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Imagine demain...

Publie le dimanche 3 août 2003 par Open-Publishing

Jack Ralite souhaite la création d’un forum culturel européen en
novembre. Auparavant, le Zénith sera, à son initiative, un vaste lieu
d’échanges entre tous ceux qui cherchent, créent ou enseignent.

Le 26 juillet, au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, lors d’une
journée de débats et de solidarité avec les intermittents, Jack
Ralite, animateur des États généraux de la culture, a ébauché les
combats et les ambitieux projets qu’ils entendent mener à bien au
cours des prochains mois. Il s’explique ici plus longuement sur le
sens de la démarche au service d’une grande politique culturelle.

Quel est l’objectif de l’émission de télévision ou de radio que vous
proposez ?

Jack Ralite. Il s’agirait d’organiser sur une chaîne ou une antenne
publique, à une heure de grande écoute, une émission sur la situation
des intermittents du spectacle. Enfin un vrai débat contradictoire
pourrait avoir lieu sur l’accord du 26 juin modifiant l’assurance
chômage des intermittents ! Cet accord serait examiné aussi bien par
les organisations signataires que par ceux qui le refusent. Les
textes seraient décortiqués. Jusqu’ici, les " contre " s’expriment
minutieusement en public ; les " pour " ne s’expriment pas, ou
simplement avec des arguments idéologiques. Le débat est nécessaire à
une époque où, en France, soit nous baignons dans un consensus mou,
soit nous vivons dans des mondes séparés. Cette émission
intéresserait beaucoup de personnes, car la question des
intermittents relève de l’intérêt général. Le mouvement des
intermittents est salutaire, a créé un véritable électrochoc. La
télévision et la radio peuvent constituer des instruments formidables
pour débattre des grandes questions. Je viens d’écrire à Marc
Teissier, président de France Télévisions, et à Jean-Marie Cavada,
président de Radio France, pour leur proposer l’organisation de cette
émission.

Vous avez émis l’idée d’un forum culturel européen. De quoi s’agit-il
 ?

Jack Ralite. Un forum social européen aura lieu du 12 au 16 novembre
à Saint-Denis et Paris. Aux États généraux de la culture, ou dans
d’autres organisations comme ATTAC, nous pensons que cette
manifestation doit aussi comprendre un forum culturel européen. En
matière de culture, nous ne pouvons pas rester dans nos frontières.
Il existe chez les jeunes un besoin d’aller ailleurs. Ce travail
d’échanges est commencé, mais il faut aller beaucoup plus loin,
beaucoup plus fort. Nous avons entamé le travail de préparation de ce
forum culturel européen, mais nous n’en sommes encore qu’au début.

Comment jugez-vous l’Europe de la culture ?

Jack Ralite. Il faut une politique européenne de la culture.
Actuellement, il n’y en a pas. La création doit être au centre de
cette politique. Le pluralisme aussi. Une politique de production
doit être développée. Il existe pour le moment un plan médias qui
permet de créer quelques films, mais ce n’est pas suffisant. Face aux
productions venues des États-Unis, les films européens sont réduits à
epsilon. Il est possible de conduire une politique européenne comme
on conduit une politique nationale. La première conforte la seconde
et n’y porte pas atteinte. Quand s’élaborent des textes communs,
comme la future constitution européenne, les artistes doivent avoir
leur mot à dire. Il s’agit de penser la place et le statut de
l’artiste dans la société.

La troisième grande initiative que vous lancez aura lieu au Zénith de
Paris, où vous voulez organiser, à la mi-octobre, la rencontre de la
création, de l’éducation et de la recherche. Quels sont les principes
de ces " rendez-vous de la pensée et de l’imaginaire " ?

Jack Ralite. Nous constatons actuellement un malaise profond dans
l’enseignement, la recherche et la culture. Dans les domaines de la
pensée et de l’imaginaire, il y a quelque chose qui ne va plus. Dans
notre société, certains ne veulent pas que ces domaines se
développent, ou tentent de les dévoyer. Les citoyens ne seraient que
des consommateurs. Ainsi, Jean-Jacques Aillagon a affirmé que le
ministère de la Culture doit aussi être le ministère de l’économie de
la Culture. On se souvient de la phrase de Malraux : " Le cinéma est
aussi une industrie. " Bientôt, il faudra rappeler : le cinéma est
aussi un art. Un glissement s’opère. Aujourd’hui, la question se pose
 : voulons-nous une société de civilisation ou une société de comptes
d’exploitation ?

Dans cette situation, les rencontres du Zénith sont nécessaires pour
que se mêlent, se défrichent, s’irriguent, se bouturent, les domaines
de la recherche, de l’éducation et de la création. Ce n’est pas une
somme de corporations. La société tout entière est concernée. Jusqu’à
présent, ces trois composantes de la vie n’ont pas assez pensé
ensemble, partagé, reconnu l’autre. Au Zénith, nous serons tous des
êtres différents mais pas indifférents aux autres différences. Selon
Aimé Césaire, " il y a deux manières de se perdre. Par ségrégation
dans le particulier ou par dilution dans l’universel ".

L’assemblée du Zénith a pour but de poser des questions, d’établir
des passerelles entre les uns et les autres, de redévelopper l’esprit
de contenu, à une époque où le contenant l’emporte, où les tuyaux
sont plus importants que ce qu’ils transportent ! Je pense par
exemple à une bataille qui pourrait être menée en commun :
l’enseignement artistique à l’école. Les initiatives antérieures,
déjà timides, sont aujourd’hui remises en cause. Je refuse la société
en miettes. Il faut prendre la société dans son ensemble. Le rendez-
vous du Zénith sera un rendez-vous des femmes et des hommes pour
l’audace dans la création et l’élan du pluralisme, pou un nouvel " en
commun ". Nous voulons qu’au Zénith se produise un grand acte
politique, un grand acte de société. C’est notre conviction : il y
aura beaucoup de monde au Zénith pour réfléchir au statut de l’esprit
et du vivant, agressé comme jamais par la financiarisation sans
rivage, ce qui oblige à l’exception culturelle.

Pourquoi, lors du débat du 26 juillet à Aubervilliers, en avez-vous
appelé à " la réunion des forces du travail et de la création " ?

Jack Ralite. Dans la société, certaines forces sont gênées par la
pensée. Je fais allusion au MEDEF. Ça le gêne que le monde du travail
pense ! Le MEDEF voudrait être la pensée unique. C’est même le
principe de la " refondation " sociale qu’il cherche à imposer.
L’économie est la religion du MEDEF. Or, le travail doit être un lieu
de création et non un simple lieu d’exécution où on ne pense pas.
D’autre part, le travail doit être reconnu dans la création. Les plus
grands créateurs sont d’immenses travailleurs ! Je suis sûr que se
produira un jour cette rencontre. Comme le dit Georges Balandier, "
nous avons l’obligation de civiliser les nouveaux nouveaux mondes de
l’ouvre civilisatrice ".

Propos recueillis par
Bruno Vincens

http://www.humanite.fr/journal/2003-08-01/2003-08-01-376565