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"Fuite de cerveaux" : Un pays comme la Zambie

Publie le mercredi 24 mai 2006 par Open-Publishing

RAPPORT OMS

"Fuite de cerveaux"

Dans le rapport publié par l’OMS à l’occasion de cette journée, l’institution affirme que "25% des agents de santé africains travaillent dans les pays occidentaux".

POLITIQUE

LA saignée est telle qu’on ne parle plus seulement de fuite de cerveaux.
Certains responsables de l’OMS estiment carrément qu’il s’agit d’un "véritable pillage des ressources humaines africaines".
Le Dr Tim Evans, auteur du rapport consacré à ce phénomène, a déclaré à la BBC que "les pays riches devraient avoir honte de pratiquer des recrutements qui ne sont pas éthiques".
"Recruter des agents de santé dans des pays qui en ont le plus besoin est tout simplement inacceptable", soutient le docteur Evans.
Ce haut responsable de l’OMS pense que "les pays riches devraient aller recruter en Europe de l’Est, par exemple, où le problème d’insuffisance de personnel de santé ne se pose pas encore". Un pays comme la Zambie, d’après les statistiques officielles de cet État, n’a que 600 médecins pour une population de 11 millions d’habitants.
Il y a donc dans ce pays un médecin pour 14.000 personnes, comparativement au Royaume-Uni où l’on compte 1 médecin pour 6 cents.
"Nous tournons avec 50% à 60% de nos besoins en personnel", note le Dr Mwila Kaunda Lembalemba, qui propose sa solution.
"Il faudrait que nos partenaires et le gouvernement mettent plus de moyens dans la formation et investissent à retenir ceux qui sont déjà dans la profession".
Ce cadre zambien qui dirige les structures de santé dans le district de Kafue, 45 kilomètres au Nord de la capitale Lusaka, poursuit quelque peu amer : "Une étude du ministère zambien de la Santé a indiqué qu’il y avait 16.000 infirmiers zambiens qui travaillent rien qu’au Royaume-Uni".

Médecine traditionnelle

Devant l’inefficacité notoire des services de santé due en partie à l’insuffisance du personnel de santé, de nombreux Zambiens se tournent vers la médecine traditionnelle ; en réalité, un mélange de fétichisme et d’exorcisme dont l’efficacité et les résultats restent incertains.
Les “tradi-praticiens” zambiens ont développé de dynamiques politiques de marketing. Dans le marché Soweto, l’un des plus importants marchés de la capitale zambienne, aucune structure sanitaire formelle n’existe alors que plusieurs guérisseurs traditionnels sont installés en plein cœur de ce marché.
De grands panneaux publicitaires permettent de repérer facilement leurs emplacements et ils se sont tous attribués le titre respectable de “docteur”. C’est dans ce marché que j’ai rencontré celui que le président de l’association des “tradi-praticiens” appelle "le spécialiste des maladies mentales".
Installé dans une des échoppes du marché, le Dr Justin Kumwenda utilise les mêmes procédés que ses confrères : plantes médicinales et “invocations spirituelles”.
Comme ailleurs en Afrique, le malade mental est considéré comme une personne possédée par un mauvais esprit, par un démon qu’il faut combattre.
Dans un pays où d’après le Président de la République, il n’existe pas un seul médecin psychiatre, on imagine la place que prennent les guérisseurs traditionnels.
"Je commence d’abord par réguler le rythme cardiaque du malade et nettoyer son sang avec mes produits traditionnels, puis j’engage le combat spirituel", explique le Dr Kumwenda qui promet une guérison au bout d’un mois.
Le seul centre de prise en charge des malades mentaux, le Chainama Hills College Hospital, ressemble plus à une prison qu’à une véritable institution de prise en charge.
Les malades sont soit enfermés ou abandonnés à eux-mêmes, et on peut croiser des patients très sales en train d’errer dans la cour de cet hôpital.
Le gouvernement zambien semble cependant faire quelques efforts pour changer une situation de pénurie de personnels désastreuse.

Soutenir la formation

En tous cas, l’OMS estime que ce pays "doit doubler le nombre de ses agents de santé s’il veut atteindre le seuil de l’acceptable".
Les autorités, comme le soutient le Dr Lembalemba, "ont mis en place des mécanismes pour retenir les agents de santé et forcer la vocation chez ceux qui ne sont pas encore dans le métier".
Des primes et indemnités diverses sont accordées aux agents de santé et l’État a négocié des crédits auprès des banques pour ceux de ces agents qui en expriment le besoin.
Des efforts en partie rendus possibles grâce à l’annulation par les pays du G8 en juillet dernier, de 4 milliards de dollars de la dette de la Zambie.
La Zambie est désormais citée en exemple par l’OMS, qui appelle les pays occidentaux à emboîter le pas.
"Soutenir la formation des agents de santé et les salaires dans les pays pauvres pour amoindrir les effets du désastre qu’ils ont crée en recrutant aussi massivement des agents dont ces pays ont un si grand besoin".


La fuite des cerveaux africains gravée dans la loi en France ?

L’article 12 du projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration, adopté via la procédure d’urgence par l’Assemblée nationale en première lecture, prévoit une mesure qui peut contribuer à favoriser davantage la fuite des cerveaux en Afrique. Il s’agit de la création d’une carte de séjour “compétences et talents”.
Le projet du gouvernement prévoit d’insérer dans le Code du travail l’article suivant :
"La carte de séjour “compétences et talents” peut être accordée à l’étranger susceptible de participer, du fait de ses compétences et de ses talents, de façon significative et durable au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif de la France ou du pays dont il a la nationalité. Elle est accordée pour une durée de 3 ans. Elle est renouvelable".

"Fuite de cerveaux"
Article paru dans Témoignages le mercredi 24 mai 2006