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Intersyndicale retraites : La CGT n’a pas eu gain de cause

Publie le jeudi 4 novembre 2010 par Open-Publishing
17 commentaires

La CGT n’a pas eu gain de cause. Réunie jeudi 4 novembre, l’intersyndicale CGT-CFDT-CFTC-CFE/CGC-UNSA-FSU-Solidaires, à laquelle FO participe sans signer les communiqués, n’a pas décidé d’organiser une neuvième journée nationale d’actions contre la réforme des retraites. Au terme d’une réunion laborieuse de près de quatre heures, elle s’est bornée à acter le principe d’un "nouveau rendez-vous national de mobilisation dans la semaine du 22 au 26 novembre". Ses modalités et son contenu seront arrêtés lors d’une nouvelle intersyndicale le 8 novembre.

Ce rendez-vous tardif, qui interviendra sans doute après la promulgation de la loi, une fois que le Conseil constitutionnel se sera prononcé sur le recours des parlementaires socialistes, montre les difficultés de l’intersyndicale à prendre acte du fait que la contestation est en train de toucher à sa fin. Cette position offre l’avantage de permettre à chaque organisation de sauver la face, et notamment à la CGT, sans rompre l’unité syndicale. A l’avant-veille de la huitième mobilisation, samedi 6 novembre, journée de manifestations, l’intersyndicale se borne à réaffirmer son "refus" de la réforme et son "profond mécontentement face à un gouvernement qui a choisi le passage en force", mais elle s’abstient de demander à Nicolas Sarkozy de ne pas promulguer la loi.

DÉCRUE SENSIBLE

Elle affirme surtout sa détermination à "poursuivre le travail en commun sur l’emploi, les salaires, le pouvoir d’achat et les conditions de travail". Un élargissement des revendications qui a été refusé par FO. De façon tout à fait inhabituelle, la CGT avait fait monter les enchères, mercredi, en annonçant ses préférences avant la réunion de l’intersyndicale. Dans une interview à Reuters, Bernard Thibault s’était déclaré partisan de "reprogrammer une autre journée de mobilisation interprofessionnelle dans le courant du mois de novembre". Tout en reconnaissant que le mouvement de contestation traversait "une séquence de doute", le secrétaire général de la CGT souhaitait rendre permanente la contestation de la réforme à travers "une mobilisation tous azimuts qui sache coller au terrain, une protestation plus décentralisée, multiforme".

Dans le même temps, Eric Aubin, chargé des retraites à la direction de la CGT, prenait soin de prévenir que sa centrale ne serait pas forcément suivie par l’intersyndicale, précisant même que "ce ne serait pas la première fois qu’il ne ressortirait pas ce que nous proposions au départ car il y a des débats sur les formes d’action et le rythme". La CFDT et l’UNSA ne cachaient pas leurs réticences sur la proposition de Bernard Thibault, craignant que dans la nouvelle phase ouverte par l’adoption définitive de la loi, et avant sa promulgation, une nouvelle journée d’action confirme la décrue de la mobilisation et soit perçue comme un signe de faiblesse du syndicalisme. Pour François Chérèque, l’important est de montrer jusqu’au bout que le syndicalisme a gagné, face à Nicolas Sarkozy, "la bataille de l’opinion", en pouvant se prévaloir d’un soutien sans faille d’une large majorité des Français.

ACTIONS MARGINALES

Le 28 octobre, lors de la précédente journée d’actions, en pleines vacances scolaires, la décrue avait été très sensible, avec près de 2 millions de manifestants selon la CGT – contre 3,5 millions le 19 octobre – et 560 000 selon la police (contre 1,2 million). De plus, le paysage global a changé. Avec la reprise du travail dans les douze raffineries de pétrole, après quinze jours de blocage total ou partiel, la plupart des grèves ont cessé. On n’observe plus désormais que des actions ponctuelles souvent très marginales et minoritaires.

La journée du 4 novembre a été, à cet égard, significative. Des manifestants ont bloqué l’accès à plusieurs aéroports, à Roissy, Toulouse, Clermont-Ferrand et Nantes. Le dépôt de carburant de Guéret (Creuse) a été bloqué pendant quelques heures par une quarantaine de manifestants, qui ont fini par être délogés par les forces de police.

Dans les ports, les syndicats et le patronat sont parvenus à un accord sur la mise en place d’un dispositif de cessation anticipée d’activité pour pénibilité. A la suite de cet accord, la CGT a suspendu son appel à une grève reconductible chaque week-end qu’elle avait lancé début octobre. La veille, à Marseille, le syndicat FO des agents territoriaux, après avoir négocié la fin de la grève des éboueurs, avait décidé de ne pas manifester le 6 novembre.

Aux yeux de Marcel Grignard, le secrétaire général adjoint de la CFDT, la position adoptée par l’intersyndicale le 4 novembre, est "un compromis intelligent". Il permet à la CGT de ne pas perdre la face en préservant l’unité inédite qui a été un des principaux atouts des syndicats depuis le début du mouvement. Il évite aussi que la lassitude progresse chez des manifestants de plus en plus convaincus qu’ils ne pourront plus faire reculer Nicolas Sarkozy sur sa réforme des retraites et qu’elle érode le front syndical. A bien des égards, la journée du 6 novembre fait déjà figure de baroud d’honneur.
Michel Noblecourt

http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/11/04/retraites-l-intersyndicale-fixe-un-nouveau-rendez-vous-fin-novembre_1435709_3224.html

Messages

  • Heeeps, moi je suis syndiquée, j’ai fait 4 semaines de grève, regardes bien autour de toi, il existe des espaces syndicaux où on peut encore militer démocratiquement, à nous de les construire.... Et tout au moins ouvrir ces espaces pour qu’un max de gens s’engagnet plus massivement dans les grèves.

    Je reprends le taff lundi, sans regret, d’ailleurs, nous communaux, on suspend, et si ça repart on sera le même nombre et + d’autres, on le sait déjà.... :-)) On a appris un tas de trucs, on fait des piquets avec des gars et des filles de la RATP, de la SNCF, des territoriaux d’autres villes, des lycéens, des étudiants... On a construit une AG interpro et des choses sont gagnées ici pour des années.

    Oui les directions syndicales sont pourries en général, mais c’est à nous de faire le taff en bas. Nous on a même eu le syndicat le plus fort qui était opposé à la grève et à toutes actions, on a fait ce qu’on avait à faire... On a milité à la base en intersyndicale avec les syndiqués de base et des non syndiqués, en ag souveraine. Incroyable expérience !

    Fraternellement

    • La victoire de tous les droits sociaux gagnée par le peuple a la LIBERATION
      est attaquée de front par l e grand patronat.

      La colère montante exprimée dans les manifestations montre avec éclat
      que la situation est mure pour une grève générale reconductile par les assemblées
      générale de base des collectifs syndiqués et non syndiqués, d’’entreprises , de chomeurs
      d’étudiants, de lyceens , et soutenue par une solidarité active de la popultion des villes et des campagnes .
      Le patronat par son mépris des travailleurs défend et applique très bien les principes
      de la classe de exploiteurs contre nous les opprimés.

      Sachons lui répondre avec force et détermination , que si tout s’arrête
      le patronat n’est plus rien,la classe des exploités devient tout .

      En avant pour l’unité à la base et renouons avec les actions
      historiques de la clase ouvrière !

  • l’intersyndicale est lamentable

    Qui attendait mieux de cette pantalonnade ? déjà, depuis plusieurs semaines.....

    (depuis l’origine, c’était une mascarade)

    La CGT, Solidaires, CNT, FSU sont toujours déterminés

    On continue

    On lâche RIEN

  • Bien, le scénario se déroule de la façon dont on pouvait douter qu’il se déroule.

    Après, la patate chaude de la trahison pourra circuler...

    Voilà ce qu’il en est des unions au sommet , les travailleurs ont peu de prise dessus.

    Ils ont peu de prise sur la conduite de la lutte, peu de prise sur sa centralisation, peu de prise sur son organisation, peu de prise sur ses objectifs, peu de prise sur les personnes qui peuvent incarner cette centralisation.

    Nous savons bien que la poussée populaire, et quelque part cette unité incomplète ont aidé le mouvement à aller très loin. Que des formes de lutte plus avancées ont montré une belle maturation des consciences et des actions.

    Mais nous n’avons toujours pas les outils organisationnels démocratiques, unitaires, ,de masse pour que les "bases" contrôlent et centralisent les volontés, d’une façon indiscutable et rendant impossible sauf à en payer un très grand prix des trahisons.

    Ces outils qu’on a vu se développer localement, départementalement, n’ont pas eu encore assez de temps pour s’extraire et bétonner l’unité, révolutionner le syndicalisme, approfondir l’unité des travailleurs . Cela a été la constitution d’AG inter-établissements, d’inter-syndicales locales, d’équipes diverses qui ont tâtonné pour chercher à ancrer ce mouvement.

    Cette maturation organisationnelle ne se fait que dans des grands mouvements mais elle est partie là de bien bas, rendant extremement long son démarrage.

    Nous avons eu un autre problème lié c’est l’arc-boutage pour éviter tout passage à un niveau supérieur du mouvement. Le "tout sauf la grève générale" a fait de grands dégâts diviseurs quand la dynamique du mouvement appelait à y travailler méthodiquement.

    C’est l’inverse qui s’est produit, les bases y travaillaient de fait sans le dire mais l’immense majorité des directions, des courants politiques aux calculs politiciens, et des militants de gauche longuement éduqués aux journées pression et à l’idéologie de l’impuissance, ont clamé qu’il ne fallait pas y appeler pour les plus aimables, jusqu’aux conneries caricaturales pour les autres.

    Mais là comme à l’étape intermédiaire, la grève générale n’est pas l’arme utile, la belle cadillac qu’on astique dans le musée sans jamais la sortir.

    La grève générale a été un moment une nécessité pour laquelle nous n’étions pas préparé politiquement et organisationnellement .

    C’était également la crainte de la terra incognita d’un mouvement qui bouleverse largement la société, la crainte d’une montée en puissance de la politisation et de disputer le contrôle de la société à la classe bourgeoise.

    Là où des couches radicales vont considérer la grève générale comme l’arme ultime, là où la gauche politique et syndicale va la considérer comme la cadillac qu’on ne sort jamais, le bouton rouge qui ne sert qu’à la dissuasion mais perd sa raison si il est utilisé, et qui bataille pour que jamais on ne la prépare ni on y appelle.... pour le camp de la classe populaire la grève générale n’est qu’une modalité tactique du mouvement nécessaire à un moment donné de celui-ci.

    Au dela de la grève générale ce sont les conditions créées pour la prise en main par les travailleurs des centres de production de richesse, de commerce, de connaissance, de services par les organes démocratiques des travailleurs.

    Pas un "grand soir" comme les quolibets habituels jetés par les réformistes de tout poil impuissants face à la tactique de la bourgeoisie le disent.

    Mais comme un grand matin.

    • la bourgeoisie a changé de braquet depuis 30 ans

      quant aux gauches politiques et syndicales .................

      loin des spectacles médiatique et électoraliste, c’est à la base que tout doit se reconstruire avec une idée fixe : les moyens en adéquation avec le but. Il n’y a pas de raccourci possible pour le mouvement de l’émancipation !

    • Je comprends ce que tu veux dire, cette division des bonnes gauches me dérange aussi mais il reste un bon espace de lutte avec des syndicats qui en veulent et des partis à gauche qui tirent du bon côté. Si le peuple pouvait en être conscient et tirer tous en même temps ce serait une force formidable. Il y a beaucoup de boulot et les consciences politiques, sociales et syndicales sont à reconstruire sur les cendres laissées par les tf1, pub, jeux débiles, division du monde salarial...

  • Colère,OUI !
    Tristesse et gémissements, abattement et résignation, NON !

    Copas nous dit :

    C’était également la crainte de la terra incognita d’un mouvement qui bouleverse largement la société, la crainte d’une montée en puissance de la politisation et de disputer le contrôle de la société à la classe bourgeoise.

    A nous de retrouver le chemin des terres inconnues !

    Défendre seulement "des acquis", est un combat de vaincus d’avance, revendiquons l’extension de nos droits et visons de nouvelles conquêtes ? !

    Analyser pour mieux repartir, oui !

    Mais cessons de chercher des excuses : "pas facile de mobiliser" "individualisme" "bagnole, télé, crédits " "Chérèque, Thibault, Mailly" pour ne pas crier haut et fort que nous produisons tout, que le profit, c’est le vol du travail et que nous voulons tout.

    • Et puis, aussi :

      Sur toutes les radios, sur toutes les télés, et à la tête des syndicats, on tente d’enterrer ce mouvement parce qu’on en a peur, en en parlant au passé, en faisant comme s’il était terminé...

      Et nous nous laissons avoir en parlant au passé ... alors que PERSONNE NE SAIT !

    • si si tout le monde le sait !

      au point ou nous en sommes, la suite ne peut être que

      1 - la défaite du mouvement social ( ce que tous les médias, politiques de gauche comme de droite, les chefs syndicalistes annoncent tous les jours )

      2 - une crise de régime avec un saut possible vers autre chose

      et c’est là que ça coince : personne n’imagine ce qui pourrait en sortir d’une crise de régime ; où plutot une très grande majorité de la population ( y compris les prolétaires ) n’ont en tête que l’aventure stalinienne ou un dictature d’extrème droite ........... ( il faut dire qu’ils sont nombreux parmi les élites pour nous mettre ça dans le crâne, c’est le fameux TINA de Tatcher qui continue à faire des ravages, non pas à cause de ses arguments mais bien à cause de l’aveuglement des "révolutionnaires" )

      tant que l’hypothèse stalinienne n’aura pas été levée , il n’y aura que des combats défensifs ( Badiou ferait mieux de nous parler de cela, mais qu’attendre d’un stalinien )

      je vous conseille un texte de Guy Fargette très éclairant de mon point de vue ( repris de : http://www.magmaweb.fr/spip/spip.php?article409 )

      Texte extrait du bulletin de G. Fargette, "Le crépuscule du XXe siècle", n°12, aout 2004

      LA PERSISTANCE DU CREPUSCULE HISTORIQUE ET SON SECRET

      Un naufrage historique exceptionnel

      L’histoire du mouvement d’émancipation est parcourue par une cécité de principe : il faut se référer aux phases ascendantes des révoltes, mais ne jamais examiner les déperditions de sens, les échecs les reflux, les régressions. Cette convention tacite n’autorise l’expression que dans la mesure où l’on feint de croire que le mouvement est toujours à l’offensive, même secrètement. C’est l’une des plus grandes sources d’irréalisme des “théories radicales”. Cet idéalisme est devenu écrasant depuis une trentaine d’années, avec le déploiement d’une régression historique qualitativement nouvelle.

      L’expression ombragée de “Crépuscule du XXe siècle” est inspirée d’une remarque d’historiens, désireux d’attirer l’attention sur l’étrange évolution de cette période. Jamais siècle ne fut attendu avec ce mélange d’optimisme et de création. La simple mention de ce chiffre avait valeur de “modernité” et d’espérance dans l’avenir. Annoncé comme le plus brillant de l’histoire humaine, il s’est avéré constituer l’un de ses plus grands fiascos. Ce trou d’air immense est si peu anecdotique qu’il devrait se trouver au centre des préoccupations des partisans d’une perspective d’émancipation humaine générale.

      On peut naturellement objecter qu’il demeure des “acquis” de cette période : amélioration considérable du sort des ouvriers en Europe et en Amérique du Nord (quoique rongée de plus en plus méthodiquement depuis une génération), libération de la plupart des colonies, émancipation relative des femmes, etc. Les deux derniers aspects se sont d’ailleurs révélés, contre toute attente, beaucoup moins difficiles à approcher que le dépassement de l’inégalité sociale. Mais un apogée a été atteint, très en deçà de ce qui était espéré et, depuis, la régression n’a cessé de s’accélérer, en prenant des formes de plus en plus déconcertantes (1).

      Outre les abominations centrales et caractéristiques de ce XXe siècle, comme l’industrialisation de la guerre, les camps de concentration, et les mégamachines d’extermination, c’est surtout l’écart abyssal entre ce qui est advenu et les ambitions initiales qui doit être pris en considération, ainsi que l’essoufflement des résistances à la régression. Les conséquences de ce désastre silencieux ne sont pas achevées. Nous vivons dans l’ombre portée de cette période malheureuse qui, à travers ses manquements, a fixé pour une durée indéfinie et sans doute assez longue le cours filandreux de l’histoire contemporaine.

      La conscience de cette faillite générale est très rare. Quand l’ouragan se déchaîne, le regard se porte rarement sur l’horizon. Le rétrécissement du champ de vision va de pair avec la répétition forcenée des formules magiques d’autrefois :

      Rôle miraculeux du marché pour des libéraux péniblement recyclés en idéologues hypocrites de l’oligarchie, mais toujours péremptoires (où aurait-on vu fonctionner un “marché” réel conformément à leur théorie de la concurrence “pure et parfaite” ?)

      Rôle messianique du “prolétariat” pour leurs anciens adversaires à la dérive, caricatures des marxistes ou des anarchistes d’autrefois. Ces gens demeurent convaincus que le dépassement des mécanismes capitalistes, organisés en un “système”, devrait avoir lieu de façon “automatique”, et que ce renversement permettra enfin l’avènement magique du paradis sur terre. Leur activité fastidieuse et envahissante pour favoriser cet “automatisme” contredit leur credo profond.

      La réalité a de plus en plus divergé de tous ces discours, désormais réduits à de simples rhétoriques, mais sans perturber en rien tous leurs sectateurs, qui se soutiennent surtout de la dénonciation des illusions adverses. L’autosuggestion assujettie aux rituels et la recherche frénétique de filiations sacralisées tisse une mentalité infra religieuse, qui aggrave et renforce la régression historique généralisée.

      Pour le moment, la grande question est de savoir quel courant historique incarnera au mieux celle-ci, qui doit prendre, comme toute tendance hégémonique dans une époque, une allure offensive. La résurgence des discours religieux, surtout du côté de l’islam, en l’absence de toute renaissance théologique, prétend défier la décomposition capitaliste qui n’a, de toute façon, plus rien de “progressiste” au sens du XIXe siècle, si tant est qu’elle l’ait eu un jour. Prendre parti dans cette compétition serait une abdication.

      L’hypothèse anthropologique de la révolte sociale

      Le meilleur argument permettant d’affirmer que les références anciennes sont radicalement obsolètes tient à la nature des rapports sociaux qui se sont imposé par défaut, au terme de deux siècles d’affrontements changeants mais en continuité les uns avec les autres. L’idée d’une polarisation des sociétés industrialisées, latente mais de plus en plus simplifiée, entre classes sociales de plus en plus antagonistes, s’appuyait sur la conviction que le processus historique d’industrialisation dépasserait la vieille question politique imprégnant les sociétés humaines depuis le néolithique. Cette hypothèse anthropologique était le fondement indiscuté de l’attitude subversive. Nombre d’insurgés du XIXe siècle avaient espéré que le mythe communiste, qui s’était annexé le projet de “socialisme” déployé dans le monde ouvrier quarante ans après la formulation due la tentative babouviste, pourvoierait à tout et résoudrait enfin les contradictions internes grevant les groupes humains ayant dépassé la chasse et la cueillette. Ce cadre mental, de type foncièrement millénariste, c’est-à-dire encore et toujours religieux, fut le terreau implicite des discours insurrectionnels du XIXe siècle européen.

      Il faut malheureusement constater, après deux siècles de luttes de classes intenses, que l’industrialisation n’a changé que très peu de choses à cette question sociale et politique. Les sociétés étendues ne parviennent à se trouver un équilibre précaire et, dans leurs moments les moins instables, un quasi-ordre, qu’à la condition de développer des structures inégalitaires, hiérarchiques, autoritaires. Ces sociétés n’affrontent l’adversité du milieu et celle plus redoutable encore de leurs rivales, qu’à la manière d’un navire qui tient la mer, en maintenant une partie de son volume sous la ligne de flottaison. La question politique conflue toujours avec celle du pou- voir le plus matériel. L’inégalité interne des groupes humains y renaît et s’y cristallise par des voies sans cesse renouvelées.

      La faillite retentissante de la vision réduisant les rapports sociaux au jeu de classes antagonistes se mesure à ce que les partisans du renversement n’ont pas réussi à dépasser les fonctions de deux institutions majeures des sociétés humaines développées, l’argent et l’État, et qu’ils n’ont toujours aucune idée pratique sur la manière d’y parvenir. Pire, en concentrant leur hostilité sur les mécanismes d’accumulation de l’équivalent général, les marxistes ont contribué à démultiplier l’horreur qui gît au principe de l’État, et même à la faire accéder à un stade qualitativement supérieur. La grande invention des héritiers pragmatiques du marxisme, que les historiens ont qualifiée de “totalitarisme”, consiste en une tyrannie d’un genre absolument inconnu avant le XXe siècle. L’incapacité de la plupart de leurs courants à analyser la nature de l’URSS et les principes de son fonctionnement, même après coup (2), montre que les porteurs de ces méthodes et leurs héritiers n’ont rien appris. Placés dans les mêmes circonstances, la plupart récidiveraient. L’ambiance qui domine leurs ghettos idéologiques, faite d’anathème, d’orgueil et d’aveuglement manipulateur, assure la permanence de leurs errements. Dans leur foi para-religieuse, ils ont aiguisé la rouerie du mensonge, mais il agit d’abord sur eux-mêmes et son rayon d’action se réduit régulièrement. Ils sont donc les seuls à ne pas percevoir la méfiance généralisée qui accueille instantanément leurs discours.

      La classe ouvrière, entendue comme groupe sociologique, puisqu’elle n’apparaît plus nulle part comme un ensemble politiquement conscient de lui-même disputant le pouvoir et l’organisation de la société aux couches dominantes, le sait si bien qu’elle s’écarte spontanément de tous ceux qui se réclament d’elle. Tous les sectateurs de modèles abstraits de société sont prêts à l’en- voyer au hachoir, sans même sourciller. La méfiance sociale est si considérable que l’horizon de l’histoire est durablement bouché de ce côté-là.

      Symétriquement, les anciennes classes dominantes se sont transformées en oligarchies prédatrices, prêtes à utiliser tous les moyens permettant de conforter la croissance régulière de leurs avantages matériels et symboliques. Il n’existe même plus de contrat social implicite. L’affrontement semble pouvoir se déchaîner sans limites, mais avec cette particularité qu’un seul côté mène la guerre et que le reste de la société se défend péniblement et toujours avec retard. Les sociétés occidentales sont marquées par une fragilité interne dont bien peu savent mesurer la gravité. Et cette faiblesse n’est pas le signe d’une potentialité historique.

      Ces éléments expliquent la position à laquelle est réduite la classe ouvrière, qui se différencie du lumpenprolétariat précisément en ce qu’elle est capable d’organiser des résistances collectives dans la durée. Elle a dû admettre que les instruments passés de sa révolte ne peuvent lui permettre de l’emporter et d’abolir l’injustice sociale. Ses réactions se cantonnent à une incertaine défense tactique, qui peut faire preuve de véhémence, jamais d’initiative. Elle tente de limiter les dégâts, sans pouvoir proposer de solution générale. Les autres dimensions de l’émancipation, l’indépendance des colonies et le processus d’égalisation de statut pour les femmes, se sont intégrées sans difficulté à l’injustice régnante : les oligarques du tiers-monde et les dirigeantes de tous ordres se montrent aussi lamentables que leurs modèles déjà en place. Les nouveaux venus innovent même souvent dans l’abjection : ils doivent faire la preuve de leur appartenance au club de l’oligarchie locale.

      La régression est fertile

      Le terme de “communisme” qui était présenté comme le point de ralliement de tout l’effort de la révolte sociale depuis les années 1830-1840, jusque dans les années 1950, est irrémédiablement associé au pire esclavage que l’humanité ait réussi à mettre sur pied : escamoter ce verdict historique que le soulèvement de Budapest a rendu manifeste jusque dans la défaite la plus grave, et que les contestations de masse ultérieures à l’Est de l’Europe n’ont cessé de confirmer, revient à ignorer le fonctionnement des régimes dont le goulag fut la grande institution structurante.

      La réapparition des logiques d’empire s’inscrit dans ce cadre régressif : depuis le passage du néolithique à l’histoire, la figure de l’empire est l’une des plus vieilles réponses humaines, qui a régulièrement servi à endiguer ou réguler les tares les plus consternantes des sociétés étendues. Quand le pouvoir d’un État atteint les bornes du monde connu et que sa revendication de monarchie universelle s’impose, les plus gros gaspillages dus aux rivalités de souveraineté cessent pour un temps, avec pour contrepartie un gel des affrontements sociaux internes. L’histoire n’avance plus que de façon souterraine, par une lente entropie interne. Elle paraît même suspendue. Pourtant, il ne suffit pas que les réponses aux détresses humaines veuillent converger en une aspiration à l’empire. Une telle nostalgie d’empire peut ne pas aboutir, et les diverses échelles de souveraineté ne pas trouver leur champ unificateur. Le Moyen Age européen en représente un des exemples les plus connus, ou certaines périodes plus brèves (comme le « Temps des Troubles » de la Russie). Le pourrissement peut alors suivre son cours improbable pendant longtemps, au travers d’un chaos qui n’est pas générateur de cohérence émancipatrice. Tel est probablement le type de phase dans lequel nous sommes engagés. Nous avons en tout cas sous les yeux une excellente définition de la barbarie.

      Les luttes sociales contemporaines ne sont pas négligeables, mais sous peine de les mythifier, force est de constater leur rôle extraordinairement modeste, assurer un minimum de fluidité dans le métabolisme déclinant des sociétés industrielles. La régression va si loin qu’elles pourraient tout aussi bien aggraver la paralysie qui gagne progressivement ces sociétés dans toutes leurs dimensions historiques.

      L’ébranlement de toutes les échelles de souveraineté qu’exprima la période des guerres de religion a laissé divers souvenirs et quelques réflexes pour la grande période qui reprit les principes de refus de l’ordre établi, quelque 150 ans plus tard. Mais ce qui est né à partir de la révolution de 1789 a parlé un tout autre langage et s’est défini un univers mental prodigieusement différent. Si une nouvelle période d’ébranlement doit encore se manifester à l’avenir, à laquelle s’adosserait un projet de redéfinition générale des rapports humains, il est certain qu’elle sera tout aussi éloignée des références qui nous ont nourris.

      Le Crépuscule du XXe siècle s’appuie sur le constat de l’ampleur de l’impasse historique pour en définir le bilan, encore inachevé, et pour déceler, dans la mesure du possible, les germes de la reprise, sans doute très lointaine, d’un authentique mouvement d’émancipation. À tout le moins, d’en distinguer les conditions, car la caractéristique de l’histoire humaine qui fait frémir tous les déterministes, sa nature de création permanente, interdit d’en fixer les termes par avance. L’excès de l’effet sur la cause qui en constitue la trame invalide toute prédiction lointaine, toute certitude définitive.

      L’analyse des mouvements insurrectionnels passés, à partir des résultats, advenus demeure le point de départ de toute lucidité historique, mais elle ne renseigne bien évidemment ni sur la date de leur retour éventuel ni sur le contenu de leurs perspectives.

      Paris, mai 2004


      Notes

      1. Comment ne pas citer la remarque de Lewis Mumford dans “Les transformations de l’homme”, p. 76, sur l’apogée d’une civilisation : “Que se volatilisent subitement la signification et la valeur d’une civilisation, souvent au moment où elle semble être à son apogée, cela a été longtemps une des énigmes de l’histoire ; nous nous y heurtons à nouveau de nos jours.” ? Le fait que ce texte date de 1956 conforte l’idée que le regain des années 1960 ne fut qu’un feu de paille, étant donné ce qui ne l’a pas suivi.

      2. L’acharnement à n’y voir, au mieux, qu’un capitalisme paradoxal, “d’État”, permet de retomber sur le seul ennemi que la théorie autoriserait à nommer. Ce que savent les populations qui ont subi ces régimes, c’est que ceux- ci n’étaient pas “capitalistes”, ils étaient qualitativement pires.

  • et c est fini ca c est la cfdt comme d habitute ,ils ont peur .
    apres une journee de plus ou de moins sert a rien .
    De toutes facons ,le mouvement était bridé.
    Avec ces journees d action
    je pense a tout ce qui ont fait greve comme moi pour rien et qui sont lacher.
    Apres les syndicats ont la realite du terrain .
    Mais se syndique et important ,car le gouvernement SAIT le nombre de syndiqué s il avait 50% DE SYNDIQUE EN FRANCE IL REFLECHIRAI .
    ET SI les syndicats etaient capable de payer les salaries en greve comme en allemagne les negociations seraient plus equilibré.

    • grève générale, blablabla....

      incantation des extérieurs au mouvement social

      directions traitres, directions traitres, ...

      la force de l’analyse du commentateur de la lutte de classe

      Depuis juin nous avons construit un mouvement unitaire, regrouper des salarié-e-s qui ont appris à parler, écouter, revendiquer, sortant de la soumission quotidienne.

      Il en restera quelque chose.

      La CONSCIENTISATION ne s’arrète pas.

      Défaite disent les simplistes dualistes (i koné que noir et blanc).

      NOU TYINBO NOU LARG PA

      ggRUN

    • Kimbé red pa moli !

      rien est fini ! on redescend demain et on redescendra autant de fois qu’il le faudra !
      Faudra bien un jour aussi, que tous ceux qui gueulent sur les directions syndicales, adhérent aux syndicats pour choisir des représentants à la hauteur.

      Le moment est super malgré les doutes, les gens causent, les gens réfléchissent, tout ça c’est que le début. On continue, resistance ! Personne a dit que ce s’rait facile.

      nico

    • qui te parle de direction traite ?

      perso pour moi elles font leur job pour lequel elles sont payés : elles pilotent la soupape "Syndicats" pour que la marmite n’explose pas , mais sans que le débit de la soupape ne soient trop important et qu’il y ait un risque pour les possédants

      le réglage des soupapes doit être quelques fois fin et demandent des spécialistes ( les chefs syndicalistes et leurs permanents affidés ) ; les raffineurs et d’autres comprendront ........

    • "Faudra bien un jour aussi, que tous ceux qui gueulent sur les directions syndicales, adhérent aux syndicats pour choisir des représentants à la hauteur."

      ou qu’ils prennent un raccourci et montent leur propre truc qui soit à la fois un syndicat et un parti (même si légalement c’est pas possible, mais c’est bien ça qu’il faut).

  • Non, les directions syndicales n’ont pas trahi, elles ont fait ce qu’elles savent faire le mieux : contenir le mouvement.

    Ce n’est pas une trahison, elles ont fait leur boulot de « partenaire social » (le vilain mot). Mais le plus affligeant, c’est que depuis début 2009 alors qu’il y a de très fortes mobilisations dans la rue, le gouvernement ne leur a même pas concédé quelques miettes, juste histoire de pouvoir sortir la tête haute en arguant d’avoir fait reculer le gouvernement sur telle ou telle virgule.

    Les seules « concessions » (prévues d’avance) ont été accordées aux Sénateurs centristes. La droite fait des concessions à la droite. Le reste des acteurs sociaux et politiques, les 70% d’opposants à la réforme sont devenus totalement virtuels.

    Nul ne connait l’avenir et les conséquences et rebondissements sociaux qui vont suivre. Mais il apparaît déjà que la crédibilité des directions syndicales est largement entamée auprès de la population. Sentiment renforcé par l’autisme de Sarkozy qui n’accorde même plus la belle image de communication sociale des représentants syndicaux sur le perron de l’Elysée.

    Faute de perron de l’Elysée, les dirigeants syndicaux auraient au moins pu se fendre d’une présence sur des piquets de grève. Mais absents de ces deux lieux, on est en droit de se demander quelle est leur fonction. Alors que partout, tous syndicats, toutes professions confondues, le terrain a répondu présent massivement et avec radicalité.

    Les directions syndicales justifient leur attitude au nom de la préservation de l’unité au sommet. La belle affaire ! A la base la question n’était pas de préserver l’unité mais d’en faire le moyen pour gagner et pas juste de se satisfaire d’être ensemble.

    Une chose est sûre, la classe ouvrière a recommencé à croire à sa capacité de peser et ce malgré les insuffisances des directions syndicales qui sous prétexte de préserver l’unité (ce qui n’est pas une fin en soi) ont opté pour le moins-disant.

    C’est peut-être contradictoire, mais la meilleure réponse que lui puisse faire aux directions syndicales, c’est de répondre massivement à leur appel à manifester ce samedi 6 novembre. De montrer que l’unité dans la rue n’est ni à construire, ni à préserver mais à en faire l’arme pour poursuivre et montrer que les vacances de la Toussaint, n’est pas la fête de la mort du mouvement.

    • "Mais le plus affligeant, c’est que depuis début 2009 alors qu’il y a de très fortes mobilisations dans la rue, le gouvernement ne leur a même pas concédé quelques miettes"

      mais pourquoi vous croyez tous qu’il y a un article quelque part dans la constitution qui dit qu’à partir de X millions de grévistes ou manifestants c’est la rue qui gouverne ?

      "faire pression" ça marche quand il y a des tunes en face,

      avec les taux de rendement de 15 pour cent et plus exigés par la finance internationale, c’est fini la belle époque, soit on les envoie bouler pour de bon (et ça aucun gouvernement ne le fera jamais) soit on finira tous au même niveau de salaire que les les chinois (ou les africains, vu que les chinois commencent à délocaliser là-bas...)