Accueil > Intermittents : où en est la chasse aux abus ?
Encore trop peu d’efforts sont déployés par le gouvernement pour lutter
contre les recours abusifs à l’intermittence.
La chasse au recours abusif des employeurs à l’intermittence, priorité
affichée du gouvernement après la signature du protocole d’accord par
l’Unedic et les partenaires sociaux, peine aujourd’hui à dépasser l’effet
d’annonce. Depuis l’été dernier, François Caillé, secrétaire national
adjoint du Syndéac (qui regroupe les employeurs des entreprises artistiques
et culturelles), n’a répertorié que 55 contrôles d’entreprises, qui pour
beaucoup n’emploient des intermittents qu’occasionnellement, comme les cafés
et les restaurants - là où les abus sont les plus flagrants et simples à
établir.
Le cabinet d’avocats Ktorza, spécialisé dans les abus du secteur
audiovisuel, n’a quant à lui constaté aucune nouvelle mission d’inspection
dans les sociétés audiovisuelles de la région parisienne, grandes
consommatrices d’intermittents. Pourtant, le ministère de la Culture fait
état de plusieurs redressements en cours, que la Dilti (délégation
interministérielle de lutte contre le travail illégal) tient secrets, compte
tenu de la "sensibilité particulière du secteur audiovisuel." Impossible
d’obtenir un état des lieux précis sur cette question auprès de l’Inspection
du travail : le champ concerné est trop vaste, le sujet trop sensible. Mais
en privé, un inspecteur du travail parisien confronté au problème, confie
qu’"il y a un décalage entre l’annonce de cette priorité par le gouvernement
et le renforcement effectif des contrôles : les abus se cachent derrière des
pratiques très techniques, souvent opaques, qui avantagent souvent les deux
parties (employeurs et employés), ce qui rend ces abus très difficiles à
repérer.
Au niveau des inspections, il n’y a pas de mesures spécifiques pour
que cette lutte soit vraiment prioritaire." Le Comité de suivi (réunissant
parlementaires, intermittents et organisations professionnelles) est unanime
: le protocole mis en place le 1er janvier ne règle pas la fraude, et même
"y conduit intrinsèquement", selon Stéphane Fiévet, président du Syndéac,
qui explique : "A partir d’un certain nombre d’heures travaillées, les
intermittents ont intérêt à ne plus déclarer leur travail car les revenus
générés par leur indemnisation sont alors supérieurs à ceux que leur travail
leur procurerait. Des intermittents voient leurs revenus exploser certains
mois, en totale contradiction avec le fondement solidaire du régime, ce qui
le décrédibilise complètement."
Le Syndéac ainsi que la Coordination
nationale des intermittents jugent nécessaire de plafonner les indemnités
pour réduire la fraude. Samuel Churin, membre de la Coordination soulève
aussi un autre lièvre : "Pour lutter efficacement contre la fraude, il
faudrait augmenter le budget de France Télévisions, qui est en partie
financé par l’Unedic." Par la généralisation de l’intermittence, c’est toute
une part de la production artistique et audiovisuelle hexagonale qui est
indirectement financée par l’Unedic, situation que vient précisément de
dénoncer la mission parlementaire sur les métiers artistiques.
Lucile Tavernier (les inrockuptibles)