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F. Vignale : « on fantasme la télévision »

Publie le mercredi 28 février 2007 par Open-Publishing
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Entretien avec Frédéric Vignale, fondateur du site Lemague.fr , auteur du livre "Les Censurés de la télé", éditions Le bord de l’eau

Propos recueillis par Gaël Lombart

Dans votre livre, vous distinguez plusieurs nouveaux types de censures, de la simple omission au lynchage. D’où vient cette classification ?

Le mot « censure » est galvaudé. Depuis l’émergence du Net en France, vers 1998, on ne peut plus réfléchir au sujet de la même manière. Ça ne veut plus rien dire. La télévision a changé. Elle est devenue un enjeu commercial. Aujourd’hui, le terrain de la création a été abandonné. Pour s’en rendre compte, il suffit de mettre en relation l’offre audiovisuelle et la situation actuelle du cinéma. Les chaînes de télévision n’ont jamais autant financé les films. Aussi, les invités des émissions de divertissement n’y interviennent plus que pour une seule raison : la promotion des fictions dans lesquelles ils jouent.

Est-ce pour cela que vous avez choisi de vous concentrer sur la censure à la télévision ?

D’abord, j’aime la télé. Quand j’étais étudiant en lettres, j’y voyais une fenêtre sur le monde. Le Net n’était pas encore arrivé. Ma petite mésaventure à « L’Arène de France » a été le détonateur de ma démarche (1). Tout le monde est d’accord pour dire que la télévision n’est pas à la hauteur aujourd’hui, que ce soit dans les milieux populaires ou dans les élites. C’est faux de dire que les gens veulent la télé de Cauet. Ce n’est pas incompatible de regarder Cauet et de lire Médias par exemple. Je crois que les Français aiment profondément la télévision et qu’il ne faut pas baisser les bras. Mais il y a une espèce de loi du silence : dès que l’on s’attaque à cette puissance qu’est la télévision, on se confronte à la censure et on pratique l’autocensure. La télévision a peur de déplaire. C’est pourquoi mon livre peut déranger. Je n’ai eu des propositions d’interviews que pour des sites Internet alors que plus d’une centaine d’exemplaires de mon livre ont été envoyés dans les rédactions.

On ne peut pas inviter tout le monde sur les plateaux de télévision. On ne peut donc pas donner la parole à tous…

Je suis d’accord. C’est comme pour les élites, il en faut bien pour représenter les autres. Dans les émissions où il y a un vrai travail éditorial, un vrai travail journalistique, d’investigation, je comprends. Là où ça ne va pas, c’est quand il faut trouver quarante invités par semaine pour l’émission de Stéphane Bern. On ne peut pas faire de la qualité dans ces conditions. Il faut aussi revenir à la télévision en direct, c’est un gage de spontanéité. Les téléspectateurs fantasment la télévision. J’ai moi-même cru avant de participer à « L’Arène de France » que c’était bien huilé. C’était en fait un amoncellement d’à peu près.

Vous avez laissé une grande liberté de ton aux personnes qui témoignent dans votre livre…

A partir du moment où j’ai décidé de faire un travail sur la censure, je devais dépasser mon cas personnel. Pendant deux mois, j’ai rencontré des personnalités bien différentes : Claude Ribbe, Marcel Amont, David Abiker, Jean-Marc Morandini… Je n’ai pas prévenu les uns et les autres de la participation d’autres personnes. Je voulais un happening artistique, une réunion improbable de gens qui réfléchissent sur un même thème. Je n’ai pas changé une virgule. Je ne suis qu’un passeur de plats.

Vous consacrez un long chapitre au montage d’une émission de Thierry Ardisson. Que reprochez-vous à cet animateur ?

Au début de sa carrière, Ardisson a innové. Depuis, il s’est « druckerisé ». Il a voulu plaire et durer. C’est l’école de la complaisance. Il a commencé à se réconcilier avec ses ennemis. Quand il invitait un Arabe, il se débrouillait pour qu’il y ait un Juif sur le plateau. « Tout le monde en parle », c’était une cérémonie du samedi soir finalement très consensuelle.

Vous prônez une éducation aux médias dès le plus jeune âge…

Je trouve aberrant que personne n’ait eu l’idée de faire cela. Pourquoi l’instruction civique existe-t-elle à l’école et pas l’instruction aux médias ? Ce serait bien que les professionnels viennent expliquer leur travail. On ne valorise aujourd’hui la démarche analytique que pour les sciences. Il faut pourtant l’acquérir aussi pour comprendre les médias.

(1) Invité à une émission de Stéphane Bern, Frédéric Vignale a dû quitter le plateau avant l’enregistrement à la demande de l’invité principal, Yann Moix, dont il avait critiqué les romans sur Internet.

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