Accueil > Interview d’un ancien prisonnier du DHKP-C

de Stefano Galieni traduit de l’italien par karl&rosa
"Je m’appelle Halil Ibrahim Sahin et je suis kurde".
"Je m’appelle Halil Ibrahim Sahin et je suis kurde". Il parle en regardant droit dans les yeux, en gesticulant, il arrive même à plaisanter tout en racontant. Halil a des moustaches touffues, dans ses cheveux noirs il y a déjà un peu de gris, il est difficile de comprendre si cela dépend de son âge ou de ce qu’il a subi. Un des slogans le plus souvent hurlés dans les prisons turques, où il a passé 11 ans en tant que prisonnier politique, dit à peu près : "La dignité humaine vaincra la torture". Les traits de Halil en sont la preuve. "Aux années 1970 je me suis rapproché de la gauche, j’étais intéressé à saisir les liens entre le marxisme et la question nationale. Bientôt je suis arrivé à comprendre deux choses simples : la lutte de libération en Turquie concerne toutes les minorités présentes dans le pays, pas seulement nous, les kurdes ; deuxièmement les conditions d’exploitation des travailleurs concernent tous les Turcs".
Ce sont les années où émerge une figure d’intellectuel militant comme Mahir Cavan. Halil adhère au groupe appelé à l’époque Dev Sol, qui devient en 1994 Dhkpc. A la fin de 1990 il participe à des manifestations contre la "guerre impérialiste" à l’Irak, il est arrêté et fait ses six premiers mois de prison. Quand il en sort, en avril 1991, il va vivre dans la plaine du Ciukurova. "J’ai commencé à faire un travail de propagande dans les quartiers, en plein jour. En 1993, sur la route d’Istanbul, on nous a arrêtés pour un contrôle et on a trouvé des armes dans le coffre. Il n’avaient aucune preuve contre moi mais j’avais des précédents. Ils m’ont enfermé dans la prison de Bursa, en isolement. A chaque déplacement pour les audiences, j’étais régulièrement tabassé". La condamnation arrive en 1995 : 15 ans pour appartenance à un groupe clandestin. "Il suffisait d’avoir accroché une banderole pour être considérés comme des terroristes. C’était la Dgm (la Cour pour la Sécurité de l’Etat, ndr), composée seulement de militaires, qui célébrait les procès. C’est dans cette période qu’on a commencé à vouloir isoler les détenus".
A Bursa, Halil commence à mettre en œuvre des formes de désobéissance : la grève de la faim, le silence pendant l’appel, le blocage de la porte de la cellule. Les objectifs : rompre l’isolement et revenir à Istanbul. La politique des massacres pour briser la résistance des détenus a déjà commencé. "Après le procès, j’ai échoué à Umranie. Dès le 24 novembre 1995 commença un tabassage quotidien opéré par les militaires. En décembre, l’assaut. Nous nous sommes défendus en élevant des barricades, 4 camarades sont morts. En 1996, nombre de détenus commencent une grève de la faim, après 69 jours, il en meurt 12".
La situation se précipite : le 26 septembre 1999 il y eut un massacre dans la prison de Ulucanlar (près d’Ankara), ensuite à Burdur (dans l’Ouest). Une photo terrible de ces jours-là montre un chien qui a dans la bouche le bras d’un prisonnier. A ce moment-là, le gouvernement commence à bâtir de nouveaux pénitenciers, et comme ils sont financés à 70% par l’UE, ils ont aussi des standards proches de ceux de l’Occident.
"L’isolement où l’on veut nous amener sert à détruire nos rapports, ce n’est pas vrai que les raisons doivent être recherchées dans une humanisation présumée ou dans le besoin de ramener les pénitenciers sous le contrôle de l’Etat".
"En octobre 2000, nous avons commencé la grève de la faim à outrance, le 19 décembre l’armée a fait irruption à Umranie. Un des nôtres, Hamet, s’est mis le feu, puis a couru dehors en signe de reddition, ils l’ont abattu de deux coups de feu à la tête". Le bilan est tragique, 32 morts.
"En février un autre déplacement, dans la prison de Tekirdag. Je refusais la nourriture et n’obéissais pas, j’ai vu mourir un de mes amis à cause des tortures. Nous nous sommes organisés : certains choisirent la grève jusqu’à la mort, d’autres, comme moi, alternèrent 45 jours de jeûne à 10 de nourriture, pour résister plus longtemps".
Halil est sorti en juillet 2004 et il ne croit pas au nouveau visage du gouvernement : "L’année prochaine ils vont approuver une loi sur la détention qui permet de soustraire à la période de la peine les jours passés à l’hôpital. Ceux qui vont solidariser avec les grévistes pourront être accusés d’instigation. Mais la Constitution dit que si le détenu reste en silence à son procès il commet un crime. Est-ce cela l’humanisation ?" La "loi sur le repentir", qu’on a fait passer comme une amnistie, a servi à libérer les détenus de la droite, les intégristes et ceux qui avaient abandonné la lutte. Selon Halil elle s’est avérée un échec. Entre temps, dans les nouvelles prisons l’isolement continue : "Ils ont mis aussi des grilles au plafond pour empêcher qu’on puisse s’envoyer des billets d’une cellule à l’autre".
Maintenant Halil est libre mais il est toujours sous contrôle serré : "Ils ont arrêté même mon avocat parce que je parlais trop souvent avec lui. Il ne faut pas se balader avec moi - dit-il en riant - Berlusconi et Erdogan sont amis et tu pourrais avoir des problèmes toi aussi". L’entrée en Europe peut-elle être une chance ? Halil hoche la tête : "Pas maintenant. Elle ne peut servir qu’a asseoir le pouvoir. Le peuple turc doit encore faire des pas en avant, il n’y a jamais eu chez nous une révolution bourgeoise et c’est impossible d’installer un système d’en haut. Nous devons apprendre à marcher de nos propres jambes, en continuant à lutter. Ensuite, on verra".