Etre dans le fichier central de la police

La petite voleuse prend ses jambes à son cou mais c’est trop tard, le vigile la suit jusqu’à la sortie et c’est là qu’il la chope.
– Allez, suivez-moi Mademoiselle.
Elle ne sait pas quoi dire, aimerait rentrer dans un trou de souris, et oui, qu’ils l’oublient sur le quai des images filmées par les caméras du magasin, ses boules rondes et noires qui peuvent passer d’un plan lointain à un plan rapproché. Elle sent monter en elle la honte et les larmes. Une main de fer s’abat sur son bras qui tient le délit : un sac et des provisions, viandes, beurre et gruyère râpé.
– C’est la deuxième fois en six mois, vous allez avoir droit au grand jeu.
Elle chiale en déballant le forfait.
Ils comptent, 15 euros de marchandises.
– Vous pouvez les payer ?

Le policier est sympathique. Il a écrit sur une ardoise son nom, son prénom. Elle suit du regard les gestes précis du policier. Elle se demande si l’ardoise va traîner comme ça, longtemps, après qu’elle soit passée à l’identification. Elle regarde aussi la petite chaise en bois sur laquelle elle devra s’assoir dans quelques secondes pour la photo, prise trois fois, profil, face, de côté. Une chaise exprès pour ça, une petite chaise de bébé.

Le policier explique ce qu’elle doit faire : elle doit se laisser faire, elle se dit, je vais sourire, elle se dit cela pour éviter de penser qu’elle sera dans le fichier central à perpette.
Les empreintes prises avec soin, chaque doigt posé sur le tampon par la main habile du policier, refait trois fois, chaque doigt pris, posé, détaillé, puis la paume. Elle pense à Nicolas Sarkozy et à son fichier pleins de gens, des petites gens, fichés pour "vol à l’étalage". Elle aimerait que sa fiche se perde en chemin mais il y a très peu de chance qu’elle le soit, puisque tout est fait pour qu’elle ne le soit pas. Mais perdue elle, elle se sent perdue, elle pense à sa mort, elle se demande aussi si elle restera dans le fichier quand elle sera morte...