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Equateur : à nouveau un horizon de changement

Publie le dimanche 15 octobre 2006 par Open-Publishing

Election présidentielle le 15 octobre

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par SERPAL

Un début apathique et sans grandes expectatives

La campagne électorale pour les élections présidentielles du 15 octobre prochain s’est déroulée dans un contexte de forte apathie des citoyens, déçus par les échecs successifs des gouvernements élus ces dernières années. Le plus retentissant fut celui du colonel Lucio Gutiérrez, qui a gagné les élections avec l’appui de nombreux secteurs sociaux comme l’important mouvement indigène. Il a dilapidé ce soutien en quelques mois en exerçant des politiques néolibérales, montrant une claire dépendance vis-à-vis de la Maison blanche. Tout le contraire de ce qu’il avait promis dans sa campagne électorale. Il a fini par fuir le pays, sous la pression d’une grande révolte populaire [1]. Depuis 1997, aucun président équatorien n’a terminé son mandat. La méfiance de la population envers les présidentiables augmente encore plus quand il s’agit des parlementaires. Les enquêtes montrent que plus de 90% des Equatoriens n’ont pas confiance dans le Congrès national. C’est dans ces perspectives floues que s’est déroulée une grande partie de la campagne, dans laquelle le poids des partis traditionnels a prédominé. Le dimanche 15 octobre, un peu plus de neuf millions d’Equatoriens sont convoqués pour élire leur président et leur vice-président, les députés et les conseillers municipaux. Les sondages indiquent également que si le vote n’était pas obligatoire, seuls 32% des citoyens en âge de voter seraient disposés à exercer ce droit.

Tout est sous contrôle

Jusqu’à la fin août, tout semblait « sous contrôle » pour les partis traditionnels. Luis Macas, le candidat du parti indigéniste Pachakutik n’arrivait pas à « décoller » et avait de grosses difficultés à établir une cohésion au sein de cette grande force sociale à cause des personnalismes subsistant depuis les divisions provoquées dans le mouvement [indigène] par son soutien et son implication partielle dans le gouvernement désastreux de Lucio Gutiérrez [2]. Sur 18 candidatures présentées, les sondages attribuent à León Roldós, du Réseau éthique et démocratie (Red Etica y Democrática), allié au parti Gauche démocratique (Izquierda Democrática), 26% des intentions de votes. Il se définit lui-même comme social-démocrate. La deuxième place, avec 16%, reviendrait à Cinthya Viteri, du Parti social-chrétien (PSC, Partido Social Cristiano), de droite. Et, tout juste derrière, avec 14%, le magnat de la banane Alvaro Novoa. Pour l’ambassade étasunienne à Quito, le panorama était aussi rassurant. Inquiets de la « contagion » de victoires électorales de présidents et de mouvements aux degrés divers d’autonomie vis-à-vis de la Maison blanche, ils suivaient avec attention le processus préélectoral parce que l’Equateur est une pièce maîtresse au sein des pays andins. Les Etats-Unis et les grandes multinationales veulent éviter que l’Equateur ne rejoigne l’axe Venezuela-Bolivie qui mettent en oeuvre des politiques indépendantes et qui se sont distanciés de la proposition de Washington d’un traité de libre-échange (TLC, sigles en espagnol) au profit de leurs propres intérêts économiques. Pour eux, Roldos et Viteri représentent deux faces d’un même programme. Le premier représentant un néolibéralisme « à visage humain » et la seconde un néolibéralisme aux tendances autoritaires. Si ces deux candidatures passaient au deuxième tour parce qu’elles n’auront pas obtenu plus de 40% des voix, ils seraient à l’abri de tout « imprévu ». Mais ils n’ont pas envisagé la possibilité que, dans les dernières semaines de la campagne, un des candidats qui ne figuraient pas parmi les quatre premiers, puisse remonter de façon spectaculaire.

Avancée inespérée

Rafael Correa, ex-ministre de l’Economie de l’actuel gouvernement par intérim d’Alfredo Palacio, s’est lancé, quasiment sans structures propres, dans la course présidentielle. Il a réussi à rallier différents secteurs pour composer sa force politique, Alliance pays (AP, Alianza País). Et il a ajouté qu’il ne présenterait pas de candidatures au Congrès, car il le considère comme un organisme corrompu et obsolète. Sa proposition est que, s’il est élu, il convoquera une Assemblée constituante pour fonder la Troisième République (une expérience similaire à celle développée ces derniers temps par le gouvernement bolivien élu d’Evo Morales). Cette dernière proposition répond au souhait d’une grande partie de la population équatorienne, lassée de l’inefficacité de ses institutions et de règles qui ne permettent pas une démocratie participative vraiment plurielle et progressiste. En quelques semaines, Rafael Correa a réussi à remonter son faible score jusqu’à atteindre dans le dernier sondage officiel le ballottage technique avec Roldós. Certains instituts de sondages lui accordent même la première place avec une différence de plusieurs points sur son rival social-démocrate.

Cible héréditaire des politiciens

Dans les partis traditionnels, lorsque l’on s’est rendu compte de son avancée, on n’a pas hésité à le désigner comme cible principale des campagnes. Ils ont recouru, pour cela, à un argument qui a réussi à la droite péruvienne pour freiner l’avancée du candidat « anti-système », Ollanta Humala [3] : l’accuser de sympathiser avec le président vénézuélien Hugo Chavez. Mais, dans ce cas, la manœuvre ne semble pas avoir donné les mêmes résultats. Peut-être parce que, au moins jusqu’à maintenant, le dirigeant de la révolution bolivarienne n’a pas fait montre d’un soutien excessif ni à Correa, ni au processus électoral équatorien. Le profil de Correa ne permet pas non plus de comparaisons avec Chavez ni dans la forme ni dans les modalités d’action. Mais il y a une similitude dans la volonté d’exercer une politique indépendante des Etats-Unis, au point de s’être engagé à ne pas signer le TLC et à ne pas renouveler la convention pour l’utilisation de la base aérienne de Manta [4] sur le Pacifique par l’armée des Etats-Unis. Correa ne cache pas son intention d’établir des accords politiques et commerciaux de bénéfices mutuels avec le gouvernement du Venezuela. Aux Etats-Unis, il s’est réuni avec ses compatriotes qui ont émigré par dizaines de milliers dans ce pays. Il s’est alors engagé à lancer une réforme du système électoral qui permette la représentation des émigrants, qui pourraient élire six représentants directs, deux pour ceux qui résident aux Etats-Unis, deux pour ceux qui vivent en Europe et deux autres pour ceux qui résident dans des pays latino-américains.

Ses collaborateurs

Dans son entourage immédiat, il compte sur quelques collaborateurs qui ont une trajectoire reconnue dans le domaine social et politique équatorien. Selon ce que nous indique Nelson Núñez Vergara [5], ex-directeur de la planification de la Confédération des Nationalités Indigènes de l’Equateur (CONAIE, Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador), un de ces hommes est Alberto Acosta, économiste et membre du Forum Equateur alternatif. Il fut, à un moment, promoteur du parti indigène, Pachakutik, et s’est fermement opposé à la dollarisation du pays. Acosta pourrait occuper le ministère de l’Energie et des Mines dans le possible gouvernement de Correa. Quelques-uns des autres économistes mentionnés comme faisant partie de son équipe sont Ricardo Patiño, vice-ministre des Finances lors du mandat de Correa au ministère de l’Economie. Jannette Sánchez pourrait occuper le ministère du Bien-être social. Elle est économiste et chercheuse au Centre andin d’action populaire (Centro Andino de Acción Popular). Pour le ministère de l’Environnement, Fander Falconi, spécialiste en économie écologique et gestion environnementale, est désigné comme possible titulaire. Bien qu’il ne soit mentionné pour aucun poste, on parle également de Jorge Brito, colonel à la retraite, comme un des collaborateurs de Correa. Il est spécialiste en renseignement, en doctrine et stratégies de guerre, membre d’un courant nationaliste de l’armée qui a soutenu le mouvement indigène ayant expulsé du pouvoir le Président Mahuad [janvier 2000, ndlr].

Que s’est-il passé ?

La tranquillité s’est transformée en inquiétude dans les quartiers généraux politiques des sociaux-chrétiens et des sociaux-démocrates. Le multimillionnaire Alvaro Novoa, dont la famille a toujours été liée au pouvoir politique, ne comprend pas non plus ce que s’est passé ces dernières semaines. L’analyste Félix Cadena Alvarado, dans un article publié dans le quotidien équatorien Opinión, fait cette réflexion : « Comment le peuple peut-il croire et défendre une démocratie qui, ces vingt-sept dernières années, lui a seulement apporté plus de pauvreté, plus de chômage, d’insécurité, de migration, de corruption ? En effet, les programmes permanents d’ajustement et l’ouverture intransigeante ont fait de l’Equateur un des pays les plus inégalitaires du monde, dans lequel la pauvreté touche 80% de la population et le chômage et le sous-emploi ont augmenté de manière vertigineuse. Selon l’Indice de développement humain, le pays a connu un recul. Si, en 1999, l’Equateur occupait la 69e place sur 175 pays du monde, pour lesquels on disposait d’informations, en 2003, il est passé à la 97e place et en 2004 à la 100e. L’impact disproportionné et différencié de la détérioration des conditions de vie est encore plus critique pour les secteurs vulnérables, notamment la population indigène, les enfants et les adolescents, les femmes et les personnes âgées » Après d’autres considérations approfondies, le journaliste conclut son article en disant : « C’est pour cela que l’appel de Correa à arrêter nos erreurs et à transformer chaque vote en un instrument permettant de lancer la rénovation et le changement a profondément marqué. »

Mise en garde contre de possibles fraudes

Dans la dernière phase de la campagne électorale, différents secteurs politiques ont dénoncé la possibilité de fraude. L’inquiétude s’est accrue avec le changement imprévu de ministre de la Défense. Le général Oswaldo Jarrin a été remplacé par Marcelo Delgado, qui a occupé la direction de la Casa Militar pendant le gouvernement du caudillo social-chrétien Febres Cordero, qui a gouverné entre 1984 et 1988. Le candidat d’Alliance pays, Rafael Correa, a aussi dénoncé le fait que le Tribunal Suprême Electoral (TSE) est dirigé par le social-chrétien Xavier Cazar. Et l’ancien président du TSE, Nicanor Moscoso, a mis en garde contre la possibilité de fraude si l’on n’autorise pas la mise en place d’un système parallèle de recompte des votes. Les jours de campagne qui restent vont être durs. L’ancien président social-chrétien León Febres Cordero s’emploie à discréditer le candidat émergent en dénonçant ses liens avec Hugo Chavez. Il a affirmé que l’argent de la campagne de Correa arrive « dans des valises » directement de Caracas. Il n’a apporté à ce sujet aucune preuve mais, vieux renard, il sait que ces accusations, même si elles ne sont pas fondées, peuvent faire perdre des voix à Correa.

Perspectives dans la dernière ligne droite

Les derniers pronostics indiquent que le social-démocrate León Roldos et Rafael Correa d’Alliance pays passeraient au deuxième tour du 26 novembre, parce qu’aucun candidat n’obtiendrait, dimanche 15 octobre, plus de 40% des voix et 10% de différence sur le deuxième candidat comme le spécifie la législation. Certains observateurs proches des candidatures de Luis Macas et de Luis Villacís, qui regroupent divers courants de gauche, mettent en garde contre Rafael Correa. Ils assurent que sa position « anti-système » et transformatrice n’est qu’un maquillage électoral pour barrer le passage aux véritables changements que demandent les Equatoriens. Etant donnés les antécédents historiques de ces trente dernières années dans la vie politique équatorienne, personne n’ose les démentir.

Mais à moins de 15 jours des élections présidentielles équatoriennes, l’apathie initiale se dilue et l’atmosphère est tendue. On sent que dans ces dernières semaines, le paisible scénario de la campagne a fait volte-face devant la possibilité que Correa gagne et soit au deuxième tour face à Roldos. Si cela a lieu, on risque d’assister à une polarisation, comme cela a été le cas dans le pays andin voisin, le Pérou. Mais ici, comme nous l’avons fait remarquer, Correa n’est pas Ollanta et il faut espérer qu’il reçoive le soutien des électeurs votant pour des candidatures définies comme de gauche ou indigénistes.

Le scénario de ce deuxième tour peut toutefois, malgré des doutes et des méfiances, se révéler être une opportunité claire pour que les citoyens équatoriens qui aspirent depuis des années à un changement en profondeur des structures politiques, sociales et économiques de leur pays, retentent leur chance au moyen du vote, en soutenant dans ce cas le candidat d’Alliance Pays, Rafael Correa. Un homme et un nom presque inconnus hors de l’Equateur, mais qui, s’il gagne, pourrait être mentionné autant que certains leaders d’autres processus de changement en Amérique latine. Si cela se produit, il devra prouver qu’il peut répondre avec des faits aux espoirs de cette majorité du peuple équatorien.
NOTES :

[1] [NDLR] Consultez le dossier « La trahison de Lucio Gutierrez » sur le RISAL.

[2] [NDLR] Le colonel Lucio Gutiérrez s’est fait connaître lors du renversement du gouvernement de Jamil Mahuad, en alliance avec les mouvements indigènes, en janvier 2000. Après être passé par la prison, il fonda son propre parti : Société patriotique. Il sut ensuite rassembler autour de sa candidature à la présidence de nombreux mouvements sociaux, et surtout les indigènes. Une fois au pouvoir (2003), celui qui était décrit comme un nouveau "Hugo Chavez", a retourné radicalement sa veste et a trahi ses engagements. Le mouvement indigène qui a rompu avec lui après plusieurs mois de participation au gouvernement est sorti très affaibli de cette expérience. Gutierrez a été renversé en avril 2005 par ladite révolte des hors-la-loi.
Sur le mouvement indigène, lire Angel Guerra Cabrera, Le mouvement indigène équatorien relève la tête, RISAL, 17 mars 2006 ; Pablo Stefanoni, Luis Macas : « On nous donne des coups pour préserver le modèle », entretien avec le président de la Conaie, RISAL, 4 août 2006 ; Raul Zibechi, Mouvements indigènes : entre néolibéralisme et gouvernements de gauche, RISAL, 23 juin 2006 ; Pablo Davalos, Plan Colombie, crise institutionnelle et mouvements sociaux, RISAL, 6 septembre 2006.

[3] [NDLR] Consultez le dossier « L’énigmatique Ollanta Humala » sur le RISAL.

[4] [NDLR] Lire à ce propos Igor Ojeda, La base militaire de Manta, un cauchemar pour les Equatoriens, RISAL, 18 septembre 2006.

[5] [NDLR] Lire Nelson Núñez Vergara, Vers une victoire de la gauche en Equateur ?, RISAL, 12 octobre 2006.

En cas de reproduction de cet article, veuillez indiquer les informations ci-dessous :

RISAL - Réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine
URL : http://risal.collectifs.net/

Source : SERPAL (www.serpal.info), 2 octobre 2006.

Traduction : Marie-Anne Dubosc, pour le RISAL (www.risal.collectifs.net)