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Ils ont peur ! Paradoxe. La voie de la défaite et la voie de la victoire.

Publie le dimanche 18 mars 2007 par Open-Publishing

de Vincent Présumey

Chirac est et reste, à ce jour et à cette heure, le pilier du régime français. Il a largement discouru, ces derniers jours, au niveau européen puis français. Une nouvelle candidature de sa part était impossible, non pas tant d’ailleurs parce qu’absurde en soi (l’absurdité ne retient pas les dirigeants politiques) que parce qu’elle aurait ouverte une grave crise au sommet de l’Etat et des partis du capital, déjà largement marqués de tels conflits. Pas de "scoop" donc de ce côté là.

Ce lot de discours est avant tout marqué de la peur. Car qu’est-ce que ces appels répétés à l’union nationale contre "les extrémismes", ces invocations de la "grandeur de la France" et ces refus de la "division des Français" peuvent bien signifier de réel, si ce n’est la peur de la lutte de classe des salariés, actifs, chômeurs, retraités ou en formation ? Conformément à sa fonction, le président de la V° République tente de conjurer les affrontements qui s’annoncent, car ces affrontements seront provoqués par l’agenda anti-social que sa situation serrée dicte au capital français et qu’il tentera de faire appliquer par le prochain gouvernement quel qu’il soit.

La seconde caractéristique des discours de Chirac est la déclaration de guerre à la volonté démocratique de cette "France" et de cette "nation" qu’il aime tant invoquer par ailleurs pour tenter de faire taire les oppositions : le vote majoritaire du 29 mai 2005 est dénoncé par lui comme l’hydre à conjurer, à annuler, à contrecarrer. Lui qui aurait dû être chassé dés le 30 mai, se permet de dénoncer le vote majoritaire du pays.

Nous noterons accessoirement que J. Chirac nous appelle à une "révolution" consistant à réduire les émissions de gaz d’échappement de moins de moitié en une trentaine d’année. Ce n’est certainement pas cela qui va nous sauver de la crise climatique grave engendrée par le recours à la combustion des matières premières à bas prix par le capitalisme. La combustion du pétrole dans les moteurs s’est généralisée, voici quelques décennies, en moins de temps que la pseudo « révolution » imaginée par Chirac, qui n’est rien d’autre que la poursuite de la fuite en avant vers la catastrophe environnementale.

Enfin, les commentateurs n’auront pas manqué de noter que la rhétorique du discours de J. Chirac, ce dimanche soir à la télévision, pourrait largement couvrir un soutien à la candidature Bayrou, plus qu’à la candidature Sarkozy. La phraséologie contre "les extrémismes" et les références à la laïcité arrivent précisément quelques jours après que Sarkozy ait annoncé la création, s’il gagnait, d’un "ministère de l’immigration et de l’identité nationale".

Il y a crise dans le staff de Sarkozy, parce qu’il y a interrogation à grande échelle dans la bourgeoisie française : le patronat veut certes sa "rupture" (avec le Code du travail, les conventions collectives, le statut des fonctionnaires ...), mais il craint l’affrontement que pourrait ouvrir son élection à la présidence : "en 5 ans depuis 2002, nous ne sommes pas arrivés à battre cette satanée classe ouvrière française, et si nous n’y arrivions toujours pas ? " La stratégie d’enveloppement par recherche de l’union nationale n’est-elle pas préférable ? Dans le staff de Sarkozy, l’interrogation du coup se fait plus précise à l’approche du 16 mars, jour d’enregistrement des candidatures à la présidentielle par le Conseil constitutionnel : si on donne ses signatures à Le Pen, on risque de ne pas passer le premier tour, coincés entre lui et Bayrou ; si on ne les lui donne pas, on risque de ne pas passer le second tour, car ses voix ne se reporteront pas. Que d’états d’âmes dans le Sarkozyland !

Voila qui explique le côté, certes peu souligné par nos grands commentateurs journalistiques, de plus en plus erratique des orientations déclinées par le petit aspirant Napoléon : un coup il invite les élus UMP à signer pour Le Pen et ... Besancenot, puis il fait le coup, d’inspiration lepéniste, du ministère "de l’immigration et de l’identité nationale", autrement dit du ministère de la discrimination et de la préférence nationale - à juste titre qualifié d’ "immonde’" par S. Royal.

La peur, voila le sentiment réel qui inspire la politique des grands leaders de la droite, de l’Etat, de la classe capitaliste. Peur de l’avenir proche, peur de l’affrontement social, volonté de réaliser leur "rupture" mais hésitation sur comment y parvenir, n’ont jamais été aussi forts aux sommets de l’Etat. Voila qui nourrit, à droite, la montée de Bayrou, candidat de l’accommodation avec la peur, qui entend réaliser le même programme, la même "rupture" que le MEDEF et Sarkozy, mais en commençant par un appel à l’union nationale et à l’association maximum du PS, de l’ensemble de la gauche et des organisations syndicales.

Paradoxe.

L’analyse qui précède est lucide et repose sur la conscience des rapports de forces réels, nous allons y revenir. Mais il est clair qu’elle n’est pas partagée. Au contraire, tout est fait au moment présent pour convaincre la classe ouvrière, la jeunesse qui, il y a un an exactement, déferlait contre le CPE, l’électorat de gauche, qu’ils sont plus faibles, voire plus coupables et plus nuls, plus médiocres, qu’ils n’ont jamais été.

Cette campagne est en réalité à l’image de la peur dans les sommets de l’Etat et du capital qui savent évaluer, eux, les réalités. Bien entendu, cette campagne vise à jouer un rôle actif : à nous vaincre, à nous désorienter, à faire de ces présidentielles une défaite pour la classe ouvrière, en tentant de nous faire croire que nous sommes vaincus avant même que nous le soyons réellement, et pour que nous le soyons. En disant qu’en haut on a peur et qu’en bas on est forts mais qu’on ne le sait pas, nous ne cédons donc pas à l’euphorie, au contraire, nous tentons la lucidité pour cerner précisément les dangers du moment. Et ils sont grands.

Quel paradoxe, pourtant. En 2002, Chirac (19% des votants et 13% des inscrits au premier tour) n’était élu que par l’entourloupe de l’union nationale au moyen de Le Pen comme repoussoir utile. En 2003, une poussée vers la grève générale, étayée sur une longue grève reconductible des enseignants, tentait de s’imposer mais, contenue par les dirigeants syndicaux, elle se soldait par notre défaite sur les retraites et sur la décentralisation, sans que nous soyions cassés dans notre capacité à combattre. En 2004, déjà la droite a été battue, et largement, aux élections locales et régionales ! Et que dire de 2005, où la victoire contre le traité constitutionnel capitaliste (et non pas "européen") a été construite par la discussion dans le mouvement ouvrier et les partis de gauche ? En 2006 encore, une majorité manifestait, en des cortèges gigantesques, pour imposer une défaite politique au gouvernement de M.M. Chirac, aussi bien que Sarkozy et De Villepin ... et parvenait à l’imposer en partie avec le retrait du CPE !

Et voila que selon les sondages le total des candidats des partis issus du mouvement ouvrier (outre le fait qu’ils ne sont pas tous sûrs d’avoir leurs signatures), Royal cumulée avec Buffet, Besancenot, Laguiller, Schivardi, Bové ... est historiquement le plus bas de l’histoire de la V° République !

Attention, nous ne disons pas que les sondages mentent purement et simplement. Ce serait trop simple. L’arme majeure de ceux qui ont peur et qui veulent nous battre en nous faisant croire que nous sommes déjà vaincus, ce sont nos propres "dirigeants", en l’occurrence les candidats même qui viennent d’être énumérés (abstraction faite des différences que l’on peut par ailleurs reconnaître parmi eux). Jamais le sentiment, justifié, que l’ "offre politique" à gauche est catastrophique, n’a été aussi répandu. Jamais le mécontentement, la révolte, contre notre propre représentation politique dans son ensemble (car, sur ce plan, l’extrême-gauche est dans le même sac !) n’a été aussi généralisé.

La crise de la représentation politique de la classe salariale se traduit par ce mécontentement et cette hésitation, vraisemblablement amplifié par le fait que les sondés de gauche jouent avec les sondages pour manifester leur mécontentement. Plus précisément, se conjuguent deux faits qui, réunis, aboutissent à ce résultat :

 l’opération Ségolène Royal, conçue pour noyer le PS dans un rassemblement au dessus des classes et des partis, ne marche pas. Ce qui marche électoralement, c’est tout ce qui va à gauche, ce qui est perçu comme faisant barrage à Sarkozy et à la droite sur le service public ou l’immigration, et seulement cela. La "nouveauté" de cette candidate-Bonaparte new look ne fait plus recette : les couches électorales qu’elle avait séduites au delà de l’électorat de gauche traditionnel regardent maintenant vers Bayrou. Ségolène Royal sait que pour gagner, elle doit se constituer "otage" du Parti socialiste et, à travers lui et indirectement, se faire peu ou prou la mandataire de sa base sociale. Notez bien qu’elle n’en a aucune envie : dans une déclaration toute récente, elle vient de faire endosser par avance la responsabilité d’une éventuelle défaite à ces "éléphants", c’est-à-dire au Parti socialiste, accusés de ne pas l’avoir soutenue au moment même où elle faisait tout pour les tenir à l’écart ! Mais s’il s’agit maintenant pour elle de gagner les élections, elle n’a pourtant pas le choix ...

 l’interdiction d’une candidature présentant une alternative à cette opération par le "rassemblement antilibéral" rendu caduque depuis par ses divisions complète le tableau : le même mécontentement, la même crise, les mêmes confusions jusque et y compris sur le prétendu charme d’un "vote Bayrou", gagnent ces secteurs qui se veulent et se pensent à la gauche du PS (il est vrai que les candidatures Laguiller, Schivardi et en partie Besancenot, ne sont pas entièrement réductibles à ce rapide tableau, mais cela ne modifie pas pour l’heure les grandes tendances).

Ainsi donc, cette crise qui est celle de la direction, crise qui pose objectivement la question d’un parti représentant réellement la majorité exploitée et opprimée, parti socialiste digne de ce nom ou parti ouvrier révolutionnaire ou parti démocratique du salariat ... cette crise dont les dirigeants sont les responsables, engendre ces sondages, est utilisée pour nous battre réellement et nous démoraliser en semant parmi nous la confusion ... et, en plus, pour nous culpabiliser.

Il faut en effet, faire de l’ "éducation populaire", entend-on de plus en plus à gauche, éduquer ce peuple qui ne comprend pas, ces jeunes sans repères, ces ouvriers tentés par Le Pen et ces profs qui jouent avec le vote Bayrou. Ici, l’ "éducation populaire" veut en réalité dire "faire la leçon au bon peuple"’, fut-ce avec des méthodes pédagogiques "modernes" -et non pas promouvoir l’auto-éducation libre des travailleurs eux-mêmes, comme l’entendent par exemple nos camarades de l’Association populaire d’Entraide qui font à leur façon une vraie "éducation populaire". Inutile de dire que ces velléités de faire la morale aux gens seront contre-productives et ne feront qu’aggraver les problèmes.

Le paradoxe, la contradiction entre le reflet aggravé dans les sondages de la crise de représentation de la majorité travailleuse, et la combativité ainsi que la conscience sociales réelles, marquent plus que jamais le moment présent : dans le scrutin des 22 avril et 5 mai elle peut se développer de deux manières, vers notre victoire ou vers notre défaite.

La voie de la défaite et la voie de la victoire.

La voie de la défaite est pour l’essentiel tracée : si à gauche les militants s’imaginent qu’il faut faire la morale au bon peuple et faire peur sur le danger (réel) de Sarkozy et d’un "nouveau 21 avril", ils fraieront eux-mêmes la voie vers ce qu’ils craignent tant.

Nous sommes en train d’en avoir la démonstration douloureuse, et quasi mathématique. "Il faut éviter un nouveau 21 avril, il faut éviter un nouveau 21 avril", nous disent pas mal de bons camarades qui ne sont pas enchantés de la candidature Royal et de son orientation politique, mais qui veulent éviter ce scénario. Mais l’histoire ne se répète pas, attention à ne pas être en retard d’une guerre ... Car pour "éviter le 21 avril" médias et sondages ont entrepris de nous asséner une pseudo solution qui se présente comme réponse à ceux qui voulaient assurer la présence de S. Royal au second tour : le vote Bayrou ! Ils cherchent à nous faire croire que Bayrou pourrait battre Sarkozy, ce qui ne serait possible que par un vote de collaboration des classes, d’union nationale, derrière Bayrou ; rien de plus dangereux pour la classe ouvrière.

Bayrou monte en raison de la crise à droite, d’une part, et de cette confusion entretenue à gauche, d’autre part, à laquelle les slogans du genre "évitons le 21 avril" ont pavé la voie alors qu’ils croyaient la conjurer. La confusion politique est réelle : on voit des militants socialistes de gauche, des "antilibéraux", jouer avec des syllogismes du genre : éviter Sarkozy qui va vouloir tout casser, et éviter Ségolène qui va liquider le PS et la gauche traditionnelle au profit d’un rassemblement centriste, c’est se ménager 5 ans de répit en votant Bayrou ! 5 ans de répit, allons donc ! Son programme économique et social est celui de Sarkozy et l’union nationale qu’il offre au PS et que DSK a de fait acceptée (DSK se contente de prendre la posture de celui qui espère que Bayrou se désistera pour Royal !). C’est la même liquidation du PS qui avançait derrière l’opération Royal cet automne ! Alors, vraiment, intelligent, le syllogisme ? T’as voulu éviter Sarko, t’as voulu éviter Ségo, t’auras les inconvénients des deux, idiot, si tu votes Bayrou, alors on se calme ! (1)

Pour comprendre cela, point n’est besoin de nier que ce qui fait temporairement et, nous l’espérons bien, fugitivement, illusion chez Bayrou est un phénomène négatif : quiconque essayera d’expliquer aux profs par exemple que Bayrou a été pour eux un ministre réactionnaire se verra répondre que peut-être, mais que Allègre l’était beaucoup plus, et il n’y a rien à répondre à cela parce que c’est vrai. Mais ceci ne change rien à la réalité politique présente : voter Bayrou, ce serait tomber dans le piège que ces dirigeants traîtres et nuls de notre gauche officielle nous ont eux-mêmes (et se sont eux-mêmes) construit, ni plus ni moins. Si cette tendance se confirmait dans les urnes, ce serait une défaite de la classe ouvrière de même que le serait une élection de Sarkozy, ni plus ni moins, et en aucun cas un "répit".

La voie de la défaite, c’est donc de faire campagne dans la ligne des états-majors. En ce qui concerne le score de S. Royal au premier tour, pour qu’elle soit au second, 2002 n’est pas 2007 (d’ailleurs en 2002 ce sont Jospin et Hue les responsables de leur défaite, et personne d’autre). Que ceux qui, en général après coup car à l’époque ils n’avaient rien perçu, viennent nous faire ce coup là, réfléchissent à une chose : si Bayrou menace de dépasser Ségolène Royal dans les sondages, celle-ci ne peut pas régler le problème en grignotant les faibles scores annoncés pour Buffet, Besancenot, etc. Deuxième chose : ce faible total, répétons-le, ne traduit pas le rapport de force social réel de ces dernières années. Mais il est clair que s’il se réalise le 22 avril ce sera pour nous, pour notre camp, pour notre classe, une vraie défaite.

Donc le problème n’est pas de dissuader du vote à gauche du PS en faveur de Royal, il est de donner confiance par une autre orientation visant :

1) à battre Sarkozy, Bayrou, Le Pen ...

2) à imposer une assemblée nationale PS-PCF mandatée et pressionnée,

3) à discuter du programme d’un gouvernement qui nous représente réellement,

4) à s’organiser sur ces objectifs.

Plus précisément encore, cela veut dire que la victoire de la classe ouvrière le 22 avril ne saurait être ni la victoire de "Ségolène" sur la gauche traditionnelle ni la victoire de la "gauche de la gauche" sur le PS, mais une majorité absolue à la totalité des candidats présentés par des organisations issues du mouvement ouvrier. Et c’est ensemble, travailleurs, électeurs qui veulent voter Royal ou Besancenot ou etc. ..., qu’il faut nous organiser pour battre le capital. La présence de Bayrou au second tour ou non n’est pas notre affaire : s’il est au second tour, nous élirons Royal contre lui, et contre l’orientation d’union nationale que Royal et DSK ont, chacun à leur façon, tentée d’incarner !

(1) Voir l’article d’Yves Guyet sur le site de La Sociale, http://www.la-sociale.net/.

http://site.voila.fr/bulletin_Liaisons/archives_2007/LN070313.htm