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Grève : la base se rebiffe

Publie le vendredi 16 novembre 2007 par Open-Publishing
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Gouvernement et syndicats se renvoient la responsabilité de la poursuite du conflit.

PIERRE-HENRI ALLAIN (à Rennes), HAYDÉE SABERAN (à Lille), LAUREEN ORTIZ, LUC PEILLON, FRANÇOIS WENZ-DUMAS

Reprise du travail ou poursuite de la grève ? C’est aujourd’hui que tout devrait se jouer. La journée d’hier ressemble beaucoup à une journée de dupes. Sur le terrain, le nombre de grévistes était en baisse : 43 % contre 61 % mercredi à la SNCF, 27 % contre 44 % à la RATP. Mais les négociations sont dans l’impasse.

Le gouvernement met en préalable la reprise du travail, le ministre du Travail, Xavier Bertrand, expliquant que l’« on ne peut pas avoir et la grève et les négociations d’entreprise en même temps ». Côté syndical, sept fédérations de cheminot appellent à reconduire le mouvement jusqu’à samedi à la SNCF, demandant au gouvernement d’organiser la réunion tripartite sans attendre la reprise du travail. A la RATP, quatre syndicats sur huit appellent à la poursuite de la grève. Les fédérations syndicales, pourtant prêtes à négocier (à l’exception de Sud-Rail qui demande l’abrogation pure et simple de la réforme), ne veulent pas apparaître comme briseuses de grève. A la SNCF, la tradition veut que les assemblées générales votent dépôt par dépôt, même si ce vote n’est pas toujours suivi d’effet. Tour de France des AG.

ateliers de réparation des tgv de Hellemmes (Nord)6 heures

Ils sont quelques centaines autour d’un feu de palettes. Prêts à continuer, malgré les petits pas de la CGT, la veille, au sommet. « C’est vrai que quand on a vu Bernard Thibaut à la télé, on s’est inquiétés, reconnaît Dominique Tison, de Sud-Rail. Mais c’est la base qui choisit, elle est maîtresse. » Continuer la grève ? Marc Grave, délégué CGT du site : « Ce n’est pas moi qui décide, ce sont les adhérents. Je ne prends pas de décision seul, je m’appelle pas Sarkozy. » Elle continue, ont décidé les 16 AG de la région. Dominique Tison : « L’objectif, ça reste trente-sept ans et demi pour tout le monde », revendication Sud-Rail. « Les jeunes entrent sur le marché du travail à 25 ans. Je ne vois pas un cheminot conduire un TGV à 65 ans, ou un ouvrier dans nos ateliers souder à cet âge-là. »

Restaurant d’entreprise de la gare Lille-Flandres 10 heures

A l’AG, un énorme « ouais ! » sort des poitrines pour reconduire la grève. Un délégué Sud-Rail reconnaît que mercredi soir, il s’est demandé « si Bernard Thibaut n’allait pas nous refaire le coup de François Chérèque » en validant la négociation « entreprise par entreprise » en échange de la négociation tripartite (syndicats, direction, gouvernement) acceptée par le gouvernement. Mais il ajoute : « Il faut tout faire pour conserver une unité syndicale. » Pascal Derain, élu CGT : « Il n’y a pas de concession. La preuve, la grève est reconduite. C’est nous, la base, qui choisissons à la fin. Et si on voit que ça se passe mal pour les autres [RATP et électriciens-gaziers, ndlr], on leur donnera un coup de main. »

Gare de Lyon, Paris dans la matinée

Les AG ont eu plus de succès que la veille : 110 personnes chez les guichetiers, 130 chez les contrôleurs, une centaine à celle des conducteurs. Pourtant, on annonçait déjà un nombre de grévistes moindre, passant de 60 % à 40 %. Mais sur le terrain, on trouve peu de non-grévistes. Une, à l’accueil, explique qu’elle « ne peut pas se permettre financièrement un deuxième jour de grève ». Une autre, au guichet, dit soutenir la grève mais avoir la pression, en tant que nouvelle embauchée. Au dépôt des conducteurs, la grève a pris massivement : 93 % de grévistes pour les trains de banlieue, 50 % pour les grandes lignes, indique le directeur traction de Paris Sud-Est, Richard Delepierre. Il jauge de sa fenêtre l’AG des conducteurs : « Ils sont nombreux, mais je pense qu’il y aura vite des reprises. La CGT est tempérée, même les représentants de Sud-Rail ne tiennent pas un discours jusqu’au-boutiste. » En dix minutes, la grève est reconduite. « Quand il y aura des propositions, ça deviendra plus animé, mais là, rien », explique Philippe Cespedes, cégétiste. A la SNCF, les militants de la CGT suivent la ligne de leur confédération et acceptent l’idée des négociations régime par régime. « Il n’y a pas de dissension », assure Philippe Cespedes.

Restaurant d’entreprise RATP, porte de Saint-Cloud10h30

Il est 10h30, lorsque l’AG des conducteurs et machinistes de l’ouest parisien débute. Il y a des conducteurs de métro de la ligne 3, 8, 9 ou 12. Des chauffeurs de bus des dépôts de Nanterre ou Montrouge. Ils sont près de 300. Les types sont virils, les filles minoritaires. « C’est super qu’il y ait autant de monde, commence un conducteur de la ligne 9. Parce qu’en ce moment, un coup fourré se prépare dans notre dos. Mais on va gagner, et tous ensemble ! » L’ambiance est électrique. « C’est nous la base !, enchaîne un conducteur de bus. On doit imposer des observateurs dans les négos avec la direction. » Des « y a pas à négocier » fusent dans la salle. Puis un type s’avance. « Moi, je suis à la CGT… » Une rumeur parcourt la cafétéria. « Mais je ne suis pas d’accord avec ce qu’a déclaré Thibault. » L’assemblée martèle bruyamment les tables en guise d’approbation. Les intervenants se relaient, demandent la création d’un comité de grève, quand un autre cégétiste s’avance : « Attention, si on est là, c’est aussi grâce aux syndicats, pas besoin de créer une autre structure. » Flottement dans la salle. Brouhaha. « Pose le micro », hurle un autre. Des coups partent. Plusieurs types se ruent pour stopper la bagarre. Le calme revient. Vers midi, le comité de grève est élu à mains levées, qui se réunit quelques minutes plus tard. Surprise : presque tous appartiennent à la CGT. Et tous sont d’accord sur une chose : pas question d’accepter les négociations d’entreprises. Alors, quitter la CGT ? « C’est Thibault qui doit s’en aller », lâche Nazaire, quand on lui demande si son syndicat vit ce que la CFDT a connu en 2003, lors de la réforme Fillon.

en bretagne

Environ 1 000 cheminots se sont réunis hier sur toute la Bretagne. Partout, la reconduite de la grève a été largement votée. La « lettre de cadrage » de Xavier Bertrand n’en a pas moins été « bien accueillie. Il y a des avancées mais il reste aussi des zones d’ombres », résume Pascal Durand, responsable régional CGT qui relève une forte attente pour la mise en place d’un calendrier de négociations avec l’entreprise. A Lamballe, dans les Côtes-d’Armor, les 200 cheminots que les écrits du ministre ont laissé sceptiques ont voté en AG la grève à l’unanimité. « Il n’y a pas grand-chose de concret, juge Roland Lesage, secrétaire CGT. On attend plus de contenu, on ne va pas lâcher maintenant ». Les représentants syndicaux espèrent avoir « du nouveau » à présenter ce matin aux cheminots pour se prononcer sur la suite d’un mouvement qui se vit « au jour le jour ».

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