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Fondation Copernic : Propositions pour refonder l’indemnisation du chômage
Publie le dimanche 11 juillet 2004 par Open-PublishingFondation Copernic
Pour remettre à l’endroit tout ce que le libéralisme fait fonctionner à
l’envers
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Propositions de la Fondation Copernic pour refonder l’indemnisation du
chômage
Jamais depuis plus de 50 ans, les attaques n’avaient été aussi brutales
contre les chômeurs. Recalcul des allocations au mépris du contrat signé (le
Pare) ente l’ANPE et les demandeurs d’emploi, réformes de l’ASS et du RMI
transformé en RMA, projet de réforme libérale de l’ANPE, multiplication
invraisemblable des radiations. Et puis, avec la « loi sur l’emploi »
annoncée, un renforcement supplémentaire du contrôle exercé sur les
chômeurs. On le sait, toutes ces mesures procède d’un programme, le
workfare, exposé et dénoncé plus longuement dans « Pour un Grenelle de
l’Unedic », cette Note de la Fondation Copernic rédigée par des
syndicalistes, des responsables d’associations de chômeurs, des sociologues
et des économistes. Quel est l’objectif du workfare : faire baisser le coût
du travail pour accroître les marges bénéficiaires des entreprises, et
obliger les chômeurs à accepter le plus rapidement possible des emplois les
moins payés possible, dans des secteurs où, localement, les entreprises ont
le plus de besoin de main d’¦uvre. Toutes les mesures de ces dernières
années vont dans ce sens : le Pare et ses fast-formations qui s’apparentent
à un formatage des demandeurs d’emploi aux besoins immédiats des
entreprises, la réduction des durées d’indemnisation qui contraint à
diminuer ses exigences en terme de qualité d’emploi et de salaire, le RMI
décentralisé en RMA qui offre des emplois au plus bas prix possible, la
réforme de l’ASS qui diminuera l’engagement financier de l’Etat.
Cela ne peut plus durer. C’est d’ailleurs absolument et totalement
insupportable pour les chômeurs. Les propositions qui suivent, élaborées
ensemble dans le groupe de travail Copernic « Pour un Grenelle de l’Unedic
», espèrent alimenter les luttes pour une réforme complète de
l’indemnisation du chômage, et une vraie démocratisation de l’Unedic, où les
princiopaux intéressés à l’indemnisation (les chômeurs) ne siègent toujours
pas !
Etat libéral ou Etat social ?
D’après la théorie économique dominante, la théorie néo-classique et ses
variantes diverses, les "déséquilibres", et en particulier le chômage,
proviennent de "rigidités structurelles" (Smic, droit du travail, services
publics, pouvoir syndical, etc.). D’où les recettes libérales : il suffit de
démanteler ces structures. Pour les sociauxlibéraux (Fabius, Strauss-Kahn,
Blair ou Schröder), ce démantèlement semble impossible, pour des raisons
éthiques ou de rapports de forces. Il faut donc que l’Etat intervienne, mais
dans une orientation précise : réaliser le "programme du marché". Sur la
question centrale de l’emploi et du chômage, là où les libéraux réclament la
suppression pure et simple du Smic et des allocations chômage, les
sociaux-libéraux préconisent la prise en charge par l’Etat d’une partie du
coût salarial (via les "aides à l’emploi" et l’impôt négatif). Dans tous les
cas, le socle théorique est identique : pour atteindre le "salaire
d’équilibre" supposé égaliser l’offre et la demande de travail (et donc
éliminer le chômage), il faut réduire le coût du travail. Les instruments
des politiques économiques publiques (budgétaire, monétaire ou de
redistribution) qui viennent soutenir la croissance, et donc l’emploi, sont
jugés inutiles et causes d’inflation. Il faut flexibiliser la main-d’oeuvre,
diminuer les dépenses publiques. La sophistication mathématique de cette
théorie dominante cache mal son dogmatisme. Devenue fiction mathématique,
pensée comme description "pure" d’un réel fantasmé, la théorie libérale tend
à "confondre les choses de la logique et la logique des choses", comme le
notait P. Bourdieu. Les modèles de rationalité dont elle s’autorise, mettent
entre parenthèses les conditions historiques et sociales qui font que "la
raison économique" oriente rarement les pratiques.
Que répondent les hétérodoxes ? Les approches marxistes, keynésiennes ou
institutionnalistes convergent au moins sur une idée : le marché laissé à
lui-même est inefficace et n’assure pas le plein emploi (ni la justice
sociale, pourrait-on ajouter), même si l’objectif du plein-emploi mériterait
d’être mis en débat. L’intervention publique est donc nécessaire pour
imposer aux "marchés" les normes sociales qui leur sont a priori étrangères
: les droits sociaux, le plein emploi, un revenu décent... C’est la vocation
de l’Etat social, et de ses quatre composantes : la protection sociale, le
droit du travail, les services publics, les politiques économiques
(budgétaires, monétaires, de redistribution des revenus). Ces vingt
dernières années, un enchaînement de faits confirment la pertinence des
thèses hétérodoxes.
Sous un vernis patelin, le gouvernement Raffarin reprend les politiques
économiques qui ont échoué ces vingt dernières années. En grignotant
davantage les droits des chômeurs, en refusant tout "coup de pouce" au Smic,
en baissant l’impôt sur le revenu au bénéfice des plus riches, en optant
pour l’austérité budgétaire couplée à de nouvelles privatisations. Il se
situe aux antipodes des besoins. Car, nous aurions besoin, à l’inverse, d’un
plan de soutien à la consommation et aux investissements publics (pour
ré-irriguer la France en services publics). La revalorisation des
allocations-chômage contribuerait à relancer la consommation mieux qu’aucune
autre mesure.
Ce n’est pas seulement dans la défense, c’est aussi dans la redéfinition
et l’extension de l’Etat social que la gauche peut retrouver le chemin de la
contre offensive. Historiquement imposée par les luttes, l’affirmation de
l’Etat social, fut très progressive. Ce dont témoigne d’ailleurs l’évolution
de la protection sociale.
D’abord réduite à la couverture éclatée de quelques "risques" (fin du
XIXème et début du XXème siècle), la protection sociale, sous l’effet des
conflits sociaux (de 1945 jusqu’aux années 1970), fut peu à peu élargie :
maintien d’une large fraction du revenu en cas de maladie, de retraite ou
bien de chômage. C’est cette logique qu’à présent les libéraux mettent en
cause, de trois façons : en réduisant les prestations sociales au minimum
(le reste étant remis au "privé" dans une logique de capitalisation) ; en
baissant le coût du travail (les aides à l’emploi) ; en redéfinissant les
prestations chômage pour en faire un instrument "actif", qui inciterait les
chômeurs à occuper des emplois sous-payés ("l’activation des dépenses
passives").
Il faut réformer profondément, et démocratiser, le fonctionnement opaque
et bureaucratique des institutions de l’Etat social, en y associant les
salariés du public, les citoyens, les usagers. Mais partir de leurs limites
pour les dépasser est une chose, en prendre prétexte, cédant au Medef et aux
diverses forces du libéralisme, pour mettre à bas l’Etat social lui-même, en
est une autre.
L’indemnisation du chômage concerne tous les salariés, avec ou sans emploi
Les apologues du marché, drapés dans la "complexité" du "réel" pour n’y
rien changer, nous trouverons réducteurs. Mais il faut bien choisir son camp
: les intérêts du "monde du travail" au sens historique, ou les logiques
libérales. Ces "intérêts du monde du travail", pour autant, ne sont portés à
l’objectivité et à la légitimité du discours public, et n’existent comme
points de ralliements, comme axes de mobilisation, qu’autant qu’ils sont
énoncés. Mais qui va les dire ? Où vontils être exprimés ? "Le monde du
travail" n’a historiquement pris la forme d’un groupe qu’autant que ses
représentants en tracèrent les frontières, et dirent, clarifièrent,
regroupèrent des "réclamations" initialement disparates, parfois confuses,
souvent censurées. Traditionnellement écartés des lieux, et des procédures,
où "les intérêts du monde du travail" étaient formulés, parce qu’ils
n’avaient pas les propriétés "légitimes" des représentants légitimes, les
chômeurs ne peuvent plus, et aujourd’hui ne veulent plus, être exclus de
cette représentation. Du fait de leur nombre. Du volume croissant de la
population précarisée. Et parce qu’ils font l’expérience d’un rapport au
salariat particulier. Parce que leur relation au travail en sort
reconfigurée. Exprimer ce qu’être au chômage signifie (qui varie bien sûr
selon les ressources et les trajectoires des chômeurs), les angoisses mais
parfois les richesses liées à la propre gestion de son temps, dire le risque
du chômage, les transformations des conditions d’existence, la vie "au jour
le jour", l’incertitude que le chômage et la précarité produisent, évaluer
comment ce risque doit être collectivement géré : qui, mieux que les
premiers concernés, est en condition de le faire ? Jusqu’à présent
"représentés" par des représentants qui n’ont, la plupart du temps, jamais
connu le chômage, et qu’ils n’ont pas mandatés, de plus en plus de chômeurs
et de précaires tentent en effet de s’auto-représenter. Cela vaut d’abord
pour ceux qui, après des scolarités prolongées, affrontent un chômage ou
affrontent des postes en décalage avec leurs anticipations scolaires. Mais
la revendication à l’auto-représentation ne se limite pas à cette
population. Si les chômeurs pouvaient intervenir, notamment dans les
institutions où se décide leur sort, nul doute que les "intérêts du monde du
travail" seraient plus complètement représentés, et présentés différemment.
C’est le sens de ce "Grenelle de l’Unedic" quadri-partite, ouvert aux
organisations de chômeurs, auquel nous appelons. Les pages qui suivent ne
régleront pas tel ou tel débat compliqué autour du revenu d’existence, du
revenu universel ou d’une économie distributive... Là n’est pas leur
ambition. En lien avec les luttes contre le "tout marchand" et pour les
besoins sociaux, elles veulent simplement modifier les façons de voir
l’indemnisation du chômage. Le droit du travail est à présent grignoté par
les stratégies d’externalisation, la précarisation, l’individualisation des
droits, la "conditionnalisation" de l’accès aux droits par le comportement
et l’activation. Les salariés échappent de plus en plus aux conventions
collectives, et au minimum de branches. Si bien que les droits semblent
presque des faveurs. L’insécurité sociale se généralise, une nouvelle
sécurité économique et sociale s’impose.
Sans fétichiser l’Etat, sans croire en sa "neutralité" dans les rapports
entre groupes sociaux, nous devons l’interpeller puisqu’il est "faiseur de
lois", et puisque ses représentants le légitiment en le posant en garant de
la solidarité, mais sans nous désintéresser pour autant de ce qui se passe
dans les entreprises. Tenir, en même temps, les deux bouts de la chaîne,
voilà l’enjeu : gagner de nouveaux droits dans la protection sociale d’une
part, mais intervenir aussi pour une régulation plus stricte de la stratégie
des firmes.
Quelquefois mots d’ordre dans les manifestations ou titres de tracts,
souvent fils conducteurs des luttes contre les licenciements et pour
l’emploi, certains slogans sont aussi des programmes, qui n’exonéreraient
pas les entreprises de leurs responsabilités, et qui sont à articuler :
– interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des
bénéfices.
– pas de licenciements sans reclassements.
– continuum de droits emploi formation revenu.
– une autre politique de l’emploi et des revenus.
– renchérissement du coût du chômage, du recours à la précarité et
aux temps partiels.
L’assurance-chômage : lieu-test pour la régression des droits
Le montant, la durée, l’accès aux allocations-chômage déterminent pour
une large part la capacité à choisir son travail, sa formation, la capacité
à résister aux normes dégradées d’emploi. L’assurance-chômage, comme toutes
les structures du service public de l’emploi, est ainsi au c¦ur de la
conclusion du contrat de travail, au coeur de ce moment nodal des rapports
de classe. Mais l’indemnisation-chômage est jusqu’à présent restée le
"parent pauvre" du régime de protection sociale. Avant que les organisations
syndicales et associatives de chômeurs s’en mêlent, les négociations
successives de l’Unedic se déroulaient dans l’indifférence. Si bien que
l’assurance-chômage est depuis longtemps devenue comme un terrain
d’expérimentation, à l’avant-garde de la dégradation des droits - sous
l’influence des syndicats patronaux bien sûr (qui contribuent
financièrement), mais aussi de ces quelques confédérations ralliées qui
gagnent postes et fonds en co-gérant l’Unedic.
Abandon du poids prépondérant des représentants des salariés et suppression
des élections :
Dès 1958, la création du régime Unedic s’éloigna des principes du régime
général de la Sécurité Sociale, en donnant aux représentants patronaux 50%
des postes, et en supprimant toute élection des représentants des salariés.
Les ordonnances de 1967 sur la Sécurité Sociale reprendront ensuite ces
principes.
Renversement de la charge de la preuve :
En 1979, à l’occasion de la mise en place des Services du Contrôle de la
Recherche d’Emploi dans les Directions Départementales du Travail,
s’institue une innovation juridique particulièrement grave : le renversement
de la charge de la preuve. Contrairement à tous les principes du droit
français, où celui qui accuse doit fournir des preuves, les chômeurs sont
depuis lors réputés coupables, c’est à eux de fournir les preuves de leur
recherche d’emploi, de leur bonne volonté, de leur dynamismeŠsous peine de
radiation.
Contractualisation :
Depuis 1988, avec le RMI et le contrat d’insertion, puis en 2001 avec le
PARE et le PAP, la contractualisation règle les relations entre indemnisés
et institutions qui gèrent les fonds. C’est là aussi une transformation
majeure, puisque ce n’est plus la situation qui déclenche le versement des
droits, mais le comportement individuel dans la "réinsertion".
Renforcement du contrôle :
En 1991, la loi sur le contrôle de la recherche d’emploi (Titre IV de la
loi sur la Formation Professionnelle), puis ses textes d’application, vont
permettre d’imposer le temps partiel, les baisses de salaires : un refus
vaut radiation donc suppression des allocations. On constate en la matière
que les "partenaires sociaux" et l’Etat se donnent souvent la main.
Quelle "norme d’emploi convenable" ?
Il faut d’urgence inverser la tendance. Lieu-test en matière de
régression des droits, l’Unedic peut devenir, si nous nous en donnons les
moyens, l’espace institutionnel d’où procèdera une répartition plus juste
des richesses, et une sécurité économique et sociale renouvelée.
Aujourd’hui, le niveau très bas des allocations, les contrôles auxquels
les chômeurs sont soumis, les mécanismes "d’intéressement" (possibilité de
cumuler des allocations et un emploi de quelques heures), l’exclusion des
moins de 25 ans du RMI, obligent à accepter des emplois aux normes
détériorées : en termes de salaires, de statut, de conditions de travail, de
qualifications, de droits. Si le salariat reste à 80% sur CDI (en France),
les mouvements de main-d’¦uvre, eux, sont à 80% sur des emplois précarisés.
Et lorsque l’on bascule dans la précarité, on a peu de chances de repasser
de l’autre côté. Le gonflement du chômage et les dégradations de
l’indemnisation, se répercutent sur l’ensemble des salariés qui, par crainte
des licenciements, ou parce qu’ils sont sur statut précaire, révisent à la
baisse leurs exigences en matière de revenus, de charge de travail, de
stabilité.
C’est cet enchaînement qui doit être stoppé. C’est possible. Mais,
répétons-le, il faut collectivement nous en donner les moyens. Après le
conflit de LIP, en 1973, les licenciés économiques furent indemnisés à 90%
de leur ancien salaire pendant un an (avec des phases dégressives). Des
dizaines d’Assedic occupées par les chômeurs en 1996 conduiront à un
allongement des paliers de dégressivité.
Aujourd’hui, seule une mobilisation d’ampleur des chômeurs, des
précaires et des salariés, et de nouveaux rapports de forces, peuvent
imposer des transformations positives. Les syndicats espagnols ont
récemment, et pour la deuxième fois le 21 juin 2002, appelé à la grève
générale pour protester contre les remises en cause des allocations-chômage,
que le gouvernement Aznar voulait imposer. C’est cet exemple qu’il faut
suivre. Le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997 en France, les Marches
Européennes contre le Chômage, ont montré qu’il est possible d’agir
collectivement.
En Europe, décideurs économiques et hauts-fonctionnaires, reprenant le
concept du BIT, se référent sans cesse à la "norme d’emploi convenable".
C’est une définition de l’emploi "en creux" : l’emploi qu’on ne peut pas
refuser. Il y a quelque temps encore, la définition de l’emploi convenable
liait l’emploi futur au passé professionnel des salariés, à leurs
formations, leurs qualifications, leurs salaires. A présent les textes
européens substituent à cette définition ancienne une autre référence :
"l’emploi auquel on peut raisonnablement accéder en fonction de ses
compétences et de l’état du marché du travail". C’est de la sorte
l’employabilité qui devient déterminante. Et comme les compétences sont
supposées se dégrader plus la durée de chômage s’allonge, les chômeurs sont
invités à rectifier leurs prétentions à la baisse : pourcentage de baisse de
salaire, mobilité géographique obligéeŠ Auparavant l’emploi convenable
signifiait l’"emploi compatible avec les capacités" (Code du Travail 1991).
Désormais, c’est l’"emploi qui correspond effectivement aux compétences",
l’"emploi disponible selon les
capacités" (convention Unedic 2000). On mesure la régression que ce
déplacement constitue. Il est temps d’engager un vaste débat social pour
codifier collectivement la norme d’emploi convenable. Pourquoi ce qui
structure l’économie, et donc nos conditions d’existence, devrait-il rester
en-dehors du contrôle citoyen, et sa définition rester propriété exclusive
de ceux qui ne risquent jamais rien ?. Un "Grenelle de l’Unedic" devrait
rediscuter, reformuler, la norme d’emploi convenable.
Il faudrait aussi discuter de formation professionnelle. Car depuis plus
de 20 ans, les entreprises transfèrent sur la collectivité publique leurs
charges de formation : plutôt que de former, elles licencient, et c’est la
période de chômage qui sert de plan de formation. La situation n’a cessé de
se dégrader, et, depuis le PARE, l’accès aux formations longues, aux
formations de reconversion nécessaires, n’est même plus possible. Le
patronat fait probablement le pari qu’il existe suffisamment de jeunes
formés sur le marché du travail. Mais qui ne voit pas les limites, à long
terme, de cette stratégie d’ajustement ponctuel aux besoins immédiats des
entreprises, qui s’opère de surcroît de façon très localisée, bassin
d’emploi par bassin d’emploi. Selon les périodes, l’assurance-chômage a
indemnisé des jeunes qui n’avaient jamais cotisé, ou bien des salariés âgés
jusqu’à leur retraite. Des indemnités-formation ont déjà été versées jusqu’à
’’0% de l’ancien salaire, lorsque les besoins en formation pour
reconversions l’imposaient. Les frais de formation ont autrefois été pris en
charge par les fonds sociaux des Assedic. Les économistes répétent en boucle
que les formes modernes de la concurrence, l’internationalisation des
marchés, obligent à une formation continue des salariés. Que l’Unedic,
l’ANPE, et l’AFPA, enfin renfloués en finances et en personnels, leur en
donnent les moyens.
D’autre part, contrairement à ce qu’assènent les libéraux, les dépenses
d’assurance chômage et les minima sociaux ne constituent pas des "dépenses
passives". Quand un gouvernement augmente l’allocation de rentrée scolaire
ou toute autre prestation familiale, il proclame qu’il "relance par la
consommation" : pourquoi en irait-il autrement pour les allocations chômage ?
Surtout qu’étant donné leur niveau, elles ne servent ni à épargner, ni à
spéculer ! A l’inverse des baisses d’impôt sur les tranches les plus élevées,
massivement développées ces dernières années.
Augmenter les allocations-chômage et les minima sociaux dynamiserait
l’ensemble du circuit économique.
I) Que faire ? De suite, rompre avec le PARE
Les premiers bilans de l’application du PARE, et de son corollaire le
PAP, démontrent qu’il faut d’urgence une série de dispositions pour garantir
un minimum de droits.
1) Tout équilibre financier d’une convention Unedic devrait prendre en
compte les risques d’évolution de la conjoncture économique. Ce principe
minimal de précaution supposerait :
– de cesser de baisser les cotisations lorsqu’il y a des excédents.
– de constituer un fond de réserve pour faire face aux aléas de la
conjoncture.
– de revenir à des taux de cotisations plus élevés.
– d’enrichir les sources de financement en élargissant l’assiette des
cotisations, en rendant les cotisations patronales plus chères pour les
contrats précaires ou le temps partiel, en les articulant avec
l’intervention de l’Etat.
2) Il faut abandonner, aussi, la logique, désormais instituée, qui veut
que le comportement des chômeurs dans la recherche d’emploi détermine si le
revenu de remplacement leur est versé ou non. Ni PARE ni PAP ne peuvent
conditionner l’ouverture des droits et le versement des allocations ! La
"contractualisation", aujourd’hui en vigueur, conduit immanquablement à la
soumission des demandeurs d’emploi. Il faut l’abandonner. Ce qui doit être
indemnisé, c’est le fait d’être sans emploi, pas la "démarche d’insertion".
3) L’offre de services adaptés à chaque demandeur d’emploi, proposée par
diverses institutions (ANPE, Assedic, prestatairesŠ), et le "suivi
individualisé", peuvent certes s’avérer positifs, mais à deux conditions :
– que les demandeurs d’emploi aient toujours la possibilité de ne pas
accepter les propositions de prestations ou d’offres d’emplois, sans qu’il
leur en soit tenu rigueur par la radiation, la suppression des allocations
ou toute autre sanction. Ces institutions ne doivent plus avoir le droit
d’imposer aux chômeurs un emploi, une formation, un atelier de recherche
d’emploi, ou toute autre prestation, sous peine de suppression des
allocations, a fortiori quand ils ne correspondent même pas aux
qualifications et au salaire antérieurs.
– que les différents opérateurs du service public soient enfin dotés
de moyens humains et matériels correspondant à l’objectif fixé.
II) Quatorze priorités
Dans l’architecture actuelle (ASSEDIC, ANPE, Etat), quatorze réformes
permettraient aux chômeurs de subvenir (minimalement) à leurs besoins
élémentaires. Nous proposons donc :
1) d’indemniser toutes les formes de chômage, quel que soit l’âge, la
situation familiale, le passé professionnel, que l’on soit licencié, en fin
de contrat ou démissionnaire, dans le privé ou dans le public. Car seule la
garantie d’un revenu permet de choisir son emploi ou sa formation. A la
"norme d’emploi convenable", nous voulons ajouter des ressources
convenables.
2) qu’en cas de démission d’un emploi, une commission examine
immédiatement (et non au bout de 4 mois comme c’est le cas actuellement) la
demande d’allocation. Dans cette commission, siègeraient les représentants
élus des 4 composantes du système unifié (syndicats, organisations de
chômeurs, Etat, entreprises). Il faut débattre des conditions pour que les
démissions ouvrent les mêmes droits qu’un licenciement ou une fin de
contrat. Pour mémoire, à certaines périodes, le régime payait des "Garanties
de ressources" (sorte de préretraites) même dans les cas de démission.
3) que les droits soient individuels au lieu d’être liés aux ressources
du foyer (comme c’est le cas avec l’ASS et le RMI).
4) que, les contrats de très courte durée se multipliant, la durée
requise pour obtenir des allocations soit réduite, à deux mois dans les 18
derniers mois. Mais il faudrait envisager qu’à terme, aucune durée
antérieure ne soit exigée. Cela permettrait notamment d’indemniser les
jeunes à la recherche de leur premier emploi : ce n’est pas impossible, les
Assedic l’ont déjà fait.
5) que la durée de versement des allocations ne soit plus liée à la durée
de travail antérieure. Les allocations doivent être versées tant que le
chômeur en fait la demande, et tant qu’il n’a pas trouvé une formation ou un
emploi qui lui conviennent : au début du régime Assedic, la période de
versement (brève, il est vrai) n’était pas liée à la durée d’affiliation.
6) que la loi de 1991 sur le contrôle des chômeurs soit abrogée ; elle
soumet les demandeurs d’emploi à une pression constante pour qu’ils
acceptent temps partiels, baisses de salaire, contrats précaires,
prestations d’adaptation en tous genres sous peine de radiation et de
suppression des allocations. Dans l’attente de cette abrogation, il faut au
minimum instituer une instance de recours contre les sanctions de toutes
espèces, une instance où les chômeurs soient présents ; et les instances qui
décident des sanctions ne devraient plus être juges et parties.
7) que le SMIC devienne le minimum de référence que l’on ait un emploi ou
qu’on n’en ait pas. Rappelons au passage, que la recherche d’emploi ou la
participation à des stages de formation coûtent cher (transports,
équipements, nourriture, garde des enfants...) - voir les exemples de
budgets ci-après.
8) pour les réinscriptions suite à une période d’activité, que le calcul
du taux d’allocation soit versé en prenant en compte le taux le plus élevé
pendant la période la plus longue, comme ce fût le cas jusqu’en 1992. Alors
qu’aujourd’hui le calcul qui évalue le "capital" de droits acquis est
toujours défavorable au salarié qui se réinscrit.
9) qu’en cas d’activités réduites (pour ceux qui ont plusieurs employeurs
en même temps, comme dans le nettoyage, et qui en perde un) le calcul des
indemnités s’opère dans l’intérêt du salarié, en prenant en compte la
totalité des contrats.
10) que toute ouverture de droits suite à la rupture d’un contrat de
travail s’effectue au taux plein, quel que soit le nombre d’heures
effectuées dans le contrat. Car, à l’heure actuelle, la rupture d’un contrat
à temps partiel, le plus souvent contraint, entraîne des indemnités
partielles. Indemniser sur la base d’un taux plein, rendrait sans intérêt
financier le fait de prendre un emploi à temps partiel. D’ailleurs, aucun
contrat de travail ne devrait pouvoir être conclu à temps partiel, sinon sur
la demande du salarié (le plus souvent de la salariée), le retour à temps
plein étant dans ce cas de droit.
11) que, pour les intermittents, le mécanisme de double cotisation soit
abrogé.
12) que l’accès à des formations qualifiantes, donc de longue durée,
soit de nouveau ouvert. Ce ne sera possible que si la rémunération pendant
toute la durée de formation, et la prise en charge des frais de stage, sont
garanties.
13) que l’accès à des fonds sociaux et à des aides d’urgence soit
rétablis et élargis pour répondre à toutes les situations qui aujourd’hui le
nécessitent.
14) que tout ce qui concourre à la recherche d’emploi, et au maintien
d’une certaine qualité de vie pour les chômeurs, soit gratuit et accessible.
A présent les chômeurs sont considérés comme "passifs", comme devant
être "activés" dans leur recherche d’un emploi, peu importe lequel. On
entrevoit sans peine qui en tire bénéfice. "L’activation des dépenses",
dissimule une politique d’aide aux entreprises (d’aide aux emplois
précaires) qui n’ose pas dire son nom, et qui s’opère sans contrepartie.
Mais le versement d’allocations, de revenus de remplacement ou de minima,
n’est jamais une dépense "passive", c’est de la distribution de pouvoir
d’achat.
III) Inventer une nouvelle Sécurité Economique et Sociale
C’est, on l’aura compris, l’architecture même de l’indemnisation du
chômage qu’il faut repenser. L’Unedic ne couvre que la moitié des chômeurs,
et une partie des minima sociaux fait office d’allocations-chômage. Les
salariés précaires, celles et ceux qui ont plusieurs employeurs, celles et
ceux à temps partiel contraint, sont par ailleurs très mal couverts. Le
chômage résulte de choix extérieurs aux salariés et sur lesquels ils n’ont
pas prises (cf. Note Copernic sur la Refondation Sociale). Il n’y a par
conséquent aucune raison qu’ils en fassent les frais. Il n’est pas
admissible qu’environ un chômeur sur deux perçoive des allocations chômage,
d’un montant inférieur en moyenne à 6OO euros mensuels, et que les autres
relèvent de minima inférieurs à un demi-SMIC, ou qu’ils n’aient droit à rien
(les jeunes de moins de 25 ans exclus du RMI en particulier). Colmater de
nouveau les brèches, boucher une fois de plus les trous budgétaires, ne
suffit plus.
La Constitution française de 1946, reprise dans la Déclaration
universelle des droits de l’homme de 1948, articule trois affirmations :
"Chaque citoyen a le devoir de travailler, chacun a droit a un emploi, et
faute d’emploi, il a droit à des moyens convenables d’existence". Ces
articles suggèrent d’évidence que l’emploi, et des moyens d’existence pour
toutes et tous, sont des droits politiques. Y contrevenir, comme c’est le
cas depuis des dizaines d’années, devrait être sanctionné. Il est donc
nécessaire d’inventer une nouvelle sécurité économique et sociale.
D’inventer ce "Plan complet de Sécurité Sociale pour assurer à tous les
citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de
se les procurer par le travail, avec une gestion relevant des représentants
des intéressés et de l’Etat", qui était l’ambition du Conseil National de la
Résistance, et d’où proviendra le Régime Général de Sécurité Sociale.
Un continuum des droits
Mais qui dit Sécurité Sociale dit sécurité, et, dès lors, continuum des
droits. Dans un monde où les mouvements de main d’¦uvre sont de plus en plus
précarisés, l’indemnisation du chômage ne peut comme auparavant se limiter à
rendre supportable, au cours de la vie professionnelle, une ou deux courtes
périodes de chômage. Considérer la totalité de la vie devient une
obligation. De la sortie de l’école à la retraite, la succession des
périodes d’existence, même quand on ne les a pas choisies, doit pouvoir
s’enchaîner avec une réelle SECURITE. Une sécurité économique et sociale
digne de ce nom suppose donc un "continuum de droits", qui :
1) doterait tout travailleur d’un statut non pas seulement lorsqu’il a un
emploi, mais aussi quand il en est privé.
2) assurerait, au-delà de la position productive ponctuelle, la
continuité des ressources, et un rapport assuré à l’avenir.
3) autoriserait la mobilité individuelle. En favorisant les possibilités
de changer d’emploi, ce statut neuf des salariés obligerait du même coup les
entreprises à promouvoir des emplois de qualité pour conserver leur
main-d’¦uvre. A condition, bien sûr, que l’on garantisse aux chômeurs une
rémunération digne de ce nom. Par-delà les fluctuations de l’emploi, si l’on
offrait à chacun un statut professionnel garanti c’est au fond la figure
même du chômeur qui disparaîtrait - mais aussi "l’armée de réserve" des
chômeurs et ce qu’elle autorise comme pressions sur les salariés. A l’opposé
d’un système d’assistance individuelle voire familialiste, un tel statut
s’inscrirait dans un système de droits et de protections individuelles et
collectives.
Unification des systèmes
Aujourd’hui, l’ASS, et le RMI, sont de facto des allocations chômage,
tout comme une partie des autres minima sociaux. Le rapport Join-Lambert
l’avait établi, dès 1998 : l’augmentation du nombre des Rmistes provient
directement des diverses réformes de l’Unedic. Dit autrement : le patronat
fait de plus en plus porter sur la collectivité nationale les conséquences
de ses choix en matière de gestion des entreprises, et de précarité de la
main d’oeuvre employée. Depuis le PARE, et par le biais du financement des
aides à la formation, les employeurs contrôlent maintenant la formation
privée et tentent de contrôler l’activité du service public, par le biais
des conventions ANPE-UNEDIC et ANPEUNEDIC-Etat (en 2003, 26% du budget de
l’ANPE provient des financements Unedic). Toutes ces dernières années,
l’Etat et le service public n’ont pas été les garants de l’intérêt des
chômeurs et des salariés, pas plus qu’une gestion paritaire comme celle de
l’UNEDIC où, de fait, le patronat fait la loi, avec l’aide intéressée d’une
ou deux organisations syndicales.
Une protection sociale refondée, qui garantirait un revenu quelles que
soient les formes de chômage, suppose donc une unification des régimes
actuels, un système unique qui allieraient les composantes actuelles du
service public et l’Unedic, dans le cadre d’une Charte de Service Public
avec contrôle quadripartite. On aurait là une nouvelle branche d’un régime
de Sécurité Sociale rénové.
Les formes institutionnelles d’indemnisation du chômage ont depuis l’origine
divisé les sans-emplois : partitions entre les ayant-droits et les autres,
discriminations entre catégories différentes d’ayant-droits (certains ayant
davantage de droits que d’autres).
Nous voulons un système unifié d’indemnisation, un continuum
d’indemnisation, une indemnisation indiscriminée.
Démocratiser
Mais cela n’offrira des garanties supplémentaires que si cette instance
est profondément démocratisée. Ce qui signifie :
- que toutes les parties intéressées doivent avoir un droit de
contrôle : les confédérations syndicales comme les organisations de
chômeurs, l’Etat, les organisations patronales.
- que les représentants doivent être élus, ce qui autoriserait des
débats réels sur des programmes différents, en donnant à chaque organisation
un poids en fonction de sa représentativité (rappelons qu’à l’Unedic et dans
les Assedic, ce sont seulement les cinq confédérations jugées
représentatives qui siègent avec chacune un siège, donc une voix).
Certains objecteront peut-être que les organisations syndicales ont déjà
pour tâche de représenter et de défendre les salariés, qu’ils aient un
emploi ou non. Mais pourquoi faudrait-il que les usagers d’un service public
ou d’une institution ne puissent jamais être représentés ? Nous voulons
ouvrir un débat sur de nouvelles formes d’articulation entre l’Etat et les
instances paritaires, sur de nouveaux droits pour les salariés, les
citoyens, les usagers.
Remettre les chômeurs dans le "droit commun" du point de vue de
l’exercice démocratique est un enjeu politique central alors qu’aujourd’hui
une grande partie d’entre eux se sentent totalement "abandonnés", "fliqués",
"soumis".
L’exercice de ces nouveaux droits doit s’accompagner de moyens concrets
pour les mettre en oeuvre :
– le droit pour les organisations collectives, associatives ou
syndicales d’afficher leurs positions dans les différents services, ce qui
n’est pas le cas aujourd’hui dans les antennes Assedic.
– le droit de s’adresser régulièrement à tous les chômeurs. De la
même manière que les associations de parents d’élèves peuvent correspondre
avec leur mandants, on pourrait imaginer que deux ou trois fois par an les
organisations de chômeurs adressent un courrier aux chômeurs à l’occasion de
l’envoi de la carte d’actualisation. Cette intervention porterait, par
exemple, sur le fonctionnement quotidien ou les choix stratégiques du
service public de l’emploi, des Assedic, des organismes de formation.
Un fonctionnement "quadripartite" permettrait, enfin, d’intégrer la
diversité des points de vue : l’Etat comme garant de l’ordre public social
et des principes de service public, toutes les organisations syndicales, les
organisations syndicales et associatives de chômeurs sur une base élective,
le patronat eu égard à sa responsabilité dans le marché du travail. A
condition de construire, parallèlement, des instances de recours pour les
usagers qui ne soient pas à la fois juges et parties, comme c’est le cas à
présent, avec les commissions départementales de la DDTEFP notamment.
IV) Quel financement ?
Toutes prestations confondues (le Rmi compris, qui est géré par les
CAF), les prestations "chômage" représentent aujourd’hui moins de 10% de
l’ensemble des dépenses de protection sociale, soit moins de 5% du PIB. Les
ressources à mobiliser pour améliorer immédiatement, et qualitativement, la
rémunération de l’ensemble des chômeurs (en incluant ceux qui ne sont pas
enregistrés comme tel ou pas indemnisés) resteraient en fin de compte
limitées par rapport à la richesse nationale. Quel que soit le scénario
retenu : 15 ou 20 milliards d’euros permettraient à tous ceux qui ne sont
pas indemnisés, ou moins indemnisés que le Smic, de l’être au niveau du
Smic. Ce qui représente moins de 1,5% du PIB . Un alignement immédiat plus
bas que le Smic (650 euros par exemple 4 200 francs - soit au-dessus du
seuil de pauvreté) ne place l’opération qu’à, environ, 1% du PIB. C’est très
peu, sans compter que les sommes distribuées alimenteraient la consommation
des ménages, et donc la production. Sans compter, non plus, que des
économies substantielles pourraient être réalisées par l’amélioration des
conditions d’existence des chômeurs. Car le coût social "caché" du chômage,
en termes de santé, d’usure psychologique, d’échec scolaire, d’endettement,
n’est jamais budgétairement intégré. A l’aube de ce millénaire, les libéraux
n’offrent comme "nouvelle frontière" que le développement des "petits
boulots" à "faible coût du travail". Nous leur opposons une autre
"frontière" : celle d’une société qui a minima assurerait un statut digne de
ce nom à toute sa population. Une société qui offrirait des emplois de
"qualité" (en termes de rémunération, de formation, de conditions de
travail, d’utilité écologique et sociale), qui organiserait la production
sur d’autres modes pour d’autres finalités, et qui assumerait ses
responsabilités sociales en cas de chômage. Comment garantir le financement
de cette protection étendue ? Plusieurs débats sont à ouvrir.
Le premier débat porte sur les moyens à mettre en ¦uvre pour sortir de
la gestion à "courte vue" du financement des allocations. Cette gestion "nez
sur le guidon" est délibérément organisée par le Medef. Puisque dans les
périodes de reprise et donc d’excédents (plus de recettes de cotisations et
moins de dépenses), le Medef exige une baisse des cotisations, pour mieux
légitimer, ensuite, dans les périodes de récession, une baisse des
prestations, au nom des déficits enregistrés. La solution à ces
déséquilibres chroniques de financement passe par la constitution d’un
"fonds de réserve" permettant d’amortir "par le haut" les phases de
récession (sans réduire les prestations, donc).
Le second débat à ouvrir porte sur la création d’un système de malus,
destiné à pénaliser les entreprises qui abusent des emplois précaires ou des
licenciements. Différentes formules sont envisageables : mise en place d’une
"surcotisation sociale", ou bien d’un forfait pour les "frais de dossier" à
chaque licenciement ou à chaque embauche d’emplois précaires (les sommes
étant reversées ensuite à l’indemnisation du chômage). Ce malus
s’appliquerait aux entreprises qui utilisent plus massivement qu’en moyenne
(nationale et/ou de leur branche d’activité) les emplois précaires (ou les
licenciements). Le financement de la protection sociale ne doit certainement
relever uniquement des entreprises "rétrogrades". Il ne s’agit pas de
distribuer des "bonus" sous forme d’exonération de cotisations sociales. Il
est simplement question de contraindre y compris financièrement les
entreprises à respecter un certain nombre de critères en matière d’emploi.
Aujourd’hui elles n’ont plus aucune contrainte, elles sont même encouragées
financièrement à accroître le volume des embauches précaires.
Le troisième volet du débat concerne l’assiette du financement. Ce débat
traverse les rangs des opposants au social-libéralisme. Les partisans de la
cotisation assise sur les salaires (notamment B. Friot) pointent les dérives
de la fiscalisation des allocations d’une part, et des assurances privées
d’autre part. Toutes deux aboutiraient, disent-ils, à une société duale avec
d’un côté des pauvres, assistés, et de l’autre des rentiers. D’un côté, des
prestations fiscales réservées au pauvres, réduites au minimum et financées
par l’impôt (payées par les plus "riches" qui n’auraient de cesse d’exiger
la baisse de la "pression fiscale", en clamant leur rasle-bol de "payer pour
les pauvres"), et de l’autre des prestations privées soumises à la logique
financière (des sortes de fonds de pension) pour "protéger" les plus riches.
Le financement par cotisation permet au contraire, indiquent-ils, à la fois,
d’affirmer la nature salariale des allocations versées aux sans-emploi,
d’accroître la responsabilité sociale des entreprises, et de donner à voir
que la richesse produite l’est par le travail. Les cotisations font de la
sorte partie de la masse salariale et financent des prestations qui sont
assimilables, pour cette raison, à du salaire indirect (et socialisé). Pour
mieux en dénoncer le "poids", le patronat n’a d’ailleurs eu de cesse de
qualifier les "cotisations sociales" de "charges sociales". Il faudrait, au
contraire, réhabiliter les cotisations sociales : prélevées chaque mois,
elles sont, en effet, immédiatement reversées (sans capitalisation donc)
sous la forme de prestations sociales (et celles-ci représentent plus d’un
tiers du revenu disponible des ménages). A l’inverse diminuer les
cotisations sociales, reviendrait à réduire en chaîne les prestations
sociales , la consommation des ménages (plus des deux tiers des débouchés
des entreprises), la production et donc l’emploi, a fortiori dans un
contexte où le taux de profit des entreprises est très élevé (c’est le cas
depuis plus de 15 ans). Sans nécessairement s’opposer à ces arguments,
d’autres se prononcent surtout pour un élargissement de l’assiette des
cotisations, en les calculant non plus sur les salaires seuls, mais sur une
base élargie (la valeur ajoutée par exemple). Les arguments avancés sont les
suivants. Un tel dispositif permettrait de surmonter le paradoxe qui veut
qu’une entreprise qui licencie contribue moins au financement de la
protection sociale (elle paye moins de cotisations). Et un tel dispositif
permettrait de ne pas "pénaliser" les entreprises les plus intensives en
main-d’¦uvre (souvent des PME). Tout en "taxant" le capital et les profits,
et pas uniquement les salaires.
Le 17 décembre 2002, lors des dernières négociations Unedic, la CGT
proposait ainsi que "de nouveaux critères soient introduits dans les taux de
cotisations, selon les performances des entreprises en matière d’emploi".
Pour accroître le financement du régime Unedic, et redistribuer l’assiette
des cotisations patronales, J. Lazarre poursuivait : "Il convient d’élargir
l’assiette à la valeur ajoutée, qui est plus large que la masse salariale.
On peut l’élargir aux revenus financiers qui ne sont pas dans la valeur
ajoutée. On peut intégrer dans l’assiette des éléments qui échappent
actuellement à la cotisation comme les stocks-options".
V) Des débats à mener
Ne nous voilons pas la face. La revendication d’une indemnisation élevée
heurte certains salariés, ou même certains chômeurs.
Quelle place pour le travail ?
"Pourquoi on le paierait, alors qu’il ne travaille pas ?". "Pourquoi
gagnerait-il autant que moi, alors que j’en bave tous les jours ?". "Il y en
a qui pourraient travailler, mais qui ne le veulent pas, pourquoi on les
paierait ?", "si on veut travailler, on peut". Dans les quartiers, les
entreprises, s’expriment quotidiennement ces stigmatisatisations des
chômeurs, qui disent les divisions, les concurrences, les luttes contre les
plus proches, qui traversent les classes populaires. Pour certains salariés,
confrontés à une détérioration de leurs conditions d’existence, mettre les
chômeurs à l’index, c’est aussi une façon de marquer la distance qu’ils
voudraient ne pas voir abolie avec ceux qui ont encore un peu moins qu’eux.
Une manière de restaurer une identité, de conjurer le déclassement.
Le rapport au travail est souvent double, paradoxal, et balance entre
dénonciations (justifiées) et fierté (notamment de montrer de "quoi on est
capable"). Les conditions de travail se détériorent, l’intensité du travail
s’accroît, l’appel patronal à "l’autonomie" des salariés se double de
contrôles individualisés et renforcés, le travail parcellisé est loin
d’avoir disparu, l’utilité sociale du travail accompli ne va pas de soi. A
juste titre, de plus en plus de salariés s’en plaignent, et détestent
l’emploi dégradé "qu’il faut bien se taper", et "l’exploitation". Mais en
même temps, aller au travail, c’est parfois retrouver des groupes de
"potes". C’est montrer à ses proches sa valeur, reconnue notamment par la
fiche de paie. Pour les hommes, sur un mode semi-macho, travailler autorise
souvent la reproduction des images traditionnelles de la "virilité". Pour
les femmes, le salaire concrétise l’indépendance.
Comment comprendre autrement que les femmes refusent majoritairement
d’abandonner leur emploi, alors qu’il est de plus en plus précaire,
répétitif, non qualifié, mal payé ? On gagne souvent moins que le RMI quand
on est caissière à temps partiel dans un supermarché. Quelle est la part de
l’aliénation, et celle de l’émancipation ? La dignité reconnue au fait
"d’avoir du travail" s’évalue à l’aune de l’indignité attachée au fait de
n’en pas avoir. La perte d’emploi pour les salariés âgés constitue très
souvent un drame. Ils se retrouvent, dans certains cas, en face du mépris
affiché par les jeunes. En face, quelquefois, de l’éloignement de leurs
filles qui réussissent leur scolarité. Perdre son travail, ce n’est pas
seulement perdre son salaire, cela signifie des relations sociales plus
rares, perdre les routines et les raisons d’être associées au travail,
perdre la reconnaissance locale liée au collectif de travail, perdre les
savoirs et les savoir-faire accumulés, et si peu valorisés à l’extérieur.
C’est l’un des "paradoxes" de l’emploi : certains se tuent au travail, et
d’autres souffrent de n’en pas avoir. Il faut donc à la fois, s’attacher à
changer les conditions de travail et s’attacher à modifier les rapports au
travail. Et mener en tout cas une réflexion collective et statistique sur la
place du travail, ne pas laisser aux directions générales, et aux directions
des "ressources humaines", le soin d’en décider pour tous.
Les stigmatisations libérales des chômeurs
La désignation puis la reconnaissance des "chômeurs" comme catégorie est
invention récente. Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que le chômage,
comme état de ceux qui n’ont pas d’emploi en raison de l’insuffisance du
volume d’emploi, devient classification reconnue (en France, avec
l’expansion des secours syndicaux aux sans-travail, qui se développent à
partir des années 1880). Seules trois catégories étaient jusqu’alors
reconnues : les travailleurs (qui pouvaient à l’occasion "chômer"), les
invalides (qui devaient exhiber les stigmates de leur "handicap" pour
prétendre à la charité publique ou privée) et les "vagabonds" (rejetés car
soupçonnés de prétendre indûment aux "aides"). Il faudra attendre le début
du XXème siècle, pour, qu’en France, L’Etat finalement consacre
l’indemnisation du chômage : subventions publiques aux caisses syndicales de
chômage de 1905 à 1940, subventions d’Etat aux fonds de chômage municipaux
qui distribuent des secours dans les régions les plus urbanisées après 1914,
ébauche des fonds de chômage publics dans les années 1930.
Mais, pour les libéraux, et le Medef aujourd’hui, les chômeurs et
l’indemnisation demeurent toujours suspects. Suspects d’indolence, ou de
"profiter", pour les chômeurs. Suspecte de contrarier le retour à l’emploi,
pour l’indemnisation (voir les théorisations récentes sur les "trappes à
inactivité"). Alain Minc résume typiquement ce point de vue dominant, ce
point de vue tout de soupçon, qui est le point de vue spontané des dominants
: "Chacun sait qu’il existe des chômeurs par choix rationnel, c’est à dire
des individus qui, compte tenu des systèmes d’aide et des effets de seuil au
moment du retour sur le marché du travail, préfèrent s’inscrire à l’ANPE,
quitte à exercer une activité partielle au noir" ("Le Monde" du 28 décembre
1999). Laurent Cordonnier l’a fort bien rappelé : dans la théorie libérale,
"poltrons, roublards, primesautiers, paresseux ou méchants, les salariés
n’ont que ce qu’ils méritent". Et les pauvres aussi, pourraient on ajouter,
depuis que la "Loi de Sécurité Quotidienne" de N. Sarkozy, projette, comme
au XIXème siècle, de les criminaliser : l’Etat-Pénal comme remède à la
paupérisation, vieille recette. Il est plus inquiétant que les gouvernements
de "gauche" n’aient pas échappé à ce moralisme accusateur : obligation de
signer un contrat d’insertion pour les Rmistes, visites domiciliaires pour
vérifier la véracité de leurs déclarations, loi sur le contrôle des chômeurs
en décembre 1991, refus d’augmenter les minima sociaux, en 1997, pour,
disait Lionel Jospin, ne pas "enfermer dans l’assistance".
"La mise en ¦uvre de véritables itinéraires de reclassement pour les
salariés privés d’emploi présenterait l’avantage de les sortir de la
situation d’assistance dans laquelle ils se trouvent progressivement
conduits lorsque leur employabilité n’est pas suffisamment renforcée.
L’indemnisation doit être étroitement associée au renforcement des
compétences du demandeur d’emploi et ne pas demeurer une simple
indemnisation de la non-activité. Il s’agit de substituer au "statut" actuel
de chômeur une stratégie de soutien d’accompagnement et d’aides au
reclassement et à l’amélioration des compétences. Il faut assurer un
véritable contrat qui suppose de part et d’autre de reconnaître et de
respecter des droits et devoirs."
"Le débat sur le Pare a opposé deux conceptions du chômage :
– ceux qui pensent que le chômage est un état à vocation permanente,
au risque d’encourager les chômeurs à y rester
– ceux qui veulent les en sortir le plus vite possible"
Les principaux dirigeants des "gauches" syndicales et gouvernementales
affirment que le travail est constitutif de l’identité personnelle, et que
sans emploi, on n’est rien. Cela devrait les rassurer, et les assurer que
les chômeurs vont tout faire pour retrouver un poste. Et pourtant ils ont
peur, peur que les chômeurs ne le fassent pas, qu’ils soient d’abord oisifs
par goûts, qu’ils trouvent plaisir au "loisir", que finalement cela soit
contagieux. Les dirigeants des "gauches" syndicales et gouvernementales se
rallient donc à l’idée qu’il faut agir par coercition et didactisme : leurs
directions ne savent-elles pas, mieux que les chômeurs euxmêmes, ce qui est
bon pour les chômeurs ? Au fond, ce qui différencie la gauche établie de la
droite classique, c’est surtout le paternalismeŠ Il y a toujours eu des
débats dans le mouvement ouvrier : sur le travail, la réduction du temps de
travail, sur le salariat, sur l’indemnisation du chômage en cas de démission
par exemple, voire sur l’indemnisation des jeunes en quête d’un premier
emploi, ou sur celle des saisonniers. Aujourd’hui, les démissions sont
encore communément jugées illégitimes, et ce n’est qu’au bout de plusieurs
mois "d’expiation" que le démissionnaire peut retrouver ses droits aux
allocations, si la commission paritaire de l’Assedic donne son accord, et
s’il a fait preuve "d’activité" dans sa recherche d’emploi.
Faut-il alors indemniser en cas de démission ? Il nous semble que oui,
pour permettre aux salariés de choisir leur mobilité professionnelle et
géographique.
Car bon nombre de démissions sont en pratique des licenciements déguisés,
suite à un accord entre l’employeur et le salarié et une transaction
financière qui n’apparaît pas - ou parce que l’employeur s’est évertué à
rendre la vie tellement impossible au salarié qu’il n’a pu rester. Dans les
deux cas, il n’y a aucune raison pour que le salarié soit pénalisé, interdit
d’allocations pendant 4 mois, et suspendu à la décision d’une commission
paritaire qui, après ce délai, jugera du caractère involontaire ou non de
son chômage. Pour le moins, il faudrait revenir à la situation antérieure,
quand la commission décidait aussitôt.
Et l’indemnisation, dans les autres cas de démission ? L’indemnisation des
journalistes, qui démissionnent en faisant jouer la "clause de conscience",
est déjà en vigueur. Pourquoi ne pas étendre cette clause à toutes les
situations où le salarié est en désaccord avec la stratégie de son
entreprise, à toutes les situations où les conditions de travail et
l’organisation du travail sont jugées inacceptables ? Les employeurs
choisissent de garder ou non leurs salariés, pourquoi les salariés ne
pourraient-ils pas choisir de rester ou non ?
Seules les directions peuvent brandir la menace du "si vous n’êtes pas
content, la porte est grande ouverte" ! Indemniser les démissions,
permettrait de contrarier un peu la "subordination" des salariés qui règle
constamment leurs relations avec les employeurs !
C’est la "propriété sociale" (avec notamment la protection sociale, le
droit du travail...) qui a permis, à ceux qui ne pouvaient vivre de leur
"propriété privée", d’être "propriétaires d’eux-mêmes" (Castel et Haroche).
Et ce sont les droits qui légitiment les devoirs. Il est donc assez obscène
d’en rajouter toujours sur les "devoirs individuels des chômeurs" tout en
réduisant, à chaque négociation Unedic, leurs droits déjà faibles.
Le SMIC comme référence et le maintien du salaire
En 1974, les confédérations CGT et CFDT demandaient que les allocations
chômage s’élèvent à 90% du salaire antérieur, et qu’elles ne soient jamais
inférieures au SMIC. Cette revendication est toujours d’actualité.
Simplement parce qu’en dessous du SMIC, on ne peut pas vivre. Nous savons
bien qu’une telle revendication paraît "excessive" à certains salariés (en
particulier à celles et ceux qui sont à temps partiel contraint).
La première formule du Programme commun de gouvernement prévoyait, en
plus des mesures préventives à l’égard du chômage (pas de licenciement sans
reclassement préalable, veto suspensif du comité d’entreprise sur les
décisions de licenciement, prise en charge des entreprises de travail
temporaire par l’ANPE), plusieurs réformes de l’indemnisation du chômage
dont la plus importante était : les indemnités ne pourront être inférieures
au Smic. On laisse chacun juge de la reconfiguration des discours que plus
de vingt années de modernisation conservatrice ont suffi à engendrer. Et
l’on aperçoit, ici comme ailleurs, à quel point l’intériorisation du sens
commun libéral borne désormais l’espace du pensable. Nous devons travailler
à persuader, au lieu de nous replier, d’emblée, vers un "réalisme" qui
ignore tout des réalités - de la réalité des existences au Smic notamment.
Au début du XXème siècle, le refus d’un emploi proposé par un bureau
public de placement, entrainait immédiatement l’arrêt de l’indemnisation.
Mais les secours syndicaux continuaient, eux, à verser des indemnités,
celles-ci, comme le rappelle C. Topalov, s’accompagnant "de l’interdiction
d’accepter un emploi offert à un salaire inférieur aux normes du syndicat ou
par un employeur mis à l’index". "Le secours de chômage était donc conçu
pour permettre éventuellement de refuser un emploi disponible (...) et
n’était pas simplement une mesure pour tempérer la misère, mais un
instrument de combat". Fernand Pelloutier, l’un des initiateurs de la
Fédération des Bourses du travail, formulait ainsi en 1902, le sens de
l’institution :
"Le secours de chômage est considéré comme le paiement d’une dette de
solidarité contractée par les syndiqués les uns envers les autres, et
surtout comme le moyen de soustraire le chômeur aux offres de travail
dépréciées". On mesure l’inversion à l’oeuvre depuis les années 1980 : hier
offensive pour contrarier la dégradation de l’emploi, l’indemnisation du
chômage devient de nos jours une arme pour accélérer la précarisation du
travail. Il faudrait renouer, au plus vite, avec sa fonction des origines :
la fixer minimalement au Smic l’autoriserait, et la situerait clairement
dans la continuité du salaire.
L’évaluation chiffrée des "besoins" élémentaires, opérée par les
associations de chômeurs, établit que le Smic constitue en effet un minimum.
Qu’on en juge, avec le décompte des frais minimum mensuellement nécessaires
en région parisienne, réalisé par l’Apeis (voir "Existence !" no 13, 2001) :
– Nourriture (10,67 euros par jour) soit 320,14 euros par mois.
– Vêtements, chaussures : 45 euros.
– Loyer mensuel + charges (base F1 à 304,90 euros par mois - 152, 45
euros d’APL) : 152 euros.
– Equipements divers (produits d’entretien courants, équipements
ménagers) : 22,87 euros.
– Energie (eau, gaz, électricité) : 30,49 euros.
– Transports (carte orange cinq zones) : 87,96 euros.
– Téléphone : 39,64 euros.
– Recherche d’emploi (envois postaux, journaux d’annonces, frais de
rendez-vous) : 76,22 euros.
– Santé (mutuelle 41,16 euros + 15,24 euros de frais
non-remboursables) : 56,41 euros.
– Hygiène corporelle (coiffeur moyenne homme/femme) : 40,40 euros.
– Assurance locative obligatoire (F1 91,47 euros par an) : 7,62
euros.
– Culture (livres, revues, cinés...) : 60,98 euros.
– Vacances (1219,19 euros épargnés sur 11 mois) : 110,98 euros.
– Loisirs (pot entre amis, cadeau d’anniversaire...) : 60,98 euros.
– Divers (cigarettes, petits imprévus de la vie) : 76,22 euros.
– Impôts (contributions fiscales + taxes diverses) : 121,96 euros.
– Contribution à la "vie démocratique" (journaux, cotisations..) :
22,87 euros.
La CGT-Chômeur a calculé des budgets qui arrivent aux mêmes conclusions.
En 2001, vivre "au plus juste" en région parisienne nécessitait un revenu
mensuel de 1334 euros, par personne. On est extrêmement loin du Smic, et
plus encore du montant moyen des allocations-chômage. Sans parler du RMI.
En décembre 2002, plus d’un chômeur sur deux percevait moins de 750
euros par mois.
Que chacun calcule et recalcule. Certains postes pourraient, peut-être,
être rognés. Mais assez peu. Et, répétons-le, nous sommes ici très loin du
Smic ! L’urgence impose donc de relever très vite, et fortement, les minima
sociaux et les allocationschômage. Mais on pourrait, par contre, plafonner
le versement des allocationschômage pour les très hauts salaires. La
définition collective d’un revenu minimum, devrait s’accompagner de la
fixation d’un revenu maximal socialement autorisé, le surcroît étant
intégralement reversé aux caisses de l’Etat.
Il faut en tout cas partir des besoins.
VI Redonner des moyens au service public de l’emploi
Mettre l’Agence au « service des entreprises » est en effet devenu, dès
le début des années 1990, l’impératif assigné à une ANPE de plus en plus
déconcentrée (en matière de décisions et de gestion) et de plus en plus
dépendante des bassins d’emploi locaux. En même temps que son nouveau
principe de justification. Le second contrat de progrès (1994-1998) négocié
entre Michel Giraud, ministre du travail, Nicolas Sarkozy, ministre du
budget, et Michel Bon, directeur général de l’ANPE, sorte d’énarque-manager,
pose l’Agence en « partenaire des entreprises ».
Ce qui implique que « l’Agence s’engage à réaliser une rénovation
profonde de son mode d’action et de ses moyens d’intervention en direction
des entreprises », par « une modernisation de la gestion de ses ressources
humaines » liée « une démarche qualité touchant l’ensemble des services
rendus aux entreprises ». Au terme de la réforme Bon, les entreprises et les
demandeurs d’emploi sont des "clients" de l’Agence. Les chômeurs ont à «
actualiser leur portefeuille de compétences » ! En août 1993, tout juste
nommé par le conseil des ministres, Michel Bon, ex-PDG de Carrefour, ne
dissimulait d’ailleurs pas son programme, lorsqu’on lui demandait quelle
stratégie il définirait pour l’ANPE : « ce sont les employeurs qui me le
diront : ils sont nos clients et c’est le client qui définit ce dont il a
besoin, pas le vendeur. A priori la mission première de l’Agence est de leur
fournir des candidats en temps utile et avec les spécificités requises ».
L’objectif des réformes impulsées par Michel Bon, pour « moderniser l’Agence
» était de transformer l’ANPE en entreprise, « une entreprise de production
de services », visant une position de « leader sur le marché du recrutement
».
A présent, cette modernisation libérale de l’ANPE passe à un étage
supérieur. Le Rapport Marimbert, rédigé début 2004, propose d’accroître le
désengagement financier de l’Etat. Ainsi de façon structurelle, l’ANPE se
retrouverait en situation de dépendance financière par rapport à l’Unedic.
Et chaque renouvellement de la convention Unedic ferait peser sur l’Agence,
le risque d’une diminution drastique de ses moyens alors même qu »elle est
déjà en pénurie de personnels. Cette affaiblissement de l’engagement de
l’Etat obligera plus encore qu’aujourd’hui l’ANPE à rechercher des
financements auprès des collectivités territoriales. Les Directions
Départementales de l’Agence devront toujours davantage se transformer en
agents commerciaux vendant la qualité des prestations de l’ANPE pour «
emporter le marché » et recueillir les fonds des Conseils Généraux. Mais
comment ne pas voir que les Conseils Généraux pourront très bien créer leurs
propres services, ce qui leur assureraient un contrôle politique et
financier plus étroit. Autant dire que le Service Public National de
l’Emploi, dans ce cas, n’existerait plus vraiment. La territorialisation des
politiques de l’emploi, déjà à l’¦uvre avec les fast-formations du Pare et
la décentralisation totale de la formation professionnelle continue,
trouverait là son expression la plus achevée. Jean Marimbert approuve par
ailleurs « la fin du monopole » de l’ANPE, autrement dit la fin du dépôt
obligatoire des offres à l’Agence, sa mise en concurrence avec des officines
privées sur le terrain du placement. Au marché du travail de plus en plus
libéralisé, avec un droit du travail réduit comme peau de chagrin, auquel
s’ajoute une Unedic mise au service du workfare, s’ajouterait donc la fin de
la prise en charge publique des demandeurs d’emploi. La boucle sera ainsi
bouclée : des salariés mal payés et licenciables « à merci » sur le marché
du travail, des syndicats avec moins de droits (suite à la loi Fillon sur la
réforme du dialogue social), des chômeurs de plus en plus contraints
d’accepter n’importe quelle offre d’emploi, et une ANPE qui ne contrôlera et
n’orientera plus grand chose. On voit comment chacune des réformes, se
conjuguant à toutes les autres, dessine en réalité un ordre social neuf, où
le travail redevenu pure marchandise, ravale les salariés et les chômeurs à
n’être plus que des kleenexs, qu’on use et qu’on jette. C’est évidemment
intolérable. Et c’est pourquoi, également, une refondation de
l’indemnisation du chômage passe par un plan pour refonder le Service Public
de l’Emploi. L’Unedic doit revenir à ses mission premières, sans possibilité
de peser sur l’ANPE. Il faut pour l’Agence, un nouveau plan de développement
pluri-annuel,
avec des ressources financières et des postes supplémentaires, financés par
l’Etat. Il faut aussi donner au corps de l’Inspection du travail les moyens
en personnel de pouvoir accomplir sa mission. Et réfléchir bien évidemment à
tous les moyens possibles pour éviter et interdire dans certains cas les
licenciements. Tout ceci est possible, avec un peu de volonté politique, et
en démocratisant les institutions qui gèrent le marché du travail. Car c’est
bien cette volonté en politique qui depuis plus de vingt ans fait défaut,
depuis que les gouvernements s’abandonnent aux dogmes du libéralisme, à ses
fatalités, à ses injustices. Cela ne peut plus durer.
« Pour un Grenelle de l’Unedic. Refonder l’indemnisation du chômage »
Edition Syllepse 2003
R. Crémieux, D. Gélot, C. Lanoizelez, D. Mezzi, M. Moreau, W. Pelletier, C.
Villiers, M. Zediri
Les notes de la Fondation Copernic sont disponibles en librairie ou peuvent
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