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Intermittents : pour une autre réforme, par Catherine Tasca
Publie le samedi 25 octobre 2003 par Open-PublishingLE MONDE | 23.10.03
Le conflit autour de la réforme du régime d’indemnisation du chômage des
artistes et techniciens a occupé largement la scène politique et médiatique
tout l’été. La journée du 4 septembre et diverses initiatives récentes ont
confirmé la volonté des organisations et coordinations mobilisées de
continuer d’agir.
De son côté, le gouvernement a ratifié l’accord du 26 juin et décidé sans
appel son application dès le 1er janvier 2004. Même s’il organise de vastes
assises, d’ailleurs à une date postérieure à l’entrée en vigueur de
l’accord, il s’agit clairement pour lui de lancer une prospective globale
sur la vie artistique et l’action publique en la matière, et nullement de
rouvrir le dossier dit des intermittents. Or ce dossier devra bien, un jour
pas trop lointain, être rouvert.
Loin d’être un simple sujet catégoriel dérogatoire au droit commun, il
représente toute la difficulté de trouver un juste équilibre entre la
protection légitime des salariés de ce secteur et l’inévitable intermittence
de l’emploi artistique nécessaire à la vitalité de la vie artistique et
culturelle de notre pays. C’est pourquoi le régime préexistant à l’accord de
juin avait marqué un progrès essentiel dans l’histoire de la politique
culturelle.
Mais aujourd’hui personne ne peut sérieusement souhaiter le statu quo. Dans
l’intérêt même du métier, la majorité des professionnels admet et même
souhaite la réforme du système. Ils ne la souhaitent pas uniquement pour des
raisons de moralisation surabondamment évoquées par les pouvoirs publics,
qui ont volontiers désigné les fauteurs parmi les salariés plutôt que chez
les employeurs, pourtant souvent principaux instigateurs et bénéficiaires.
Ils reconnaissent que la réforme est nécessaire aussi pour des raisons
évidentes, économiques - grave déficit de l’Unedic -, sociales - nécessité
d’un système équitable de stabilisation des rémunérations -, et
professionnelles - besoin de souplesse de la production artistique. Mais les
mêmes n’acceptent pas de lâcher la proie pour l’ombre. C’est pour cela que,
face aux pressions du Medef, nous avions fait adopter une loi, début 2002,
pour proroger les annexes VIII et X jusqu’à ce qu’aboutisse une véritable
renégociation.
La question toujours actuelle est : à quoi servent la protection de
l’intermittence et l’indemnisation des périodes non travaillées ? A deux
choses qu’il faut bien rappeler :
– Assurer dans la durée un complément de rémunération aux artistes et
techniciens ayant déjà reçu un certain nombre de cachets attestant de leur
activité professionnelle, afin de leur permettre de rester dans le métier
dans l’attente des prochains contrats. C’est ce premier objectif, pourtant
légitime, qui a souvent été présenté comme un "privilège", semant le doute
dans l’opinion sur la légitimité, voire l’honnêteté, du système.
– Ce régime - seconde raison qui est restée un quasi-non-dit - est un
élément décisif de l’équilibre économique et donc de la survie d’un très
grand nombre d’entreprises du secteur culturel. Il leur permet de puiser
dans un vaste vivier de professionnels, pour des contrats de durées
diverses, sans avoir à assumer des rémunérations plus élevées, sachant que
l’indemnisation par l’Unedic viendra les soutenir en période hors contrat.
Cette relative sécurité, dont la charge est ainsi transférée à la solidarité
nationale, a permis en France un développement considérable de l’activité
artistique et une grande diversité des entreprises. Ne pas le dire, et s’en
tenir au seul aspect social du système, c’est aiguiller le débat sur une
fausse piste.
Autre non-dit heureusement dévoilé cet été : l’intérêt du régime ne saurait
être évalué à sa seule économie interne, déficitaire, mais en termes de
bilan global des retombées économiques, bénéficiaire celui-là, comme l’ont
abondamment démontré les plaintes des villes privées de leur festival.
Souhaitons que les élus et les commerçants qui ont souffert de ces
annulations n’oublient pas la leçon et soient à l’avenir plus solidaires des
artistes et techniciens.
Troisième non-dit : les bénéficiaires et leurs employeurs ont forcément
partie liée. Or ils font des usages bien différents du système. Pour les
uns, souvent les plus modestes, il s’agit de tenir la tête hors de l’eau et
de permettre à des productions d’exister grâce au renfort de ce financement
extérieur. Sans ce régime, ils ne pourraient conduire à terme leur activité,
et la question du financement serait alors renvoyée aux pouvoirs publics.
C’est bien là que le bât blesse, car, ce qui est en cause, c’est le volume
et la répartition des budgets consacrés à la culture par l’Etat et les
collectivités locales. En l’état, ces budgets ne sauraient suffire à
permettre la "permanentisation" de tous les emplois (que je ne juge pas
souhaitable). Mais pour d’autres, parfois des entreprises prospères, il
s’agit de tourner les lois sociales pour réduire leurs coûts et améliorer
les bénéfices de l’entreprise, tantôt en imputant au régime des emplois qui
n’ont rien à voir avec les vrais métiers artistiques pour lesquels il a été
créé, tantôt en faussant les déclarations sur la durée des contrats et le
montant des rémunérations. Dans ces cas, il y a véritablement détournement
du système.
On ne peut nier que certains salariés, pas si nombreux qu’on le laisse
entendre, jonglent aussi avec salaire et indemnisation. Plutôt que de mettre
en ¦uvre un plan social qui ne dit pas son nom en fermant à beaucoup l’accès
aux prestations, c’est le dossier des fraudes qui aurait dû être ouvert
prioritairement par les gestionnaires du système.
Il y a urgence à peigner la longue liste des emplois bénéficiaires et à en
éliminer tout ce qui n’a aucun lien, ou un lointain rapport, avec les
métiers de la création. Il faut revenir à ce pourquoi le système a été créé
: les métiers directement liés au plateau et à la création. Pour la
crédibilité de leur action, les opposants à l’accord du 26 juin ne
sauraient éluder ce travail de clarification.
Il faut aussi repenser collectivement les formations et l’accès aux métiers.
De même, il faudrait distinguer deux branches : le spectacle vivant d’un
côté, et de l’autre le cinéma et l’audiovisuel. Même si les professionnels
circulent de l’un à l’autre, l’exercice du métier, son économie, son
financement et ses calendriers sont différents.
Ce n’est donc pas l’affaiblissement du régime, mais bien plutôt son
assainissement et son recadrage qui donneraient à la vie artistique et à la
politique culturelle les refondations durables dont elles ont besoin. Cela
implique discernement et courage. C’est donc d’abord aux professionnels de
s’y atteler pour contre-proposer avant d’affronter (pour les convaincre)
l’Etat et le Medef. Ce travail est en route. Souhaitons qu’il aboutisse :
ce ne serait pas seulement assurer la victoire d’un secteur professionnel,
mais aussi et surtout servir l’intérêt général et l’attente de tous ceux qui
veulent une culture vivante au c¦ur de la cité et reconnue par elle.
Catherine Tasca est ancienne ministre de la culture, conseillère d’etat en
service extraordinaire