Accueil > Enfance et révolte (sur une manifestation d’écoliers algériens)

Enfance et révolte (sur une manifestation d’écoliers algériens)

Publie le jeudi 6 janvier 2011 par Open-Publishing

Je viens de lire un article de El-Watan (quotidien francophone algérien) dans lequel son auteur s’étonne de ce que des enfants de 12 ans soient descendus dans la rue, mercredi 5 janvier, pour protester de façon véhémente contre leurs conditions de scolarisation, tandis que, dans d’autres villes algériennes, des étudiants se battaient contre la police. J’ai pu, à plusieurs reprises, faire partie de ces bonnes âmes qui reprochaient aux collégiens français de bloquer leurs établissements et de nous suivre, nous, « grands », dans nos délicieuses récréations. Je suis encore jeune, étant né en 1991, et je crois être en droit de dire que j’étais un sinistre con, doublé d’un hypocrite, ayant participé pour la première fois à un mouvement social avant même d’avoir 14 ans. Il est évident que nous assistons au réveil d’un sentiment de colère que ne partagent pas nécessairement -en tout cas pas avec la même force- nos aînés, quand ils ne le combattent pas.

En Grèce, en France, au Royaume-Uni, en Italie, et désormais en Tunisie et en Algérie, c’est au sortir de l’enfance qu’on mène la guerre au « monde des adultes ». Une nouvelle conscience est née, qui repose sur le rejet complet de ce que ce monde puisse être l’objectif d’une quelconque maturation : nombreux sont ceux qui refuseront d’y grandir. Alexis n’avait que 15 ans lorsqu’une balle de la police l’a fauché dans une rue d’Athènes. Zied et Bouna n’était pas plus âgés. L’innocence n’a plus sa place dans nos gestes, dans nos paroles, car nous savons, dès le premier contrôle de police, dès la première expression de l’injustice en milieu scolaire, dès l’annonce de la mort d’un des nôtres, que quelque chose ne tourne pas rond. Et cette certitude paraît toute neuve.

J’ai récemment fait l’acquisition du Petit livre rouge des écoliers et lycéens, qu’on m’avait à plusieurs reprises présenté comme un ouvrage de subversion. Il m’a paru d’une naïveté impardonnable, d’une fadeur incommensurable, d’un conservatisme bon teint. Peut-être parce qu’il n’est, somme toute, que l’expression d’une réconciliation possible, d’un espoir vaguement inconscient de consensus, y compris sur les thématiques les plus brûlantes de l’époque (la consommation de drogue, la sexualité libre, l’IVG, etc...) qui me paraît insupportable, dès lors que je sais pertinemment que ce consensus a vécu.

L’indignation de l’enfance morte face au vieux monde me paraît être un moteur fondamental de la révolution au XXIème siècle. Il est dommageable qu’il faille parfois attendre que cette indignation soit mortelle pour que l’adulte s’interroge sur son statut social, et sur la prégnance du conflit dans sa vie quotidienne. D’ailleurs, je ne résiste pas, en guise de conclusion, à vous proposer ce court extrait de l’article d’El Watan, qui me paraît traduire tout le potentiel des révoltes les plus juvéniles : « Hébétés par le courage et la détermination de ces écoliers, les policiers et les gendarmes se sont contentés dès lors d’observer ce mini rassemblement populaire en attendant l’arrivée des parents de ces élèves protestataires. » L’article ne dit pas qui les parents étaient venus tancer. A suivre, donc.

Article bientôt publié sur le blog http://la-guerre-dans-lame.over-blog.com