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ILS N’AVAIENT PAS DE PLAN A !!!

Publie le samedi 25 juin 2005 par Open-Publishing

de Michel Husson, économiste

L’échec spectaculaire du sommet de Bruxelles résulte du télescopage de deux crises. Il y a évidemment la crise du « non » : après sa victoire en France et aux Pays-Bas, la première question à laquelle devaient répondre les gouvernements bourgeois était de savoir s’il fallait continuer ou non le processus de ratification.

Les conclusions officielles du sommet affirment que « les développements récents ne remettent pas en cause la validité de la poursuite des processus de ratification » et fixent un rendez-vous au premier semestre 2006 pour "procéder à une appréciation d’ensemble des débats nationaux et convenir de la suite du processus".

La réalité est bien différente : les référendums prévus en septembre au Danemark et en octobre au Portugal sont reportés. Au Luxembourg, la décision concernant le référendum programmé le 10 juillet a été renvoyée aux députés, et Juncker est en faveur du report.

Le Premier ministre tchèque proposera lui aussi de repousser le référendum à la fin 2006 ou au début 2007. En Irlande, où le recours au référendum est obligatoire, il est probable que le vote n’aura pas lieu comme prévu en 2006. Avec le Royaume-Uni, qui avait déjà annoncé sa décision, ce sont donc tous les référendums qui sont renvoyés à des jours meilleurs. Même chose dans les pays à ratification parlementaire, comme la Suède ou la Finlande, où les votes sont reportés. Seule l’Estonie maintient la ratification parlementaire prévue à l’automne.

Mais cette crise en a télescopé une autre : les gouvernements n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur le budget européen pour la période 2007-2013. Blair a refusé de réviser à la baisse son « chèque » (de 7,1 milliards à 5,5 milliards d’euros par an), comme le proposait la présidence du Conseil. De son côté, Chirac a fait très fort en militant pour une baisse du budget à 1 % du PIB, tout en refusant de renégocier la politique agricole commune, qui représente environ 40 % de ce budget. Qu’elles sont loin les envolées lyriques sur les merveilles du projet constitutionne l ! La victoire du « non » a permis d’exposer le refus des gouvernements bourgeois de dégager les moyens d’une véritable harmonisation.

Le débat sur le budget européen condense en effet l’opposition entre deux méthodes : soit l’extension de ce budget, nécessaire pour assurer l’accueil des nouveaux États membres (qui commencent à mieux comprendre le film), soit la mise en concurrence des systèmes sociaux. Certes, les libéraux vont chercher à rejeter la responsabilité de la crise sur les partisans du « non », mais tous les éléments en étaient déjà réunis, et la victoire du « non » n’a été qu’un révélateur. Cette crise inévitable est salutaire : elle signifie que les gouvernements bourgeois, pris la main dans le sac, sont dorénavant incapables de continuer leurs petits arrangements libéraux entre amis. Ils ont exposé leur minable hostilité à tout projet d’Europe solidaire et se trouvent plongés aujourd’hui dans une profonde crise de direction.

La tâche immédiate des partisans du « non » est donc claire. Il faut profiter de cette crise pour conforter notre avantage en bloquant toutes les directives scélérates qui sont encore dans les tuyaux : Bolkestein, temps de travail, privatisation des transports. Après avoir déstabilisé le syndic des gouvernements bourgeois, il faut exercer la même pression sur les parlementaires européens pour bloquer ces directives. Il faut transformer la victoire du « non » en une victoire antilibérale, en montrant qu’ils ne pourront plus jamais faire leurs mauvais coups en catimini.

C’est l’occasion d’un bond en avant irréversible de la démocratie sociale européenne, sans commune mesure avec les millimétriques « avancées » que vantaient les ouiouistes dits de gauche. Un tel objectif suppose la mise en place d’un « front antidirectives » où les mouvements sociaux, notamment le Forum social européen, mettent les syndicats en face des contradictions qui commencent à les travailler, entre une position souvent favorable au « oui » et la nécessité de s’opposer aux régressions sociales programmées. C’est sur la base de cette lutte antidirectives que peuvent être élaborées les alternatives, à la fois sur le terrain institutionnel, et celui des politiques.

Il faut combiner la perspective d’un processus constituant européen et la formulation de revendications unifiantes sur les salaires et les minima sociaux, sur la politique économique et monétaire, sur les services publics et les droits sociaux. On doit en effet tenir les deux bouts de la chaîne : la construction de la Constitution idéale n’aura pas d’impact si elle ne s’ancre pas dans les luttes sociales ; et, réciproquement, celles-ci ont besoin d’une perspective institutionnelle. À l’issue de ce sommet européen, les choses sont donc claires : le projet de Constitution est mort ; le traité de Nice est bloqué. C’est le moment ou jamais de mettre en marche notre plan A : A pour Autre Europe.

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