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Intermittents et politique culturelle

Publie le mardi 1er juillet 2003 par Open-Publishing

Indignation et colère, c¹est en tant que directeur d¹un Centre Dramatique
National que je me sens solidaire sans réserve des grèves et du mouvement
qui défend le régime des intermittents.

En premier lieu doutons de la nécessité et de l¹urgence d¹une révision. Si
elle a été souhaitée par les professionnels de la culture eux-mêmes, c¹est
pour différencier les secteurs qui bénéficient du régime et affirmer
clairement que ces indemnités uniques dans leurs modes sont une aide
indirecte à la vie culturelle. Il est donc indécent de voir des employeurs
comme les sociétés de productions audiovisuelles arrondir leurs budgets et
obliger leurs employés à une précarité qu¹elles pourraient éviter.
L¹utilisation de cette indemnisation n¹a tout de même pas le même sens quand
elle agrandit les recettes d¹un jeu télévisé et quand elle permet de faire
jouer Molière.

Ce sont pourtant et principalement les hommes et femmes du spectacle et du
cinéma qui sont taxés d¹être des privilégiés et des profiteurs, et quelques
fois par le milieu lui-même, (alors que la majorité d¹entre eux vit plutôt
mal que bien de ce régime). Quand on ne cherche pas à les culpabiliser avec
la situation d¹encore plus précaires, les saisonniers par exemple, mais
pourquoi pas les " RMIstes " ?
Les accuser de préférer toucher leurs indemnités plutôt que d¹exercer leurs
arts et métiers est tout aussi abject que d¹accuser les familles pauvres de
faire des enfants pour toucher les allocations. La bassesse de ces arguments
ne mérite pas de réponses, elle vient souvent d¹ailleurs des plus
profiteurs, des plus solides, des tricheurs les plus organisés à savoir des
employeurs eux-mêmes, privés et publics, qui jouent les pères la vertu.
Mais parlons effectivement de ces grandes entreprises souvent ouvertement
marchandes et sans aucun lien avec l¹art et la culture (à moins que Disney
soit la seule culture qu¹on veuille nous laisser) qui proposent des contrats
intermittents alors même que leurs budgets, quand ce n¹est pas leurs
subventions, leur permettraient d¹assurer une permanence de l¹emploi.
La réforme telle qu¹elle est souhaitée n¹empêchera pas leur abus du système
(les entreprises qui font passer leurs permanents pour des intermittents en
ne les déclarant que sur des périodes tronquées et en laissant les Assedic
compléter leurs revenus, n¹ont avec cette " réforme " aucune nouvelle
entrave. Il suffit d¹adapter le mode de calcul. Quant aux intermittents qui
travaillent beaucoup, ils n¹auront qu¹à fusionner leurs cachets pour obtenir
plus de jours indemnisés à un meilleur taux. En somme les fraudeurs
resteront fraudeurs), c¹est le secteur du spectacle vivant et du cinéma, le
plus probe et le plus fragile qui sera touché de plein fouet. Les
télévisions n¹auront qu¹à faire entrer dans leur production la nouvelle
donne économique, et recalculer leur bénéfice en fonction des pertes, mais
le théâtre, le cinéma, la musique et la danse perdront ce qui leur
permettait de survivre, une main-d¹¦uvre extrêmement compétente et mobile à
la fois, nécessaire aux fluctuations d¹activités très grandes de nos
professions.
Ce ne sont pas les institutions qui seront frontalement dégradées mais ce
pourquoi elles sont ; l¹art lui-même condamné à un amateurisme sans issue.

Encore une fois ne prenons pas comme un axiome que ce régime soit
condamnable, il assure une mobilité qui est un exemple rare d¹économie à
géométrie variable, il met d¹accord employeurs et employés, enfin il assume
une aide indirecte que le Ministère de la Culture ne veut pas prendre en
charge. N¹oublions pas que la politique culturelle a fait le choix de
l¹intermittence, le choix de ne pas créer des maisons qui puissent
mensualiser des permanents comme c¹est le cas en Allemagne. La
décentralisation et le théâtre public ont choisi cette précarité pour
assurer un renouvellement artistique et une souplesse aux formes nouvelles.
Voilà pourquoi nous ne pouvons pas admettre que le Ministère de la Culture
se pose en témoin ou en arbitre d¹une négociation où il est juge et partie,
il doit, quelles que soient ses solidarités avec le gouvernement, refuser
que l¹exception culturelle soit rognée, veiller à la sanctuarisation de ses
acquis, affirmer qu¹il ne les confond en rien avec des privilèges, désigner
les abus et dérives dans les rangs des employeurs (est-ce qu¹il est si
difficile que le Ministère assume d¹être une véritable autorité de
régulation) et le cas échéant remettre sa lettre de démission. Ne s¹agit-il
pas de sauver l¹honneur de cinquante ans de politique culturelle ? Ou bien
il lui faut accepter qu¹il n¹est qu¹un jouet démagogique dans un système
marchand qui a pris la place de la République.

La plus grande perversité du Ministère de la Culture est de prétendre
défendre ce régime, mais le défendre contre qui sinon contre les diktats de
Bercy ? Car n¹en doutons pas, les économies ridicules de cette révision (sur
les 24 millions d¹emplois en France, moins de 90 000 personnes
déséquilibreraient tout un régime ?) cachent une stratégie politique, une
avancée symbolique pour abîmer la nécessité d¹une politique culturelle.
Oui, cette révision entre dans un plan de plus en plus affirmé d¹abandonner
le spectacle vivant et le cinéma d¹auteur ou tout au moins de ne plus les
protéger des enjeux mercantiles.
Présenté comme un compromis bienveillant, comme une avancée nécessaire,
masqué sous des complexités comptables, c¹est en fait un premier grand coup
peut-être irréparable, du cynisme dirigeant, contre la vie élémentaire de
l¹art et de la pensée.