Accueil > Femme enceinte frappée par un policier
Paru dans l’Humanité du 22 août
« J’ai vu un policier frapper une femme enceinte »
Suite à une interpellation qui a mal tourné, une famille, elle-même accusée de violence en réunion, se dit victime d’une bavure policière.
Que s’est-il passé, il y a tout juste une semaine, devant le hall d’entrée du 19, rue Clovis-Hugues dans le 19e arrondissement parisien ? Deux enquêtes actuellement en cours devront déterminer si quatre policiers de la BAC de Paris-Nord ont clairement dérapé en interpellant Cédric et Bodo, dix-neuf et dix-sept ans, ou si, au contraire, ils ont été les victimes de la vindicte familiale du mineur.
Petit flash-back. Jeudi 17 août, aux alentours de 14 heures. Une Mégane bleue banalisée stoppe net devant deux jeunes discutant au pied d’un immeuble. L’un d’eux se nomme Cédric, les quatre policiers en civil, à bord du véhicule, le recherche pour avoir violenté Émilie qui les a appelés. « Il m’avait poussé le visage, mais c’était pas vraiment une gifle », explique la jeune fille de vingt et un ans qui accompagne alors les forces de l’ordre. Le suspect est là, avec son copain Bodo qui vit trois étages plus haut chez ses cousins. « Deux policiers sont arrivés vers nous en disant : "contrôle d’identité’’. Ils nous ont collés contre le mur, mais là, ils nous ont menottés direct, on n’a pas compris », raconte Cédric. « Il y avait mon petit cousin à la fenêtre, je lui ai demandé d’appeler sa mère pour qu’elle descende ma carte d’identité », enchaîne Bodo. Albertine S., trente-trois ans, est en congé maternité, elle vient d’entamer son septième mois de grossesse. « J’ai descendu les escaliers, j’ai vu trois hommes et mon cousin menotté. J’ai voulu savoir ce qui se passait, un flic m’a dit "dégage de là’’, j’ai regardé un de ses collègues parce que j’étais choquée, à son regard j’ai vu que lui aussi l’était... », explique l’auxiliaire puéricultrice d’origine congolaise.
Le ton monte. Les voisins alertés par les cris sont à leurs fenêtres. Tous racontent à peu près la même scène. « J’ai vu la femme supplier le policier d’arrêter de faire mal au jeune menotté en le bousculant un peu, explique Carine, une jeune institutrice. Et puis, j’ai vu un policier qui perd la maîtrise de lui-même en train de frapper une femme enceinte. J’en pleurais et j’en tremblais, je me disais la France va vraiment mal. » Ami de la famille, Stan détaille : « Albertine a été jetée au sol, quand le coup de matraque est parti en direction de son ventre, tout le monde a hurlé ! » Selon d’autres témoins, il y a eu un coup de poing aux lèvres, puis un coup de matraque au niveau de l’aine. Son frère, Yenga, serait arrivé à ce moment-là. Une bagarre éclate. Gofhar, soixante-trois ans, est formel : « Les renforts sont arrivés et ils lui sont tous tombés dessus. Il avait la tête en sang... »
Le secteur est bouclé par une dizaine de véhicules. Parmi les badauds qui s’attroupent, il y a Salymata : « J’ai demandé ce qui se passait à une policière, elle m’a dit : "Toi, tu fermes ta gueule’’. À côté de moi, il y avait une élue à la mairie du 19e. Elle montrait sa carte à la police, relevait les plaques d’immatriculation. » Même Émilie, qui avait appelé à l’aide les policiers, dénonce leurs méthodes. « J’ai fait une déposition, mais je ne l’ai même pas relue, ni récupérée. On voulait que je charge le grand frère, on m’a dit qu’il était boxeur, ce qui est faux. »
La famille d’Albertine, de Bodo et de Yenga a réuni plus d’une douzaine de témoignages à charge. Un certificat médical atteste d’une « tuméfaction à la lèvre » et d’une « ecchymose de la face interne de la cuisse ». Albertine est allée porter plainte samedi dernier à l’Inspection générale des services (IGS) pour « violences policières ». Ce même week-end, une information judiciaire a été ouverte pour « violence volontaire en réunion sur personnes dépositaires de l’autorité publique ».
« Les policiers disent que l’intervention a mal tourné, explique-t-on de sources judiciaires. Quatre policiers ont été blessés, ils ont entre trois et dix jours d’ITT. Des gaz lacrymogènes ont été utilisés pour se dégager de cette situation. » Sous contrôle judiciaire pour une autre affaire, Yenga a été placé en détention provisoire à Fresnes. Il attend lui aussi que l’enquête aboutisse.
Sophie Bouniot