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Entretien avec Nancy Morejon : "Contre les idées rétrogrades, le poids de la Caraïbe"

Publie le lundi 6 novembre 2006 par Open-Publishing

de Marie-Dominique Bertuccioli

Nancy Morejon, poétesse et essayiste cubaine, Prix National de littérature 2005 qui a assisté à Paris à la rencontre célébrant le 50è anniversaire du premier congrès des écrivains et artistes noirs de 1956.

" Il n’y a pas de sous développement dans le domaine de la création, de la condition humaine "

" La leçon la plus importante du premier congrès des écrivains et artistes noirs est que la race reste une question tenace, que le discours racial est hélas bel et bien vivant. Nous devons rappeler que le racisme est la conséquence des actions des autres, non des personnes d’origine africaine. " C’est ce que signalait, il y a peu, Wolé Soyinka, nigérian, Prix Nobel de littérature qui se trouvait à Paris pour la rencontre qui célébrait les 50 ans de cet événement majeur. Nancy Morejon débat avec Radio Havane Cuba :

Nancy Morejon, qui affirme avec force que la Caraïbe existe et a son message propre, malgré la colonisation devenue rampante, nous transmet d’abord la réflexion que lui inspire la situation des immigrants en Europe en général et en France en particulier avec ce qu’on a appelé " la révolte des banlieues ".

" On voit tout un projet de blanchir Paris, de remplacer la force de travail que donnent les Africains par les ouvriers de l’Europe ex-socialiste. Le socialisme a failli, est mort et ils sont venus à Londres ou à Paris. Donc, nous voyons une attitude aveugle qui provient du colonialisme.

Il faut toujours revenir sur les classiques qui nous ont appris à penser, à réfléchir sur le dénominateur commun de toutes ces problématiques, c’est-à-dire, le colonialisme. Je crois que le trait qui crée une situation uniforme, c’est justement de savoir qu’on a un statut colonial. C’est très important.

La Caraïbe est très sensible, au cour de cette problématique, de cette histoire. Nous devons revisiter Fanon, il faut revenir sur les questions des Arabes, sur les cultures de ce qu’il a nommé le Tiers monde, cela existe encore. J’ai constaté au congrès auquel je viens d’assister à Paris, qui a célébré le cinquantenaire du Congrès des artistes et des écrivains noirs de Paris en 1956, qu’il y a un esprit de connaissance du fait que les immigrants africains doivent savoir leurs antécédents et voir comment leur lutte doit s’encadrer dans cet esprit de ceux qui ont vécu ce qu’ils sont en train de vivre maintenant. Ce n’est pas nouveau, c’est quelque chose qui est dans la racine du colonialisme. J’ai admiré les communications, les gens qui, au Congrès, ont rapporté leur présent avec ce passé colonial qui existe toujours.

Nancy Morejon réagit à la loi votée en France en 2005 qui oblige les enseignants à mettre en exergue auprès de leurs élèves les " aspects positifs " de la colonisation et qui, assez curieusement n’a vraiment été condamnée massivement qu’à la Martinique et la Guadeloupe.

" C’est de la barbarie de dire que la colonisation est une chose positive, il y a la langue française, la langue espagnole et la langue anglaise, c’est un héritage dont je suis tout à fait fière, mais les structures, la pensée, les blessures psychiques qu’ont subies les peuples qui ont été soumis à l’esclavage . Comment peut-on dire une telle chose ? La colonisation s’est faite sur la torture, nous parlons aujourd’hui de tortures en Amérique du Sud, les esclaves ont subi des tortures, c’était un principe de normalité, de torturer un être humain parce que c’était un esclave. Donc, il faut revenir absolument sur le fait qu’un esclave est une chose, on nous traite comme des choses parce que nous sommes des descendants des esclaves. Nos identités viennent de cette racine, nous devons le savoir.

Ce qui se passe actuellement à Paris est quelque chose de très extrême, on va le trouver dans plusieurs grandes métropoles de l’Europe parce qu’il va y avoir la contradiction absolue entre un prolétariat qui vient des pays de l’Est qui ont disparu et les immigrants qui viennent du Tiers Monde, de l’Afrique du Nord, de n’importe où et je trouve que c’est très important de voir que c’est un Caribéen - Frantz Fanon était Martiniquais, c’est un homme qui avait l’expérience coloniale - aux Amériques, au cour de la Caraïbe, mais, lui, il a jeté les liens avec les Algériens, les pays francophones de l’Afrique, le Sénégal, c’est tout un monde même s’il n’est pas un paradis du point de vue des idéologies. Dans cette histoire, nous devons chercher, rechercher, voir, revenir, revisiter la pensée des hommes comme Fanon, Léopold Senghor ou Césaire qui est encore vivant et qui a dit les choses ouvertement à Nicolas Sarkozy. "

Alors une question se posait : " Et Cuba dans tout cela ? " Nancy Morejon a répondu :

" Au coeur. C’est Ernesto Guevara qui a fait publié Fanon, il y avait une maison d’éditions qui s’appelait Venceremos et c’est là qu’il a publié pour la première fois " Les damnés de la Terre ". C’est là que j’ai découvert les ouvrages d’Aimé Césaire, de Senghor, que j’ai commencé à étudier cette littérature qui est très importante pour la fin du siècle. Cuba a regardé son essence, sa nature de peuple du Tiers Monde en face de l’Afrique qui est une des composantes de notre identité. À propos même de l’Asie, toute la compréhension de notre pays envers la guerre du Viêt-nam, ne s’est pas faite seulement parce que c’était une invasion des Etats-Unis, de l’Empire, mais aussi parce que Hô Chi Minh appartenait à ce mouvement afro-asiatique, d’après la conférence de Bandoeng, où les indépendances étaient très importantes. Hô Chi Minh était aussi un poète. C’était un homme qui jetait un oil critique sur la colonisation. Il y avait une présence du colonialisme français mais, quand je parle du colonialisme, je ne parle pas de la culture française, c’est tout à fait différent. Quand on parle de l’impérialisme, ce n’est pas Whitman ou Alice Walker, ce sont des administrations politiques. "

Nancy Morejon, chercheuse, essayiste, poétesse, conclut sur ce que peut être l’apport de la Caraïbe à ce débat .

" L’idée du Tiers Monde est née dans la Caraïbe. La confrontation entre l’Occident et l’Europe est née dans la Caraïbe. Il faut nous rappeler une conférence d’Alejo Carpentier qui a créé le Centre d’études de la Caraïbe, sur ce qu’il a appelé la culture des peuples qui habitent la Caraïbe. Il disait que la Caraïbe est l’endroit où, pour la première fois, se sont rencontrées toutes les races du monde et leurs cultures. Ici est née la conception du Tiers Monde, non parce que Fanon l’a créée, mais parce qu’il était un Martiniquais qui partageait l’expérience coloniale de la France.

Je trouve qu’il y a eu une amnésie dans le dernier quart de siècle, dans ce sens-là. On a oublié nos classiques, les gens qui nous ont appris à penser, à réfléchir sur notre passé. La Caraïbe est très riche, nous avons là un mouvement de reconnaissance de l’Afrique, pas comme un mythe, mais comme une composante d’une culture métisse. Dans la Caraïbe, il y a eu Cuba, il y a eu Haïti, des arts, de la littérature, de la musique, les produits les plus attractifs du siècle dernier. Quand on parle de Bob Marley, du reggae, des Jamaïcains ont remporté une victoire pour leur culture à Londres, aux Etats-Unis et partout dans le monde. Cela fait aussi partie du mystère de la diversité. Ces manifestations d’art et de musique nous relient, nous permettent de comprendre, nous font une grande faveur, la faveur l’échange.

Dans les domaines de l’art, de la littérature, il n’y a pas de sous développement, il existe sur le plan de l’économie, mais pas sur le plan de la création, de la condition humaine. "

Source : www.radiohc.cu