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Intermittents Bis

Publie le vendredi 14 novembre 2003 par Open-Publishing

Alors que le protocole modifiant leur régime d’assurance chômage doit être
signé à nouveau aujourd’hui, ils multiplient les actions coup de poing.

jeudi 13 novembre 2003

Des « précaires » rompus à la bataille sociale ont enseigné aux intermittents
le secret, la division de l’information et l’art de courir plus vite que les
CRS.

Ce qui ébranla l’été culturel se rejoue aujourd’hui à l’Unedic. Les
partenaires sociaux sont à nouveau réunis, à 14 heures, pour signer le
protocole sur les annexes 8 et 10 de l’assurance chômage, celles qui
régissent l’intermittence du spectacle. La coordination des intermittents et
précaires d’Ile-de-France et la CGT appellent à manifester, au même moment,
devant les portes de l’instance paritaire, avenue de Reuilly dans le XIIe
arrondissement de Paris.

Pourquoi signer à nouveau ce qui l’a été le 26 juin, amendé le 8 juillet et
agréé par le ministre des Affaires sociales, François Fillon, le 6 août ?
Les signataires se sont trompés, puis ont joué avec les tampons. Ils se
retrouvent donc sous le coup d’une sanction du Con seil d’Etat qui pourrait
invalider le texte le 17 décembre. Soit un cuisant revers pour le ministre
de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, le Medef et la CFDT, qui ont signé, et
une victoire pour les intermittents, la CGT et FO.

Dès le lendemain du 26 juin, Jean-Jacques Aillagon communique sur les
avantages de la réforme et notamment la suppression de la franchise, cette
période de carence courant de la fin d’un contrat au début de
l’indemnisation par les Assedic. Pour le ministre, cela ne fait aucun doute
 : la disparition de cette période franche est une avancée sociale. Mais,
dans les textes, la franchise est toujours présente. Pire : une étrange
règle de calcul la fait littéralement exploser, même pour les plus bas
salaires. L’Unedic, le Medef et la CFDT ont pris cons cience de la bourde.
Mais le texte est supposé ne plus être modifié d’une seule virgule. Le 16
juillet, par un savant copier-coller, les trois lignes gênantes
disparaissent, et les signataires paraphent le document et l’antidatent au 8
juillet. Un faux voit le jour. La CGT et les différents collectifs
d’intermittents s’engouffrent dans la brèche et portent plainte.

« Tripatouillages ». C’est ce litige que le tribunal de grande instance de
Paris et le Conseil d’Etat doivent trancher. La première audience a lieu
début novembre. Les avocats du Medef et de la CFDT reconnaissent « les
tripatouillages pas très catholiques » des textes mais, pour ligne de
défense, plaident l’incompétence du TGI qui, une semaine plus tard, renvoie
l’affaire devant le Conseil d’Etat. Entre-temps, l’avocat de la CFDT écrit
au président du tribunal : dans une lettre du 5 novembre, il l’informe que
« les parties aux accords litigieux ont décidé de rouvrir la négociation » et
se demande « si le contentieux actuel a encore un objet ».

Craignant donc la décision du Conseil d’Etat, l’Unedic a reconvoqué les
syndicats. Le plus discrètement possible : officiellement, ils ne viennent
que pour assister à un conseil d’administration. Un petit détour à l’issue
de la réunion leur permettra de valider le texte, cette fois sans coquille.
Et même si le ministère reconnaît que l’accord devra faire l’objet
d’aménagements, ils n’interviendront qu’après l’entrée en vigueur du texte,
le 1er janvier.

C’est pour faire du tintamarre autour de cette resignature en catimini que
les intermittents se mobilisent. Et, question opérations médiatiquement
bruyantes, les coordinations sont devenues tout à fait professionnelles. Car
l’image est devenue le nerf de la guerre. Quand le ministère de la Culture
s’emploie à effacer toute trace de désaccord, et répète à l’envi que le
texte est juste, les intermittents jouent sur le même terrain en inversant
la sémantique. Les manifestants colorés ou endeuillés d’Avignon sont devenus
des commandos, qui multiplient les actions coups de poing. Du théâtre de
rue, on est passé au happening hyper préparé.

Et ça marche : la bonne santé du mouvement est réévaluée à chacune de ces
apparitions, à la Star Ac’ ou au JT de France 2, et maintenant dans les
tribunes de l’Assemblée nationale (lire ci-dessous). De l’art d’apparaître
puis de disparaître pour faire parler de soi.

En cinq mois, le mouvement s’est structuré. Comédiens et techniciens ont
accueilli d’au tres maillons de la chaîne protestataire. Animateurs des
grèves de 1995, ces « précaires » sont rompus à l’interventionnisme social.
Ils leur ont enseigné le secret, la division de l’information, et l’art de
courir plus vite que les CRS.

Message brouillé. Mais ils ont aussi contaminé leur discours : des thèses,
parfois fumeuses, sur le revenu minimum universel, le travail immatériel et
tout un bataillon d’arguments un peu verbeux qui ont brouillé le message
originel des gens du spectacle.

La guerre médiatique bat désormais son plein, et les intermittents ont
appris à s’y défendre, quitte à adopter les méthodes et le discours des
« professionnels de la revendication ». On est moins au théâtre, maintenant,
que dans une guérilla symbolique.

(source libé ?)