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Intermittents : le diagnostic des médecins du travail

Publie le vendredi 10 octobre 2003 par Open-Publishing

Malgré le maintien du système actuel d’indemnisation du chomage jusqu’à
la
fin de l’année, le conflit des intermittents du spectacle (IS) n’est pas
désamorcé et l’inquiétude demeure sur le sort des festivals de l’été . « Le
Quotidien » a interrogé les médecins du travail qui assurent le suivi des
IS. Troubles psychosomatiques, HTA, anxiété et infarctus liés au stress
intense constituent les pathologies professionnelles les plus fréquentes
chez ces précaires, pourtant très rarement en arret-maladie.

26, rue Notre-Dame-des-Victoires, dans le 2e arrondissement de Paris, le
centre médical de la Bourse. C’est là que, depuis 1959, une quinzaine de
médecins du travail sont à l’écoute des problèmes de santé des
professionnels du spectacle, artistes et techniciens, permanents et
intermittents.

De beaucoup les plus nombreux, les IS font l’objet de quelque 30 000
visites
annuelles. « Ce ne sont pas des travailleurs comme les autres, souligne le
Dr Geneviève Egal-Bertot, qui les suit depuis deux décennies. Bien sur,
comme n’importe quel intérimaire du secteur tertiaire, l’IS subit le
contre-coup de la précarité : la recherche d’emplois successifs lui
demande
beaucoup d’énergie et de temps, elle occasionne quantité de problèmes dans
la vie personnelle : difficulté de souscrire un emprunt, d’acquérir ou de
louer un logement, de concilier les astreintes professionnelles avec les
horaires des enfants et du conjoint. Ces problèmes matériels peuvent avoir
des conséquences sur le suivi médical, souvent négligé, le suivi dentaire
en
particulier. »

Mais l’appréciation du médecin du travail ne se limite pas au seul critère
de la précarité ; contrairement à tant de salariés du tertiaire, les
intermittents ont le feu sacré : « Vocation artistique, désir de créer,
anticonformisme, désir d’indépendance, refus d’un travail routinier, gout
du
défi sont à l’origine de leur choix de vie », estime le Dr Egal-Bertot.
« Ils respirent le bonheur de vivre de leur métier et répandent autour
d’eux
un plaisir communicatif, renchérit le Dr Tatiana Wajnberg, trente ans
d’expérience au centre Bourse. Rien à voir avec les autres salariés ! »

C’est sans doute pourquoi, nonobstant la longue liste des somatisations
diverses et variées et autres pathologies dont ils sont coutumiers [voir
plus bas], les IS, constatent leurs médecins du travail, ne sont guère
sujets aux arrets de travail. Quasiment aucune visite de reprise du
travail
dans les rapports annuels. Si le régime chomage est déficitaire, le régime
maladie, lui, est sans doute largement excédentaire.
Le retentissement du stress qu’ils emmagasinent de manière non
intermittente, qu’ils travaillent ou qu’ils attendent de travailler, est
sévère. « Aux médecins de ville qui ont dans leur clientèle des IS,
insiste
le Dr Wajnberg ; je recommande donc d’etre tres attentifs aux conduites
addictives et aux troubles du sommeil. Ils sont responsables d’une
accidentabilité élevée.
Les accidents sont d’autant plus nombreux que, pris dans une logique de
diminution des couts, les producteurs réduisent les délais de préparation
et
font une utilisation intensive des matériels et des locaux. » Circonstance
aggravante, s’agissant d’installations souvent provisoires, les controles
sont très difficiles à effectuer.

« Qu’est-ce qu’ils vont devenir ? », s’interroge le Dr Bertot, qui confie
s’etre toujours posé la question. La durée de vie professionnelle d’un
intermittent est courte, environ douze ans, en moyenne. Après, au gré des
rencontres de la vie, ils se reconvertissent dans la restauration ou la
brocante, par exemple. Alors, avec le nouveau régime d’assurance chomage,
le
turn-over risque encore de s’emballer. Mais il faut les laisser vivre. Car
sans eux, la vie serait bien triste. »

Les médecins du travail sont certes bien conscients des abus commis par
certaines entreprises qui profitent des ASSEDIC pour alléger leurs charges
salariales.
Mais, ajoutent-ils, il ne faudrait pas que des employeurs indélicats
précipitent la perte de tous ces petits qui sont d’authentiques créateurs
et
que la réforme menace de disparition.

Ces artistes, les Drs Egal-Bertot et Wajnberg les suivent depuis des
années.
Leurs dossiers médicaux sont annotés de repères sur leurs filmographies et
leurs carrières. Plusieurs fois par semaine, elles vont les applaudir sur
scène. Les célébrités comme les inconnus. Les plus illustres ne sont pas
les
moins gentils, assurent-elles, citant, pele-mele, Raymond Devos, Guy
Bedos,
Suzanne Flon ou Jean Piat, leurs habitués parmi d’autres.
Avec le temps, les médecins du travail sont passés de l’autre coté de la
rampe. « Un soir, raconte le Dr Wajnberg, au beau milieu de son one-man
show, un comédien très connu qui m’avait installée au premier rang de
l’orchestre, pris par une quinte de toux, me lance haut et fort : "Oui,
Tatiana, je sais, il faut que j’arrete de fumer"... Vous voyez, on fait un
peu partie de leur monde. »

Christian DELAHAYE

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Les pathologies professionnelles

Les pathologies les plus fréquemment rencontrées par les IS, selon les Dr
Egal-Bertot et Wajnberg, sont les suivantes :
- dorsolombagies et lombosciatalgies : on porte et on transporte beaucoup,
qui son instrument de musique, qui le matériel... ;
- TMS chez les musiciens et les monteurs ;
- troubles psychosomatiques liés à l’irrégularité de vie et des heures de
repas (gastralgies, colopathies et colites très fréquentes), troubles du
sommeil induits par des horaires irréguliers travail de nuit ;
- périodes d’asthénie intense suivant les périodes de travail, HTA
transitoires, perturbations métaboliques glucidolipidiques, prises de
poids
 ;
- stress intense et prolongé qui cause des infarctus ;
- anxiété rencontrée à toutes les étapes de la vie professionnelle, peur
de
l’échec, trac nécessitant parfois un traitement ;
- états dépressifs occasionnés par des échecs ;
- angoisses suscitées par le vieillissement ;
- atteintes de l’audition chez les musiciens ;
- maladies contractées lors des voyages (un technicien est mort du
paludisme
en 2002).