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Faudrait pas que trop de cœur tue le profit

Publie le samedi 15 mars 2008 par Open-Publishing

de Sébastien Fontenelle

Reporters sans frontières (RSF) organisait hier mardi 11 mars « la première Journée internationale pour la liberté d’expression sur Internet ». Pour l’occasion, « l’organisation » qui s’est donné pour (noble) mission de défendre partout « la liberté de la presse au quotidien » a renouvelé sa légendaire « opération “24 heures contre la censure” », lançant un (courageux) appel « à manifester dans neuf pays ennemis du Net » : Birmanie, Chine, Corée du Nord, Cuba, Egypte, Erythrée, Tunisie, Turkménistan et Viêt-nam.

Détail divertissant : RSF, où l’on a très fort le sens du partenariat, précise que cette opération a été (gentiment) « conçue et réalisée par l’agence » de publicité « Saatchi & Saatchi » . Et ça, n’est-ce pas : c’est beau. C’est, même, émouvant : c’est un peu d’humanisme, dans un monde mondialisé où le profit souvent prime sur l’élan du coeur.

Sauf que.

Dans la soupe aux bons sentiments que touille Reporters sans frontières : trois clics suffisent, précisément sur Internet, pour vérifier que Saatchi & Saatchi, où l’on revendique assez crânement une implantation planétaire, dispose de bureaux à Pékin, Chine (7, Jianguomen Nei Avenue), au Caire, Egypte (19, Soliman Abaza Street), à Hô-Chi-Minh-Ville, Viêt-nam (3, Phan Van Dat Street) .

Et, certes, l’Egypte et le Viêt-nam sont justement au nombre des neuf « ennemis du Net » que dénonce l’opération anti-censure d’hier, cependant que « la Chine reste la plus grande prison pour les journalistes en ligne et les blogueurs » - ainsi que le souligne RSF.

Mais Saatchi & Saatchi n’a manifestement pas l’intention de renoncer pour si peu aux joies simples du business : on veut bien aider, mais il ne faudrait pas, non plus, que trop d’élans du cœur tuent le profit.

http://www.bakchich.info/article2960.html


La réponse de RSF à « Bakchich »

de Robert Ménard

Dans un précédent coup de boule, l’un de nos journalistes, Sébastien Fontenelle, pourfendait Saatchi et Saatchi qui s’est occupé gracieusement de la campagne de « Reporters sans Frontières » contre les censeurs d’Internet. L’ONG, se sentant froissé, a choisi de répondre, par la voix de son secrétaire général Robert Ménard

Enfin une plume noble et courageuse, un redresseur de torts comme on aimerait en lire davantage. Imaginez un peu, des milliers de naïfs, répondant à l’appel de Reporters sans frontières (RSF) - une de ces organisations non gouvernementales qui moquent les cyniques ricanants dénoncés en son temps par Bertrand Poirot-Delpech (une vieille barbe d’académicien, c’est vrai…) - manifestent sur Internet pour réclamer un peu moins de censure dans les pays qui emprisonnent à tour de bras et ferment sites, blogs et forums de discussion.

Intrépide, notre échotier, Sébastien Fontenelle, n’hésite pas : il ne va pas, comme tout le monde croit-il, soutenir l’initiative et cliquer pour dire sa solidarité – un mot boy-scout, presque une grossièreté. Non, média alternatif oblige, il choisit l’angle oublié, négligé par les autres – quelques connivences sans doute. Il prend des risques, ose, véritable dissident du net. Il se lance, guerroie, pourfend. Si une agence de publicité a aidé – bénévolement – cette initiative, c’est, bien entendu, pour faire oublier ses turpitudes, ses juteuses affaires.

Tout à sa dénonciation des suppôts du capitalisme, rebaptisé « business » dans la novlangue de notre justicier, il n’imagine pas un instant qu’on puisse retourner ses arguments et saluer le courage de gens qui s’affichent aux côtés d’organisations comme RSF… au risque de perdre leurs clients. On le voit d’ici pouffer de rire. Quels benêts ! Des publicitaires honnêtes ? Quels gogos !

Ne lui parlez pas des internautes emprisonnés, certains pour des années, il n’en a que faire. De la gnognotte. Que certains des pays dénoncés dans cette « cybermanif » aient fait pression sur l’Unesco et obtenu qu’elle retire son patronage à cette journée pour la liberté sur Internet n’a, bien sûr, même pas retenu son attention. S’interroger sur ces Etats, sur la lâcheté des institutions internationales, s’intéresser à un Hu Jia arrêté à la veille du premier de l’an à Pékin pour avoir dénoncé, sur Internet, l’abandon des malades du Sida ou les ravages de la pollution en Chine, il a mieux à faire.

Non, notre auteur méprise les bons sentiments, comme il dit. Repus, dans un pays où son seul risque est de prendre de l’embonpoint devant son clavier d’ordinateur, il fait la morale. Il doit appeler cela du nouveau journalisme.

Robert Ménard Secrétaire général de Reporters sans frontières

Le mot de l’ami Fontenelle

La réponse de Bob Ménard est, je dois en convenir, d’une drôlerie à se pisser (surtout le passage où il décide que je n’ai « que faire » des « internautes emprisonnés »). Je vais la conserver à la cave, comme on fait d’un bon vin : je la remonterai dans quelques années, bonifiée par le temps, pour dérider mes potes aux longues veillées d’hiver.

http://www.bakchich.info/article3007.html