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ISRAËL - Pérès, l’homme qui aimait trop le pouvoir

Publie le samedi 31 juillet 2004 par Open-Publishing

de Nahum Barnéa

Les Israéliens ont du mal à croire le vieux leader travailliste lorsqu’il
affirme ne pas être intéressé par un portefeuille de ministre. Il est
toujours prêt à se sacrifier pour la nation, ricane Yediot Aharonot.

Cela faisait des mois que le pays bruissait de rumeurs selon lesquelles le
Parti travailliste menait des pourparlers secrets pour entrer dans le
gouvernement, des rumeurs prétendument ridicules et sans fondement. Et, une
fois par semaine, le chef de notre "opposition combative", Shimon Pérès, se
ruait sur les plateaux de nos émissions matinales pour démentir ces rumeurs
avec la dernière énergie. Et il suffisait de l’écouter pour éprouver
immédiatement un sentiment de culpabilité. Pourquoi embêter ce cher homme ?
Pourquoi avions-nous tant de mal à le croire quand il jurait qu’il n’était
intéressé par aucune fonction ministérielle, et surtout pas par celle de
ministre des Affaires étrangères ? Après tout, il avait été de tous les
gouvernements et avait obtenu tous les portefeuilles possibles et
imaginables. Il était au-dessus de tout ça. Rien d’autre ne l’intéressait
que la destinée du monde et celle d’Israël.

Deux participants aux
négociations, Haïm Ramon pour le compte de Pérès et Uri Shani pour le
compte de Sharon, ne cessaient de distiller au compte-gouttes les
informations sur l’état des pourparlers entre Sharon et Pérès. Et les
médias, honte à eux, préféraient croire Ramon plutôt que Pérès. Lorsque
Ariel Sharon était interviewé sur l’état des négociations entre le Likoud
et le Parti travailliste, il ne parvenait pas à s’empêcher de rougir
quelque peu, affichant le sourire ingénu d’une jeune fille surprise en
train de flirter avec son premier amoureux. Mais Pérès, lui, ne changeait
pas de partition : il ne menait pas de négociations avec ce "gouvernement
nuisible". A présent qu’il négocie ouvertement, le temps est venu de nous
excuser devant Pérès. C’est gratuitement que nous l’avons suspecté. Il n’y
a jamais eu de négociations et il n’y en aura jamais eu. Quand Pérès a
rencontré Sharon ce 12 juillet, il s’est d’abord demandé d’où ils se
connaissaient. Tant d’années s’étaient écoulées depuis qu’ils avaient eu
leur dernière discussion sérieuse... Ils sont ensuite tombés dans les bras
l’un de l’autre (sans laisser à leurs gardes du corps le temps
d’intervenir), pour enfin prendre des nouvelles des enfants.

"La paix n’attend que son entrée au gouvernement"

Si jamais il restait un Juif à convaincre en Israël ou dans la diaspora,
Pérès a une réponse imparable pour lever les doutes et clouer le bec aux
importuns. Si Pérès parvient à imposer l’entrée du Parti travailliste dans
le gouvernement Sharon et à obtenir pour son parti des portefeuilles
ministériels confortables et influents, lui, Pérès, serait prêt à rester à
l’extérieur. Depuis 1969 (il y a trente-cinq ans !), Pérès a occupé tous
les postes ministériels possibles et imaginables dans tous les
gouvernements auxquels participait son parti. Et, maintenant, voilà qu’il
en aurait marre. Et il aurait raison. Il y a en effet des limites à ce que
le peuple et la patrie sont en droit de demander à un vieil homme de 81
ans. A l’entendre, Shimon Pérès pourrait se contenter de son siège de
député et n’interviendrait en rien dans les initiatives des "jeunes
sexagénaires" qu’il parachuterait au gouvernement. Et, toujours à
l’entendre, la seule chose qui pourrait encore faire revenir Pérès sur sa
décision courageuse et le faire entrer au gouvernement, ce serait son sens
des responsabilités envers la nation.

Le lecteur pourra éclater de rire (il
existe des lecteurs que fait rire le destin de la nation), mais c’est la
stricte vérité. Pérès court de par le monde pour convaincre ses
interlocuteurs israéliens et étrangers qu’il est capable de tenir en laisse
Arafat, que l’Union européenne va faire couler l’argent à flots et que les
Etats-Unis vont applaudir, bref, que la paix n’attend qu’une chose : que le
Parti travailliste entre dans le gouvernement. Si, pour ce faire, Shimon
Pérès était forcé de participer au gouvernement, il se sacrifierait
volontiers. Les médisants continueraient de médire. La presse continuerait
de calomnier. Les camarades forcés de rester à la Knesset continueraient de
proférer des vilenies. Mais il ne ferait que son devoir. Et si de petits
esprits devaient à nouveau l’attaquer au nom des "victimes de la paix", ce
terme né dans les années 90 pour qualifier les victimes d’attentats
terroristes commis pendant les accords d’Oslo, Shimon Pérès, lui, resterait
à jamais convaincu que c’est lui l’unique et véritable "victime de la paix".

Courrier international - n° 717-718-719 - 29 juil. 2004