverts. A droite, les conservateurs, des libéraux sur le plan économique qui tiennent à la tradition culturelle. Mais la division des "deux Iran" ne tient pas vraiment si l’on creuse un peu.
– En quoi est-ce plus compliqué ?
La société iranienne n’est pas si compartimentée. Tous les jeunes ne sont pas dans le camp pro-Moussavi, ni d’ailleurs tous les pauvres dans celui d’Ahmadinejad.
Et puis si l’on regarde le parcours des quatre candidats à l’élection présidentielle, on se rend compte que ce sont quatre ténors d’une même République. Le président sortant faisait face à un ex-premier ministre, un ex-président du Parlement et un ex-commandant des Gardiens de la révolution. Tous les quatre sont partie prenante du système politique et en reflètent certaines évolutions.
– Comme Barack Obama, pensez-vous donc que l’Iran de Moussavi ne varierait pas beaucoup de l’Iran d’Ahmadinejad ?
Il y a peu de différences. Leurs projets diffèrent peut-être au niveau de la distribution de la rente pétrolière : Moussavi favoriserait davantage le monde des entreprises et une politique d’investissement qu’Ahmadinejad... Mais aucun candidat à l’élection présidentielle ne peut mettre en oeuvre seul ses promesses de campagne. En Iran, les instances de pouvoir sont nombreuses, le régime très collégial : il n’aurait pas pu imposer une décision personnelle du jour au lendemain.
Cette élection aurait pu être un non-événement étant donné qu’il s’agissait d’une compétition entre quatre représentants d’un même régime, avec des projets économiques ou politiques qui diffèrent dans les nuances.
Toutefois les conditions de la campagne électorale ont peu à peu changé cette donne. Les élections sont un moment de débats qui peuvent faire tomber des tabous. Par exemple sur le nucléaire : si aucun des candidats n’est opposé à cette technologie, au lieu de la présenter comme une composante du nationalisme iranien, Moussavi a avancé qu’elle ne serait plus une priorité si elle fragilisait le développement économique du pays, en raison des sanctions économiques internationales que cette question faisait peser sur le pays.
– On a fait le parallèle avec la révolution de 1979 ou le soulèvement de 1999... Mais ceux qui soutiennent Moussavi, un enfant du régime, ne sont donc pas dans une démarche "révolutionnaire", selon vous ?
Non, ce n’est pas une révolution, en tout cas pas aujourd’hui. Ils contestent des résultats, dénoncent des fraudes. Ils sont menés par trois candidats issus du régime iranien, ils ne se révoltent donc pas contre lui.
-Ne veulent-ils pas davantage de réformes ?
Ils veulent des réformes économiques, une liberté d’expression politique plus grande, la fin de discriminations sans fondement légal ni religieux... Mais ces aspirations sont présentes depuis 15 ans dans la société iranienne, restent relativement vagues et, ne remettent pas en cause le cadre légal du régime.
-Le candidat malheureux au scrutin présidentiel demande que d’autres élections soient convoquées. Cela vous semble-t-il probable ?
Si de nouvelles élections étaient convoquées, ce serait l’aveu que des fraudes ont bien eu lieu, que des failles existent. Aux yeux des défenseurs du régime, ce serait un précédent difficile à gérer...
Mais l’autre solution n’est pas non plus idéale... Elle consiste à accepter la victoire d’Ahmadinejad. Or celui-ci, pendant la campagne, a lancé de graves accusations de corruption contre les trois gouvernements qui l’ont précédé avant 2005 : ceux de Moussavi, Rafsandjani et Khatami. De tels propos ont mis en cause au-delà de ces responsables la légitimité du système politique et par là-même ont fragilisé la propre position d’Ahmadinejad...
Quelle que soit l’issue de cette crise, la parenthèse sera difficile à fermer.
* Bio express
Fariba Adelkhah est anthropologue de formation. Elle a publié plusieurs ouvrages dont Etre moderne en Iran (Karthala, 2006, collection recherches internationales) ou Iran (Le cavalier bleu, 2005, collection Idées reçues).