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Fautes et obsessions, la Chine divulguée par Federico Rampini
Publie le samedi 17 mars 2007 par Open-Publishing2 commentaires

Fautes et obsessions, la Chine divulguée par Federico Rampini. De la bande des Quatre aux victimes de la répression au Tibet, dans le volume « L’ombra di Mao » [L’ombre de Mao, Ndt] le journaliste collectionne une longue série de bévues dans le but déclaré de reléguer le leader chinois au panthéon négatif des plus grands criminels du vingtième siècle
de Giorgio Mantici traduit de l’italien par karl&rosa
Un des plus grands journalistes de la deuxième moitié du vingtième siècle, récemment disparu, Ryszard Kapuscinski, affirmait dans une interview de novembre 1999 : « Si tu permets même à une seule personne de découvrir que tu mens, que tu as été banal, imprécis et superficiel, alors tu auras perdu ».
Je pensais, avec une tristesse résignée, à ces mots, après la lecture du livre que Federico Rampini a voulu consacrer à la figure de Mao dans la Chine d’hier, d’aujourd’hui et de demain, sous le titre : L’ombra di Mao. Sulle tracce del Grande Timoniere per capire il presente della Cina, Tibet, Corea del Nord e il futuro del mondo [L’ombre de Mao. Sur les traces du Grand Timonier pour comprendre le présent de la Chine, du Tibet, de la Corée du Nord et l’avenir du monde, NdT] (Mondadori 2006).
Ayant pris acte d’un titre si important, je me suis immergé dans la lecture et j’en ai tiré quelques questions : pourquoi, par exemple, Rampini affirme-t-il qu’en Mao « il y a l’orgueil de la persécution des intellectuels mal vus par l’ancien paysan autodidacte », étant donné que Mao était, oui, d’origine paysanne, mais qu’il avait reçu une instruction scolaire régulière jusqu’à décrocher son diplôme, avec d’excellentes notes, à l’Ecole Normale de Changsha en juin 1918 ?
Il ne se soucie pas plus de la réalité historique quand il écrit que Mao « n’avait jamais été à l’étranger » : je me sens en mesure, en effet, d’assurer à Rampini que l’URSS de Staline et de Khrouchtchev était un « pays étranger » et que Mao s’y rendit en visite officielle à deux occasions : la première pour rencontrer Staline et signer avec lui ce traité d’amitié, alliance et assistance mutuelle qui aurait permis à la Chine de mettre en route, avec l’aide des techniciens soviétiques, l’industrialisation du pays ; la deuxième, en 1957, pour participer à la conférence mondiale des partis communistes, au cours de laquelle il prononça le fameux discours où il affirmait polémiquement que « le vent de l’Est a le dessus sur le vent de l’ouest », l’occasion qui marqua la définitive rupture entre Mao et Khrouchtchev.
Au fur et à mesure que je continuais ma lecture, le mépris de l’histoire dont fait preuve Rampini est devenu plus évident : par exemple quand il affirme que Mao, après s’être assuré du soutien de Lin Biao et de l’armée – nous sommes évidemment au début de la Révolution Culturelle – « va se servir des polémiques culturelles de la tristement célèbre Bande des Quatre pour exciter contre le ‘quartier général’ du parti les jeunes gardes rouges ». Pourtant, au début de la Révolution culturelle, la Bande des Quatre n’existait tout simplement pas : c’était justement Mao qui avait forgé l’expression « Bande des Quatre » (siren ban) le 23 décembre 1974 à l’occasion d’une réunion informelle qui avait lieu à Changsha avec Wang Hongwen (un des futurs « quatre ») et Zhou Enlai, pendant laquelle il s’adressa à Wang en le mettant en garde contre l’éventualité de « former une bande de quatre personnes et d’éviter de donner vie à toute sorte de clique » .
D’ailleurs, l’expression « Bande des Quatre » ne fut utilisée par les médias chinois, et donc portée à la connaissance du pays, qu’après l’arrestation des quatre, qui eut lieu dans la nuit du 6 octobre 1976. Tout alimente l’impression que ces deux cents quatre vingt onze pages ont été dictées par une véritable obsession qui pousserait Rampire à espérer nous convaincre, nous et un milliard et trois cents millions de Chinois, à reléguer Mao « en compagnie d’Adolf Hitler et de Josef Staline, pour former avec eux la monstrueuse Trinité au Panthéon négatif des plus grands criminels du XX siècle ».
Confondu avec les victimes d’une telle obsession il y a aussi le célèbre journaliste américain Edgar Snow, auteur du fameux reportage « L’étoile rouge au dessus de la Chine » : Rampini ne se limite pas à affirmer que ce livre fondamental est « irrémédiablement daté », mais il ajoute que Snow « avait été plagié par Mao, en avait subi la fascination d’une façon tellement puissante que son jugement historique s’avère tellement conditionné qu’il cache les traits négatifs et même ignobles du personnage, déjà bien présents à l’époque ».
L’énoncé a quelque chose d’incroyable : j’aimerais demander à Rampini quel livre sur la Chine du vingtième siècle publié à la fin des années Trente ne risque de s’avérer, aujourd’hui, « irrémédiablement daté » et aussi pourquoi il se permet de présupposer un plagiat. Est-il peut-être en possession de documents de type psychiatrique que nous ne connaissons pas ? S’il est ainsi, il serait correct de nous en faire part, autrement nous sommes face à de pures extrapolations diffamatoires. Rampini, qui ne se contente pas d’altérer l’histoire et même de l’inventer, a ensuite recours aux mathématiques pour dédramatiser ce qu’il raconte, en parsemant l’histoire récente de la Chine de plusieurs millions de cadavres.
Nous lisons qu’au cours de la Révolution culturelle, donc l’espace d’une décennie, « le Tibet fut la victime de la campagne la plus féroce : les communistes chinois tuèrent 1,2 millions de personnes, un cinquième de la population ». Or, comme un tel massacre aurait de toute façon des proportions inouïes, il serait bon de considérer le fait que la population du Tibet, dans ces années-là, n’atteignait pas deux millions et aurait donc été presque entièrement exterminée. Mais cela ne suffit pas : « le Grand bond en avant » à la page 9 « provoqua entre 20 et 50 millions de morts », mais ceux-ci devinrent à la page 12 un « bilan de 70 millions de morts ». Il me semble que se limiter à rappeler les 10-12 millions de morts vérifiés par les plus importants chercheurs occidentaux aurait déjà restitué l’entité de la tragédie ; évidemment Rampini ne les considérait pas suffisants pour obtenir l’effet espéré.
Il ne reste qu’à tirer de cette lecture une conclusion : Rampini aime dire n’importe quoi.
Messages
1. Fautes et obsessions, la Chine divulguée par Federico Rampini, 17 mars 2007, 17:17
Que ce soit pour l’URSS ou la Chine, il faudra encore quelques décénnies pour que les historiens voient vraiment -et sans compromissions idéologiques- ce qu’il en fut réellement.
Entre gloires, réelles, et déshonneurs pour cet idéal humain formidable que fut -et reste- le communisme, le visage de la Chine a changé au cours du 20e siècle.
Mao fut un grand homme, incontestablement.
Qu’il fut à l’origine de drames criminels est évidemment juste à dire.
Mais il fut aussi à l’origine d’une formidable émancipation du peuple chinois.
Cela n’est pas un détail négligeable.
Sébaqtien (PCF)
1. Fautes et obsessions, la Chine divulguée par Federico Rampini, 18 mars 2007, 16:38
C’est ça. Hitler aussi fut un grand homme. Avec quelques "drames criminels"...mais qu’importe !