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Interview d’un membre de la section syndicale de la CNT du chantier naval de Séville
Publie le mardi 1er juin 2004 par Open-PublishingQui défend ses droits n’est pas violent
L’interview qui suit provient du site internet de la CNT-AIT de Séville en
Espagne. En la publiant en français, nous voulons attirer l’attention sur
une lutte dont on ne parle pas beaucoup. Certes la télévision espagnole a
montré des images d’affrontements entre les ouvriers et la police, mais
rien, à notre connaissance, n’a filtré dans la presse étrangère.
Il y a quelque vingt ans, le chantier naval de Puerto Real, près de Cadix,
était le théâtre de luttes exemplaires, dans lesquelles les
anarcho-syndicalistes de la CNT jouèrent un rôle important. Ces luttes
permirent le maintien des postes de travail et l’engagement des travailleurs
précaires. Aujourd’hui l’emploi est à nouveau menacé dans ce secteur et les
ouvriers reprennent la lutte pour leur poste de travail.
À Séville où, petit à petit au cours des années, l’entreprise mère a "
dégraissé " ses effectifs en sous-traitant de plus en plus de tâches à des
entreprises " auxiliaires ", la résistance est particulièrement difficile.
Mais comme l’explique le militant qui s’exprime ci-dessous,
l’auto-organisation et l’action directe restent le meilleur moyen pour les
travailleurs de défendre leurs droits.
Question : peux-tu nous dire qui tu es ?
Réponse : je suis un travailleur de l’industrie auxiliaire du chantier naval
de Séville, même si parler d’ " industrie auxiliaire " ne me semble pas très
correct quand celle-ci se charge du 80% de la construction d’un bateau. Je
suis aussi membre de la section syndicale de la CNT du chantier naval. Ceci
dit, dans cette interview, je suis le porte-parole de ma propre opinion.
Q. : est-il vrai que le secteur naval est en crise ? Et d’où provient cette
crise ?
R. : la crise ne vient pas d’un manque de compétitivité, des coûts élevés ou
de la concurrence d’autres chantiers navals. La crise est due à
l’incompétence de la bureaucratie du chantier naval. Il s’agit d’individus "
désignés ", de politiciens, des gratte-papier négligents qui au lieu de
chercher des marchés, des commandes, d’offrir les produits, d’arriver à des
accords avec la compagnie pétrolière espagnole Repsol... regardent les
mouches voler.
Nous avons démontré que nous pouvons terminer les bateaux avant le délai
prévu. Ce n’est donc pas un problème de manque de compétitivité, puisque
nous sommes parfaitement qualifiés. Ce que nous exigeons des dirigeants du
chantier naval s’est qu’ils fassent leur travail, qu’ils obtiennent des
commandes et qu’ils n’attendent pas qu’elles tombent du ciel.
Q. : avez-vous offert un plan alternatif qui permette de renflouer le
chantier naval ?
R. : non.
Q. : peux-tu en dire plus ?
R. : nous n’avons pas à offrir une alternative à une crise qu’ils ont
causée. Négocier des restructurations, des licenciements, des fermetures
camouflées, des augmentations de productivité est une erreur. S’ils veulent
des plans qu’ils se creusent les méninges, nous nous chargerons de les
arrêter si cela ne nous convient pas.
Q. : participez-vous aux négociations ?
R. : jusqu’à maintenant cela ne nous a pas intéressés. Les forums qui ont
lieu ne sont pas décisionnels, les participants n’y vont que pour discuter,
pour se montrer ou pour manger au râtelier, comme le font la gauche unie
(IU) et le parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Pour perdre son temps,
il y a déjà les syndicats du comité d’entreprise. Nous devons construire un
autre type de syndicalisme à l’extérieur de cette ambiance, à la périphérie.
Q. : quelle est la composition du comité d’entreprise ?
R. : dans le chantier naval de Séville, seuls 300 travailleurs appartiennent
au personnel d’IZAR, anciennement " Chantiers navals espagnols ". Le
chantier naval a connu un processus de reconversion qui a fait qu’en vingt
ans, l’industrie auxiliaire est devenue pratiquement hégémonique. Dans cette
industrie auxiliaire, nous sommes 1’100 travailleurs. Le comité d’entreprise
dont on parle est celui d’IZAR, puisque les entreprises auxiliaires n’ont
pas de comité ou que ceux-ci sont inopérants. Dans le comité d’entreprise
d’IZAR, depuis 30 ans, ce sont les commissions ouvrières (CCOO) qui font la
pluie et le beau temps. Les CCOO gagnent à chaque fois [les élections
syndicales] parce qu’elles ont monté dans l’entreprise un réseau
clientéliste à qui tout le monde doit des " faveurs ".
Q. : quelle est l’influence de la CNT ?
R. : la CNT dispose d’une section syndicale qui n’arrête pas de grandir et
qui organise ses affiliés à l’intérieur du chantier naval. Nos thèses
reçoivent un bon accueil dans les assemblées et nous influençons plusieurs
centaines de travailleurs. Ce que je dis n’est pas de la propagande, c’est
la vérité.
Q. : comment exercez-vous cette influence ?
R. : nous expliquons nos positions en évitant de nous convertir en
avant-garde. Nous nous opposons à la précarité, nous sommes en faveur du
maintien de l’emploi et pour la dignité des travailleurs. Quand nous
constatons que les gens se bougent, nous sommes les premiers avec eux. Nous
essayons de faire que les gens s’expriment et luttent pour leurs droits, en
marge des discours savants de " complet-cravate". Nous sommes influents
parce que notre message est celui qu’émettent les gens dont nous sommes de
simples porte-parole. Nous sommes de plus décidé à lutter pour la liberté
syndicale qui est maintenant séquestrée par le système des comité
d’entreprises, là où ils existent, et par la répression et la peur dans les
entreprises où ils n’existent pas. C’est ce que nous disons et ainsi nous
avons de l’influence.
Q : quel est le rôle du comité d’IZAR dans ce conflit ?
R. : le rôle du comité d’entreprise est celui de la fédération de la
métallurgie d’Etat de CCOO qui est de refroidir la mobilisation, du fait
qu’ils ont de l’influence à IZAR, mais que l’industrie auxiliaire leur
échappe. Ils ont peur qu’un conflit surgisse dans l’industrie auxiliaire,
déjà qu’ils manqueraient de représentativité et que celui-ci pourrait bien
éclater. C’est mon opinion.
Q. : quelle est la relation entre le comité d’entreprise et la CNT du
chantier naval ?
R. : en général c’est une relation de respect mutuel. À certaines occasions,
il y a eu des affrontements très sérieux, quand nous avons vu que ses
membres freinaient la mobilisation.
Q. : quels sont les moyens sur lesquels compte la section syndicale de la
CNT, vu qu’elle n’est pas représentée dans le comité d’entreprise et qu’elle
ne se présente pas aux élections syndicales ? Peut-elle négocier dans ces
conditions ?
R. : nos moyens, c’est ceux de la section syndicale elle-même, ceux de la
CNT de Séville, d’Andalousie et d’Espagne, avec la force que nous donnent
les travailleurs chaque fois qu’ils se mobilisent avec nous et la solidarité
d’un certain nombre de personnes qui nous appuient. Pour avoir cela, nous
n’avons pas besoin de participer aux élections syndicales. Les négociations
ne dépendent que du rapport de force. Sans avoir de représentation légale,
on nous prend en compte. Pour faire de l’anarcho-syndicalisme, la seule
chose nécessaire c’est les militants. Je ne sais pas si ce que je dis
semblera très dogmatique, mais je le vois comme quelque chose d’assez
pratique. Où est arrivé le syndicalisme depuis vingt ans d’aumône, de
subventions et de système représentatif ?
Q. : ces dernières années, la CNT de Séville a joué un rôle actif dans une
série de conflits plus ou moins importants, [l’entreprise de nettoyages de
la localité de] Tomares, le chantier naval...
R. : je crois que le rôle que joue la CNT à Séville n’est pas plus important
que celui de dizaines de syndicats de la CNT qui participent courageusement
à des luttes, en ce moment, dans toute la péninsule. Ce n’est pas spécifique
à Séville.
Q. : est-il vrai que le chantier naval construit des bateaux pour l’armée ?
R. : à Séville, nous ne travaillons à aucune sorte de projet militaire. Les
chantiers navals qui travaillent pour les militaires, il y en a à Cartagena
et en Galice, que je sache. Personnellement si cela se passait à Séville, je
demanderais mon compte. Travailler comme policier, comme militaire, ou
travailler à construire des bateaux pour l’armée, je crois que c’est très
semblable. Je pense qu’il y a de meilleures façons de gagner sa vie.
Q. : avez-vous envisagé d’autogérer le chantier naval ?
R. : non. Je crois que ce serait très compliqué en ce moment. Pour arriver à
ce point, il faudrait plus de rodage. On verra.
Q. : Quel type de mobilisations réalisez-vous ?
R. : il y a un calendrier de lutte que nous sommes en train d’accomplir avec
des arrêts de travail, des manifestations, etc.
Q. : à quoi doit-on alors le climat d’affrontements avec la police ?
R. : à quoi c’est dû ? À la police elle-même et au délégué du gouvernement.
Ils font l’impossible pour que le conflit ne sorte pas du chantier naval,
ainsi chaque fois que nous essayons de manifester en ville, ils nous
agressent avec leur matériel.
Q. : les images de la presse et de la TV montrent des travailleurs qui
lancent des projectiles contre la police...
R. : je ne sais pas de quoi tu parles : qu’espèrent-ils qu’on leur lance ?
Des fleurs ? Tu auras remarqué qu’ils ne montrent pas ce que tire la police
: des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes de la dernière
génération. Nous sommes des douzaines de camarades à être passés par le
service de traumatologie de l’hôpital de la Vierge du Rocio. Il y en a
plusieurs qui risque de garder des lésions irréversibles aux yeux. La police
arrive avec ses armures, ses masques, ses boucliers, ses autos blindées, ses
caméras cachées, ses petits tanks, ses matraques électriques, ses fusils...
ils amènent de tout. Ensuite, ils entrent dans l’usine et la ravagent, ils
cassent les clôtures, détruisent des machines, cabossent des véhicules,
cassent des vitres ; ils tirent avec des balles et créent une situation de
terreur. Si on leur donnait l’ordre de nous tuer, ils le feraient. Personne
ne peut dire que nous, les travailleurs ayons agi de façon semblable. Les
seuls policiers qui ont eu des problèmes sont deux qui ont été atteints pas
des fusées venant d’on ne sait où. Mais bon, ce sont des choses qui
arrivent. Ce qui doit rester clair, c’est que nous les travailleurs exerçons
nos droits : le droit de grève, le droit de manifester et de nous exprimer,
le droit au travail, le droit de nous syndiquer, le droit de vivre avec
dignité. Ceux qui veulent réduire ces droits par la violence sont les
représentants de l’État. Qui défend ses droits n’est pas violent.
Plus d’infos (en espagnol - Traductions bienvenues :
http://www.cnt.es/sevilla/movizar.html)