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Interview d’un vétéran de la CIA (27 ans de service)

Publie le mercredi 15 octobre 2003 par Open-Publishing

http://truthout.org/docs_03/062603B.shtml

Interview d’un vétéran de la CIA (27 ans de service)

par Will Pitt

Jeudi 26 juin 2003-10-11

Ray McGovern a été analyste au service de la CIA durant 27 ans, il a servi sept présidents des Etats-Unis. Il fait partie du Groupe de direction des vétérans des professionnels des renseignements en vue de la sauvegarde de la moralité. Il est codirecteur de la Servant Leadership School (école de cadres fonctionnaires), un ministère spécial de l’administration interne de Washington.

Pitt. Pourriez-vous me fournir quelques renseignements sur vous-même et votre boulot à la CIA ?

McG. J’étais étudiant de troisième cycle [déjà nanti d’un diplôme] en spécialisation sur la Russie lorsque je me suis intéressé à la CIA. J’étais très intrigué par le fait qu’il existait un lieu de centralisation pour empêcher ce qui s’était passé à Pearl Harbor de se produire à nouveau. J’avais été désigné pour l’armée américaine, de sorte que je devais y faire mes deux années de service, mais j’ai fini par me retrouver à Washington, DC. J’ai décroché un emploi à la CIA en 1963, et c’est ainsi qu’a débuté ma carrière.

En d’autres termes, on m’a dit que puisque j’ étais censé être un spécialiste en politique étrangère soviétique, chaque fois que je prendrais mon service, la matin, il y aurait dans mon casier « entrées » tout un éventail de matériel en provenance de sources accessibles à tous, de sources confidentielles, de photos, de documents interceptés, de rapports d’agents, de rapports diplomatiques, et bien d’autres encore. Tout serait là et tout ce que je devais faire, c’était de passer le tout au crible et d’en tirer quelque signification. Si je tombais sur une histoire suffisamment intéressante, je devais la consigner sur papier pour le président, le lendemain matin. Cela semblait trop beau pour être vrai, mais vous savez quoi ? Tout cela était bien réel et c’était vraiment un boulot passionnant.

Pitt. Sous quels présidents avez-vous servi ?

McG. J’ai commencé sous le président Kennedy et j’ai terminé avec le président Bush, le premier président Bush. En tout, ça fait sept présidents.

Pitt. Quelle était votre domaine de spécialisation au sein de la CIA ?

McG. J’étais analyste spécialisé dans la politique étrangère soviétique. A mes débuts, j’ai également travaillé sur les questions internes soviétiques mais, ensuite, j’ai eu plus de responsabilités et je suis devenu responsable pour bon nombre de différentes parties du monde. Durant les années 80, je fournissais des informations au vice-président, aux secrétaires d’Etat et à la Défense, à l’assistant du président pour les questions de sécurité nationale et au secrétaire générale des chefs d’état-major réunis. Je faisais cela chaque matin. Nous travaillions en équipes de deux, et chaque matin donné, en fonction des horaires, je touchais deux, voire trois de ces hauts fonctionnaires ou officiers supérieurs.

Pitt. Avec tout ce contexte qui est le vôtre, et au vu de toutes ces années que vous avez passées à la CIA, pouvez-vous me dire pourquoi vous vous exprimez aujourd’hui sur les questions de politique étrangère auxquelles ce pays est confronté aujourd’hui ?

McG. En fait, c’est très simple. Il y a une inscription gravée dans le marbre, à l’entrée de la CIA, qui dit ceci : « Vous chercherez la vérité, et cette vérité vous assurera la liberté. » Peu de gens se rendent compte que la fonction première de la CIA consiste à chercher la vérité sur ce qui se passe à l’étranger et à être en mesure de faire jaillir cette vérité sans crainte et sans partialité. En d’autres termes, la CIA, au mieux, est le seul endroit de Washington auquel un président peut s’adresser s’il veut une réponse fiable, sans fioritures, à l’une ou l’autre question politique délicate. Nous n’avions pas à défendre les politiques du département d’Etat, nous ne devions pas faire en sorte que les Soviétiques aient l’air d’être des géants de trois mètres de haut, comme le département de la Défense avait tendance à le faire. Nous pouvions dire les choses telles qu’elles étaient en réalité, et c’était très, très passionnant. Nous pouvions dire les choses telles qu’elles étaient et nous jouissions de toutes les protections professionnelles pour le faire. En d’autres termes, c’était notre boulot.

Si vous sortez de cette éthique, si vous sortez d’une situation où vous réalisez que les pressions politiques vont vous faire agir autrement - vous l’avez vu, vous y êtes allé, vous l’avez fait - et que vos collègues d’un échelon supérieur sont confrontés à ces mêmes pressions que vous avez vous-même subies, et qu’ensuite, vous regardez ce qui se passe aujourd’hui, c’est dérangeant à l’extrême. Vous vous demandez : « N’ai-je pas une sorte de devoir, en vertu de mon expérience et de ma connaissance de ces choses, n’ai-je pas une sorte de devoir de parler en dehors d’ici et de dire au reste des Américains ce qui se passe réellement ? »

Pitt. Avez-vous eu l’impression que le pouvoir de la CIA de « dire la vérité », la capacité de déballer des données sans crainte ni représailles ni risque de mutation, a été abrogé par la présente administration ?

McG. Ce pouvoir s’est effiloché, ou il s’est érodé, beaucoup, même. Une grande partie de tout cela a à voir avec la personne même qui occupe les fonctions de directeur. Durant la meilleure époque, sous Colby, par exemple, ou sous John McCone, nous avions des instructions très claires. Moi-même, un petit subalterne, à cette époque, je suis allé trouver Henry Kissinger et lui ai dit ce que nous, nous pensions à ce sujet. Je n’étais pas là pour me faire des amis mais, quoi qu’il en soit, mais je suis rentré en étant fier d’avoir fait mon boulot. Et cela, parce que Colby m’avait dit de le faire, et je travaillais directement pour lui. J’ai également travaillé directement pour George Bush senior et lui, je dois le porter à son crédit, a agi de la même manière. Il était très soucieux de se tenir en dehors des plaidoyers sur la politique, et il disait les choses telles qu’elles étaient.

Ainsi donc, à voir ce qui se passe aujourd’hui, et à voir George Tenet - qui a toutes les références les plus effrayantes du fait qu’il est membre du Congrès, références qui constituent une antithèse à la possibilité d’être un bon directeur de la CIA - assis derrière Colin Powell aux Nations unies, à le voir trahir les renseignements ou leur porter ombrage et faire semblant de rien quand ses analystes sont allés remuer de la merde pendant un an et demi pour essayer de dire les choses telles quelles, c’est très démoralisant et, en fait, cela ne peut que susciter la colère.

Pitt. Le 26 septembre 2001, George Bush, Jr, s’est rendu à la CIA, il a pris Tenet par l’épaule et lui a dit qu’il avait un « rapport » à présenter au peuple américain, que nous avions les meilleurs services de renseignements possibles grâce aux braves gens de la CIA. Nous en savons beaucoup plus, depuis lors, et si vous lisez les infos de ces jours-ci, vous aurez pour de bon le sentiment que l’administration Bush tente de rejeter le blâme, du fait qu’on n’a pas trouvé d’armes de destruction massive en Irak, de rejeter le blâme sur les épaules de la CIA. En outre, selon toutes les apparences, les collections de rapports, durant des mois, que l’administration a produits à propos des capacités d’armement de l’Irak ne se sont pas révélés exacts. Il s’avère, et pas un peu, qu’un processus de recherche de bouc émissaire a été enclenché, ici. Qu’est-ce que vous en pensez ?

McG. Il est intéressant que vous remontiez au 26 septembre, parce que ce fut une performance très importante de la part de notre président. Vous aviez ici une institution, la CIA, créée expressément pour empêcher un nouveau Pearl Harbor. C’est, à l’origine, la raison pour laquelle on a créé la CIA, en 1947. Harry Truman voulait à tout prix être sur que, si de très petites bribes d’information étaient répandues un peu partout au sein du gouvernement, toutes ces bribes puissent être réunies au sein d’une seule institution centrale de renseignements, un endroit où elles pourraient être rassemblées et analysées, et que cette analyse soit transmise ensuite au monde politique.

Ainsi, voici ce fameux 11 septembre, la première fois depuis Pearl Harbor, où ce système a échoué. Ce fut pire que Pearl Harbor. Il y a eu plus de tués le 11 septembre qu’il n’y en a eu à Pearl Harbor, et où étaient les informations ? Elles étaient disséminées un peu partout autour du gouvernement, de la même manière qu’elles l’étaient avant Pearl Harbor. Pour que George Bush se rende au grand quartier général de la CIA et pour qu’il passe le bras autour de l’épaule de George Tenet et qu’il dise au monde que nous avons les meilleurs services de renseignements au monde, cela requérait réellement une certaine analyse, si vous me permettez.
Mon analyse, c’est que George Bush n’a pas d’autre choix que de garder George Tenet comme directeur, parce que George Tenet a mis en garde George Bush à plusieurs reprises, des mois et des mois avant le 11 septembre, que quelque chose de très mauvais allait se produire.

Pitt. Il y a eu le briefing du 6 août 2001…

McG. Le 6 août, l’intitulé du briefing était « Bin Laden déterminé à frapper aux Etats-Unis » et l’un des mots clés de ce briefing était « détournement d’avion ». C’est tout ce que j’en sais, mais c’est largement suffisant. En septembre, Bush a dû prendre une décision. Est-ce possible de se séparer de Tenet, dont les services ont gaffé, à propos de la présente affaire ? Et la réponse était non, parce que Tenet en sait trop à propos de ce que Bush savait, et Bush ne savait pas quoi faire à ce sujet. Pour moi, voilà l’état actuel de la situation.
Bush était bien informé. Avant de descendre au Texas pour aller couper du petit bois comme Reagan le faisait en Californie, il avait été mis au courant de toutes ces choses. Il n’a même pas eu la présence d’esprit de rassembler son Conseil national de sécurité et de dire : « Ok, les gars, nous avons tous ces rapports, qu’est-ce que nous allons faire à ce sujet ? » Il s’en est tout juste allé couper du bois.

Pitt. Et pourquoi cela ? Il y a des gens en Amérique qui croient que ce genre de comportement était délibéré - l’administration avait été mise en garde à plusieurs reprises et on n’a rien fait à propos de ces avertissements. Pour beaucoup de gens, ça sent comme si ç’avait été une ligne de conduite délibérée. C’est l’actuelle champion du monde des super-lourds des théories de la conspiration…

McG. Ici, je suis plutôt partisan de l’interprétation charitable, et l’affaire se réduit à une histoire d’incompétence grossière. Ils ne savaient tout simplement pas que faire. Prenez les gens qui étaient en fonction, ici. Vous avez Condoleezzea Rice. Elle en connaît un sacré rayon sur l’Europe de l’Est et sur l’Union soviétique, mais elle n’a pas la moindre idée sur le terrorisme. Elle avait ce dossier sur le terrorisme que le directeur de la NSC sous Clinton, Sandy Berger, avait laissé, et, de son propre aveu, elle ne l’a pas consulté. « Il était toujours sur mon bureau lorsque le 11 septembre a eu lieu », a-t-elle dit. Ils n’ont pas pris ça au sérieux.

Maintenant, on peut probablement incriminer George Tenet de n’avoir pas été prudent en criant au loup. En d’autres termes, si vous criez au loup assez souvent et toujours de la même façon, vous ne rendez pas vraiment service au président. Vous devez réellement dire : « Monsieur le Président, vous savez, je vous ai prévenu à ce propos il y a deux mois, mais maintenant, l’affaire est vraiment sérieuse. » Vous devez l’attraper par la cravate et lui dire : « Il faut que nous fassions quelque chose, à ce sujet. » Tenet n’a pas agi de la sorte. Et ainsi, je n’attribue pas ça aux théories de la conspiration, mais à un manque d’expérience, une sorte d’arrogance qui dit : « Qui ira s’inquiéter de ce que pense Sandy Berger ? », et tout simplement à de l’incompétence grossière..
Maintenant, « incompétence grossière », ce n’est pas une chose agréable à dire sur le compte d’un président, mais il n’avait pas d’expérience du tout, dans ce domaine, et les gens dont il s’est entouré n’en avaient aucune non plus.

Pitt. Etant donné tout ceci - le briefing du 6 août, les autres avertissements en matière de terrorisme, la grosse accolade donnée à Tenet par Bush le 26 septembre, et le fait que Tenet a été laissé en poste parce qu’il en savait trop sur ce que l’administration Bush savait avant le 11 septembre - on a l’impression que Tenet a été relégué dans la situation d’un chien d’appartement. C’est une position effrayante à occuper, pour le directeur de la CIA…

McG. Ce ne serait pas la première fois, et je pense, à propos de Tenet, que le terme de « chien d’appartement », malheureusement, est celui qui convient. Par exemple, des analystes plutôt courageux de la CIA, ici, ont été soumis à des pressions terribles de la part du vice-secrétaire à la Défense, Wolfowitz, afin d’établir un contact ou une relation entre al-Qaïda et l’Irak. Ils ont résisté à ça depuis aussi longtemps que le 11 septembre, nous parce qu’ils n’étaient pas enclins à croire ça, mais simplement parce qu’il n’y avait aucune preuve de ça. A leur crédit, ils se sont tenus sur leurs positions, et ils ont été soutenus par Brent Scowcroft, entre autres, et toutes sortes de gens qui, très courageusement se sont exprimés et ont déclaré que ces preuves étaient « très légères ».
Maintenant, vous avez George Tenet, quand la pression commence à monter le 5 février, aux Nations unies, George Tenet est assis juste derrière Colin Powell, comme une plante dans un pot, comme pour dire que la CIA et tous ses analystes sont d’accord avec ce que Colin Powell va dire à propos des contacts entre al-Qaïda et l’Irak. C’a été très démoralisant pour tous mes collègues. C’est le genre de chose qui aura une influence très néfaste sur leur morale et leurs capacités à poursuivre le bon combat.

Pitt. L’inquiétude et le malaise sont-ils grands à la CIA, en ce moment ?

McG. Inquiétude, pas tellement, non, mais ce qu’il y a, c’est un gros malaise et pas mal de désarroi. Il y a un tas de gens qui sont très pointilleux, comme moi, à propos de l’honnêteté. Ce n’était pas quelque chose de rare, chez nous. Nous prenions ça au sérieux, et nous avions un gros avantage, naturellement. Nous pouvions dire les choses telles qu’elles étaient. Au point que l’esprit de corps existe réellement, et je sais qu’il existe réellement aussi parmi les personnes à qui nous nous adressons, il y a une grande, très grande agitation, là. Au cours des semaines à venir,nous allons voir des gens sortir de leur tanière et s’amener avec ce qu’ils savent, et ça va être très gênant pour l’administration Bush…

Pitt. Quel sont les dégâts de ce malaise, et cette incapacité de se dresser contre ceux qui ont mis cette atmosphère en place, quels dégâts cela va-t-il occasionner à notre capacité à défendre ce pays contre les véritables et réelles menaces auxquelles nous sommes confrontés ?

McG. De gros dégâts, voilà où en sont les choses. Ce dont vous avez besoin, ce sont des récompenses pour votre compétence et non pour être à même de renifler d’où vient le vent. Il vous faut récompenser les gens pour leurs bonnes performances et non pour le fait qu’ils sont politiquement corrects. Vous devez disposer de gens sérieux dans le ramassage et l’analyse de ce matériel. La façon dont l’analyse a eu lieu en vitesse et de façon relâchée, et ça remonte au printemps dernier, est tout bonnement incroyable. Cela demande que l’on vérifie à nouveau comment tout la mise en place de la sécurité nationale a été arrangée, il faut que les renseignements soient revalorisés et qu’on les traite avec le genre de respect et de considération qu’on leur doit.

Pitt. Restons-en là, sur ce plan. Dans la situation en ce qui concerne les armes chimiques, biologiques et nucléaires en Irak, où se situe la faute dans la manière dont toute cette affaire s’est écroulée ? Etait-ce une défaillance des renseignements de la part de la CIA, ou pouvons-nous dire que l’administration Bush a fait un mauvais usage à la fois de cette institution et des informations qu’elle fournissait ?

McG. Les deux, à vrai dire. Prenons le volet chimique et biologique, pour commencer. A la base de ceci, du moins, c’est comme cela que je reconstitue la chose, il y a ce que j’appelle « l’analyse par soustraction ». Prenons un exemple théorique : l’Irak a inscrit 50.000 litres de gaz irritant sarin en 1995. On sait que les Nations unies en ont détruit 35.000 litres. Par la suite, les bombardements en ont encore détruit 5.000 litres. Par conséquent, CQFD, l’Irak a toujours 10.000 litres de sarin.
Il n’est nullement tenu compte, ici, de la durée de conservation du sarin, de ce qui serait nécessaire pour garder le sarin actif, de l’endroit où il faudrait le stocker, de la façon dont il faudrait le stocker, de la température correcte de stockage, etc. Au lieu de ça, on dit : « Nous pensons qu’ils avaient ça et voici l’inventaire. Nous pensons avoir détruit ceci » ou « Nous savons que nous avons détruit ça, de sorte que ce qui reste, la différence, présumons-nous, se trouve là. »
On n’entame pas une guerre sur des présomptions, et avec la collection d’engins sophistiqués dont dispose l’appareil des renseignements américains, il est inconcevable de n’avoir pas vérifié cela de façon à pouvoir dire : « Oui, Monsieur, nous savons que c’est là, nous pouvons le confirmer de telle et telle façon ». Au lieu de cela, comme je l’ai dit, on a procédé à une analyse par soustraction. Nous avions l’inventaire ici, et nous savons que nous avons détruit cela, dont il doit leur rester ceci. Une analyse pareille, je ne réembaucherais pas l’analyste qui l’a faite s’il devait travailler pour moi. Ca, c’est pour ce qui concerne la partie biologique et chimique.
Pour être tout à faut complet sur la question, cela m’encourage de savoir que les analystes de la Defense Intelligence Agency (DIA) - qui partagent cette éthique consistant à tenter de dire la vérité, même s’ils subissent des pressions bien plus fortes et qu’ils jouissent d’une moindre protection de carrière parce qu’ils travaillent pour Rumsfeld -, à leur grand crédit, ont sorti en septembre de l’an dernier un mémorandum disant qu’il n’y a pas de preuve fiable permettant de suggérer que les Irakiens ont des armes biologiques et chimiques, ni qu’ils en produisent.

Pitt. Etait-ce avant, ou après que le vice-président Cheney a commencé ses visites personnelles à la CIA ?

McG. C’était en même temps. Toute cette affaire ne s’est pas écrite en une semaine. Ce fut durant tout le printemps et l’été que toute cette affaire a été rassemblée. Quand la décision a été prise, l’été dernier, que nous aurions une guerre contre l’Irak, ils travaillaient là-dessus. Vous vous rappellerez que le chef d’état-major de la Maison-Blanche, Andy Car, a dit que l’on ne commercialisait pas un nouveau produit en août. Le gros décollage, ç’a été le discours de Cheney à Nashville, je pense qu’il s’agissait de Nashville, de toute façon, ç’a été son discours du 26 août. Il a déclaré que l’Irak cherchait des matériaux pour son programme nucléaire. Ca a donné le ton qui convenait, juste au moment qu’il fallait.
Ils ont cherché autour de la Fête du Travail [le premier lundi de septembre, aux Etats-Unis, NdT] et ils ont dit : « OK, on va l’avoir, cette guerre, il faut absolument que nous persuadions le Congrès de voter la guerre. Comment allons-nous nous y prendre ? Eh bien, laissons faire la connexion al-Qaïda. C’est elle qui va causer le traumatisme. Le 11 septembre est resté quelque chose de traumatisant pour la plupart des Américains. Allons-y pour al-Qaïda. »

Mais alors, ils se sont dit : « Oh ! merde ! ces gens de la CIA ne mordront pas, ils disent qu’il n’y a pas de preuves, et nous ne pourrons les décider. Nous avons essayé par tous les moyens et ils ne se laisseront pas fléchir. Ils ne marcheront pas, parce que si nous essayons ça, le Congrès va avoir ces mauviettes de la CIA sur les bras et, le jour suivant, ils vont nous court-circuiter. Qu’en est-il de ces armes chimiques et biologiques ? Nous avons qu’ils n’ont pas d’armes nucléaires, mais qu’en est-il de ces saloperies chimiques et biologiques ? Eh bien ! merde ! Nous avons ces autres poules mouillées de la DIA, et, nom de Dieu ! il n’y aura pas moyen de les décider non plus. Ils disent qu’ils n’y a pas de preuve fiable de cela, si bien que si nous débarquons devant le Congrès avec cette histoire, le lendemain, ils vont faire venir les gars de la DIA, et les gars de la DIA vont nous court-circuiter aussi. »

Alors, ils se sont dit : « De quoi disposons-nous ? Nous avons ces tubes en aluminium ! » Les tubes en alu, vous vous en souviendrez, c’est quelque chose qui est sorti fin septembre, le 24. Les Britanniques et nous avons sorti ça en première page. C’étaient des tubes en aluminium qui, avait déclaré Condoleezza Rice dès que le rapport était sorti, n’étaient utilisables que pour des applications nucléaires. C’est de la quincaillerie dont ils avaient les dimensions. Ainsi donc, ils ont reçu ce rapport et les Britanniques ont joué le jeu, et nous aussi. C’est paru à la première page du New York Times. Condoleezza Rice a dit : « Ah !ah ! Ces tubes en alu ne conviennent que pour des centrifugeuses d’enrichissement de l’uranium. »
Après cela, ils ont refilé les tubes aux labos du département de l’Energie et à une personne, chacun de ces spécialistes du nucléaire et autres ingénieurs a déclaré : « Eh bien ! si les Irakiens pensent qu’il peuvent utiliser ces dimensions et ces spécifications de tubes d’alu pour mettre sur pied un programme nucléaire, qu’on les laisse faire ! Qu’on les laisse faire ! Ca ne marchera jamais et nous ne pouvons imaginer qu’ils sont aussi stupides. Ces tubes doivent être destinés à des missiles conventionnels. »

Et, naturellement, c’est à ça qu’ils devaient servir, et c’est ce que l’ONU a conclu aussi. Ainsi donc, après cette première incursion de Condoleezza Rice dans ce secteur scientifique, ils savaient qu’ils ne pouvaient faire coller cette histoire non plus. Et, dans ce cas, qu’est-ce qu’il leur restait ?
Eh bien ! quelqu’un a dit : « Et ces rapports du début de cette année qui disaient que l’Irak essayait d’obtenir de l’Uranium du Niger ? Ouais… c’était pas mal. » Mais, naturellement, si George Tenet avait été là, il aurait dit : « Mais nous avons cherché les preuves et ce sont des faux, ça pue jusqu’au ciel ! » Et ainsi donc, la question est devenue la suivante : « Combien de temps faudrait-il pour que quelqu’un se rende compte que c’étaient des faux ? » Un jour ou deux fut la réponse. La question suivante fut celle-ci : « Quand nous faudra-t-il montrer ça aux gens ? » La réponse fut que l’IAEA avait insisté auprès de nous depuis quelques mois pour que nous les leur remettions, mais nous pouvons probablement postposer la chose durant trois ou quatre autres mois.
Ainsi, voilà. « Où est le problème ? Nous allons prendre ces rapports, nous allons les utiliser pour tenir le Congrès au courant et pour faire surgir le spectre du nuage en forme de champignon. Vous vous rappellerez que le président avait dit, le 7 octobre : « Nos canons à fumée pourrait très bien cracher un nuage en forme de champignon. » Condoleezza Rice déclara exactement la même chose le lendemain. Victoria Clarke dit exactement la même chose le 9 octobre et, bien sûr, le vote eut lieu le 11 octobre.

Ce n’est pas moi qui le dit. Mais vous pouvez croire Henry Waxman sur parole. Waxman a adressé au président une lettre très, très amère datée du 17 mars et dans laquelle il dit : « Monsieur le Président, on m’a menti. On m’a menti. On m’a mis un faux sous les yeux et, sur la force de ce faux, j’ai voté pour la guerre. Dites-moi comment ce genre de chose a pu se produire ? » C’était le 17 mars. A l’heure qu’il est, il n’a toujours pas reçu de réponse de la Maison-Blanche.
C’est ainsi que l’histoire a fonctionné, et vous pouvez bien le croire. Ces gars sont vraiment malins. Ca a marché.

Pitt. Il y a un instant, nous parlions d’Andy Card et de la commercialisation des guerres en août et vous m’avez dit que la décision de faire la guerre contre l’Irak avait été prise au cours de l’été 2002. Le général Wesley Clark est apparu lors d’un talk-show du dimanche, avec Tim Russert, le 15 juin et, à la surprise générale, Clark a déclaré qu’il avait été appelé chez lui par la Maison-Blanche, le 11 septembre, et qu’on lui avait dit d’établir le rapport entre ces attentats terroristes et Saddam Hussein. On lui a dit de faire cela le jour même des attentats, de dire qu’il s’agissait de terrorisme sponsorisé par un Etat et qu’il devait y avoir un rapport. Qu’est-ce que vous faites, de cela ?

McG. C’est réellement fascinant. Si vous considérez ce qu’il a dit, il a dit ceci : « Sûr, que je vais le dire. Et où est la preuve ? » En d’autres termes, c’est un bon soldat. Il va le faire. Mais il voulait la preuve et il n’y avait justement pas de preuve. Clark était non seulement un bon soldat, mais un soldat de métier. Un soldat de métier, à son niveau, au moins, pose des questions. Quand il a découvert qu’il n’y avait pas de preuve, il n’a pas dit ce qu’ils voulaient lui faire dire.
Comparez ça à Colin Powell, qui, tout d’abord et avant toute chose, est un bon soldat. Mais quand il voit la preuve et qu’il sait qu’elle pue, il va saluer le président et le mettre de toute façon au parfum, comme il l’a fait le 5 février.

Pitt. Il existe un rapport récent de Reuters qui décrit Powell se faisant remettre par Scooter Libby et les gars de Rumsfeld un brouillon de ses déclarations à l’ONU du 5 février. Powell les a balancés à travers la pièce, selon Reuters, et a dit : « Je ne lis pas ça, ce sont des foutaises ! »

McG. Je puis très bien voir ça d’ici. Powell a été l’assistant militaire de Weinberger pendant quelques années et je voyais Weinberger un matin sur deux, durant ces années. Je pouvais voir Powell chaque fois que j’allais voir Weinberger et c’est ainsi que je passais un quart d’heure avec lui chaque un matin sur deux, juste histoire de le rassurer que je n’allais pas raconter à son patron quelque chose qu’il n’avait nullement besoin de savoir. Non seulement cela, mais nous provenons du même quartier du Bronx. Il avait un an de plus que moi. Il était ROTC et moi aussi. Il était à ROTC à City College et il est devenu colonel des cadets et chef des Pershing Rifles, une sorte de corps d’élite, là.

Je comprends Colin Powell. Je sais d’où il vient, je sais où il s’est forgé son identité et sa personnalité, et ce fut dans cette grande institution que nous appelons l’armée des Etats-Unis que, quoi qu’il en soit, je suis très fier d’avoir servi. Mais n’exagérons pas, et ce l’a été dans ce cas. Les gens attendaient de lui qu’il prenne une position de principe et qu’il démissionne. C’est une possibilité que je n’ai jamais envisagée pour Colin Powell parce qu’au contraire du général Clark, Powell est vraiment une créature issue de la façon dont il s’est forgé lui-même son identité dans tout ce système. Il n’est tout simplement pas capable, constitutionnellement, de ne pas assumer.

Pitt. Vous pensez que Powell était conscient que le dossier des renseignements britanniques qu’il a utilisé le 5 février devant l’ONU, celui qu’il a brandi et sur lequel il s’est généreusement répandu en éloges, n’était qu’un plagiat de ce qu’avait sorti un étudiant supérieur en écrivant sur l’Irak vers 1991 ?

McG. Non,, je pense qu’il n’en était pas conscient. Je vais vous raconter une petite histoire. Remontons au mois de janvier. Colin Powell avait invité tous les pays de l’Otan pour un colloque de façon à pouvoir les mettre au courant sur l’Irak et leur dire ce qu’il leur faudrait dire à leurs gouvernements respectifs. A l’issue de l’une des séances, il se trouvait dans le couloir et l’un des ambassadeurs lui avait demandé à quoi ressemblaient les preuves sur l’Irak. Powell dit qu’il n’en savait rien, il ne les avait pas encore vues. C’était en janvier.

Il n’est guère étonnant que Powell, maintenant, se targue d’avoir dû passer quatre jours au début février - juste avant son discours du 5 à l’ONU - au quartier général de la CIA pour plancher sur les preuves,, analyser et choisir ce qu’il devrait dire le 5. Je ne puis que croire qu’il avait un sacré tas de choses à faire - le Moyen-Orient et d’autres problèmes encore - et que les briefings quotidiens étaient si clairsemés qu’il n’avait pas réellement beaucoup d’idée à propos de ce qu’étaient ces preuves qui étayaient cette affaire d’armes de destruction massive et tout le tremblement. Il me semble plus crédible, à moi, du moins, qu’il a démarré pour ainsi dire avec une table rase, ce 1er février, puis qu’il s’est rendu au quartier général de la CIA pour dire : « Ok, qu’est-ce que nous avons ? » Et la première chose qu’on lui a donnée, ç’a été la premier brouillon de Scooter Libby, et vous avez déjà mentionné sa réaction à ce propos…

Pitt. Ainsi, ce que nous avons, essentiellement, se trouve dans le conditionnement de la guerre que le secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique remplissait consciencieusement en vue d’un examen majeur, à la façon d’un bleu dans une école supérieure.

McG. Oui. Et la plupart des preuves devaient être fournies par le bureau du vice-président, en la personne de Scooter Libby, ainsi que du secrétaire à la Défense, Rumsfeld, en même temps que Wolfowitz. C’est assez curieux, mais une remarque tout aussi importante que je voudrais formuler est celle-ci : j’ai travaillé ici, à des niveaux supérieurs, durant 27 ans. Jamais au grand jamais, mais pas une seule fois, le vice-président des Etats-Unis, le secrétaire d’Etat ou le conseiller en matière de sécurité nationale ne se sont pointés à la CIA pour une visite de travail. Le vice-président Bush s’est pointé plusieurs fois pour distribuer des récompenses - après tout, il avait été le directeur de la CIA, avant cela - mais jamais pour une visite de travail.

C’est nous qui allions là. Je faisais partie de cette équipe de briefing. Je me rendais là un matin sur deux, et s’ils voulaient plus de détails, j’amenais des gens avec moi, des gens dont je savais qu’ils étaient des experts. Nous allions chez eux. Nous faisions notre travail interne tout seuls, merci beaucoup. Nous étions vraiment bien en mesure de comprendre quelles étaient les préoccupations, au cours de ces briefings matinaux et, parfois, nous avions des demandes concrètes ou des papiers qui devaient être exécutées pour le briefing suivant. Nous avions vraiment une excellente fenêtre sur ce qui préoccupait le plus les esprits des décideurs politiques, mais nous ramenions tout cela au quartier général de la CIA et nous disions : « OK, maintenant, nous savons ce qui les intéresse. On a quoi, nous ? » Et nous nous débrouillions tout seuls. Nous analysions tout ce qui pouvait en ressortir. Nous dégrossissions le tout, le soumettions à nos superviseurs et nous ramenions la marchandise la fois d’après.

La perspective de voir le secrétaire d’Etat et Condoleezza Rice et Cheney se réunir au quartier général de la CIA, s’asseoir autour d’une table et contribuer à l’analyse… vous voulez rire ? Vous n’avez pas de décideurs politiques autour de la table quand vous faites des analyses. C’est l’antithèse de toute l’éthique de l’analyse. Vous êtes en divorce avec la politique dès que vous procédez à votre analyse et quand vous en avez terminé, vous la leur servez et ils en font ce que bon leur semble. Une chose est certaine, c’est que c’est un autre volet du jeu. Mais quand on leur refile cette analyse, ils la reçoivent sous une forme vierge, non expurgée, et c’était un travail passionnant, très important. C’était le seul endroit en ville, dans le royaume des Affaires étrangères, qui pouvait faire ce travail, et qui le faisait.

Pitt. Comment voyez-vous toute cette question autour de la manière dont la guerre a été vendue au peuple américain ?

McG. Le scandale le plus important et le plus net, naturellement, a trait à la fabrication des faux que constituent ces documents nucléaires nigériens que l’on a utilisés comme preuves. Ce calcul d’une grande froideur tablait sur le fait qu’on pouvait tromper le Congrès, nous pouvions l’avoir, notre guerre, nous pouvions la gagner et alors, plus personne ne se soucierait de ce qu’une partie des preuves de soutien à la guerre avaient été fabriquées de toutes pièces. Cela peut toujours s’avérer être le cas, mais la chose la plus encourageante que j’ai vue ces quatre dernières semaines, c’est qu’on dirait que la presse américaine s’est extraite de sa torpeur et qu’elle s’intéresse à l’affaire. J’ai demandé à des gens de la presse comment ils expliquent leur manque d’intérêt avant la guerre, et pourquoi, aujourd’hui, ils semblent être intéressés. Je présume que la réponse est bien simple : la presse n’aime pas qu’on lui mente.

Je pense que la différence réelle, c’est que personne ou, du moins, très peu de monde ne savait, avant la guerre qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive en Irak. Maintenant, on le sait. C’est un fait inévitable Personne n’aime être floué, personne n’aime qu’on lui mente, et personne n’aime en particulier que 190 militaires américains, hommes et femmes, aient été tués dans cet effort, sans parler des cinq ou six mille civils irakiens qui ont subi le même sort.
Il y a une différence de ton. Si la presse ne succombe pas à l’argument avancé par des gens comme Tom Friedman, qui dit qu’il importe peu qu’il n’y avait pas d’armes en Irak, si l’affaire se mue en bourbier, et je crois que c’est bien parti, et que quelques-uns de nos militaires se font tuer chaque semaine, alors, il existe une grande possibilité de voir le peuple américain se réveiller et dire : « Dites-moi encore pourquoi mon fils a été tué ? Pourquoi fallait-il que nous fassions cette guerre en Irak ? »
Ainsi donc, je pense qu’il existe quelque espoir aujourd’hui que la vérité éclate au grand jour. Mais elle ne sortira pas par le biais des Commissions du Congrès. C’est vraiment une plaisanterie. Une mauvaise farce.

Pitt. Du temps de l’administration Clinton, si une enquête avait dû avoir lieu au sujet de quelque affaire, elle aurait émané de la Chambre des Représentants. Quelle serait votre évaluation de la situation, sur ce point ?

McG. Cela ne requiert pas un analyse de première bourre. Prenez Pat Roberts, le sénateur républicain du Kansas, qui est président de la Commission sénatoriale sur les Renseignements. Quand le faux du Niger a été déterré et que Colin Powell l’a admis, eh bien, oui ! c’est un faux, le sénateur Rockefellar, le démocrate siégeant dans cette commission, est allé trouver Pat Roberts et lui a dit qu’ils avaient vraiment besoin que le FBI jette un œil là-dessus. Après tout, on savait que c’était un faux et on s’en était servi pour tromper les gens du Congrès et les Sénateurs. Nous ferions mieux de faire intervenir le Bureau [le FBI - Federal Bureau of Investigation]. Pat Roberts refusa, cela ne serait pas indiqué. Ainsi, Rockefellar rédigea sa propre lettre et retourna auprès de Roberts et déclara qu’il allait l’envoyer à Mueller, le directeur du FBI, et il demanda si Roberts allait y apposer sa signature. Roberts dit non, que cela était inapproprié.

Ce que reçut finalement le directeur du FBI, ce fut une lettre d’un membre minoritaire disant plus ou moins : « S’il vous plaît, vous pourriez peut-être jeter un coup d’œil sur ce qui s’est passé ici, parce que nous pensons qu’il pourrait peut-être bien y avoir de la magouille. La réponse qu’il reçut du Bureau fut une fin de non-recevoir pure et simple. Pourquoi est-ce que je mentionne tout ceci ? C’est le même Pat Roberts qui va diriger l’enquête sur ce qui s’est passé dans la présente affaire.
On pourrait dire beaucoup de choses, à propos de Pat Roberts. Je me souviens de l’automne dernier, quand les gens étaient mis au courant, quand la CIA et d’autres informaient les gens du Congrès et les sénateurs à propos des armes de destruction massive. Ces gars de la presse faisaient le pied de grue en dehors de la salle de briefing et, quand les sénateurs étaient sortis, l’un des journalistes avait demandé au sénateur comment était la preuve de la présence d’armes de destruction massive. Roberts avait répondu, oh, elle était très convaincante, très, très convaincante.
Le gars de la presse avait demandé à Roberts de lui en dire plus à ce propos. Roberts lui dit : « On a observé un camion A qui se rendait sous le hangar B, où on pense que le processus C a eu lieu. » Le type de la presse lui a demandé s’il estimait que c’était convaincant, et Pat Roberts a répondu : « Oh ! ces gars des renseignements, ils maîtrisent tellement bien ces techniques, de sorte que, oui, oui, c’est très convaincant. »’ Et le correspondant n’a plus eu qu’à dire « merci, sénateur ».

Ainsi, vous avez un sénateur qui est très enclin à gober ce genre de renseignement, vous avez quelqu’un qui veut obéir aux ordres de l’administration. Du côté de la Chambre, naturellement, vous avez Porter Goss, qui est un ancien de la CIA. La principale contribution de Porter Goss, l’an dernier, au comité mixte qui enquêtait sur le 11 septembre a été de renseigner le FBI sur les membres de cette commission, et sous la direction de qui ? De Dick Cheney. Goss lui-même l’admet. Il avait reçu un appel de Dick Cheney et il avait été « chagriné » (c’est le terme utilisé par Goss) d’avoir été réprimandé par Dick Cheney pour des fuites émanant de la commission. Il avait ensuite persuadé l’innocent Bob Graham de se rendre avec lui au FBI et de demander au Bureau d’enquêter sur les membres de cette commission. On avait utilisé des détecteurs de mensonge et tout le saint-frusquin, dans cette affaire. C’était la première fois que quelque chose de ce genre se produisait.

Vous devez savoir, naturellement, que le Congrès a ses propres institutions d’enquête, ses propres méthodes d’investigation dans des histoires comme celle-là. Ainsi donc, sans la moindre considération pour la séparation des pouvoirs, voici Goss qui se dit : « Cheney fonce sur moi, on va donc faire entrer le FBI dans la bergerie. » Dans le présent cas, et c’est assez comique, le FBI intervint exactement au moment où Ashcroft commençait à se demander quand il allait le faire. Il ne ramena pas grand-chose de son enquête mais il s’agissait quand même d’un précédent terrible.
Tout ce que je dis ici, c’est que vous avez Porter Goss du côté de la Chambre des Représentants et que vous avez Pat Roberts du côté du Sénat, vous avez John Warner qui n fait qu’un avec Pat Roberts. Ca me déplaît beaucoup de ne pas laisser planer la moindre équivoque mais, dans ce cas, je puis dire que rien ne sortira de ces auditions si ce n’est un gros tas de fumée.

Pitt. Dans ce cas, quelle est l’alternative ?

McG. L’alternative serait d’instaurer une commission judiciaire indépendante, telle que celle qu’un tas de Britanniques réclament actuellement à Londres. Vous prenez une personne qui n’est inféodée à George Bush ou aux démocrates, quelqu’un d’universellement respecté, et vous lui laissez choisir les membres de la commission et vous lui donnez accès à ce matériel. Pas un accès limité, comme celui auquel a eu droit la Commission du Congrès sur le 11 septembre. Vous lui donnez absolument tout, et vous leur faites raconter leur histoire. Cela prendrait un bout de temps, mais ils se pointeraient avec une perspective bien meilleure d’un jugement équitable sur ce qui s’est réellement produit.

Pitt. Ce n’est pas près de se produire, à moins que l’administration ne soit soumis à des pressions assez importantes émanant d’en dehors du Congrès…

McG. Je ne pense pas qu’on verra cela du tout, et sûrement pas avant 2004.

Pitt. Lorsque vous étiez à la CIA en tant qu’analyste de la politique étrangère soviétique, vous étiez directement impliqué dans l’analyse des questions politiques soviétiques dans la préparation et pendant toute la durée de la guerre soviétique en Afghanistan ?

McG. Oui.

Pitt. A quel point entriez-vous dans les détails ?

McG. Oh ! Très loin. A l’époque, mes responsabilités s’étaient accrues et je restais très intéressé, et très à la hauteur également, par ce qui se passait là-bas.

Pitt. Pourriez-vous parler de la façon dont l’implication de l’Amérique dans la guerre soviétique en Afghanistan a débouché sur les événements du 11 septembre ? Il existe plusieurs connexions très claires, directes - à commencer par le « Le piège afghan » de Brzezynski, en 1978 - entre les deux événements, n’est-ce pas ? De votre point de vue, comment cela s’est-il développé ?

McG. Le paquet a été mis par un gars appelé William Casey, qui était patron de la CIA sous Reagan. Il voyait cela comme une petite guerre qu’il pouvait mener et gagner et il avait un tas de soutien de la part de personnes de la Colline [du Capitole]. Ce qu’ils faisaient, c’était armer et recruter des gens comme Osama bin Laden et d’autres. L’une des grandes décisions qu’ils ont dû prendre était de les équiper ou pas de missiles Stinger. Je me souviens de l’époque où cela faisait l’objet de discussions. On a fortement insisté sur les dangers de refiler des missiles Stinger à des gens aussi incontrôlables, mais on prit la décision d’aller de l’avant et de leur donner quand même ces missiles. A bien des égards, les gens que nous utilisions comme nos mandataires dans cette guerre contre les Soviétiques se sont retournés pour nous mordre, et pour nous mordre très fort, comme nous l’avons vu le 11 septembre.

Pitt. L’invasion s’est produite en 1979 parce que les Soviétiques étaient embêtés à propos de leur régime fantoche en Afghanistan. C’est devenu une grande cause musulmane que de défendre l’Afghanistan contre les envahisseurs sans dieu. Osama bin Laden est devenu un héros en finançant ce combat et en combattant aux côtés des autres. Quand la guerre s’est terminée en 1989, quand les Soviétiques se sont retirés la queue entre les jambes, l’Afghanistan a été laissé comme un pays complètement éclaté et détruit. Etant donné le fait que nous avons à la base précipité le début de la guerre en armant et en entraînant ces combattants moudjahidine à lutter contre le gouvernement afghan en 1978 et 1979, pourquoi a-t-on pris la décision en 1989 de laisser l’Afghanistan dans un tel état de désolation ? Le chaos laissé dans le sillage de cette guerre a mené à la montée des Taliban. Pourquoi n’avons-nous pas contribué à nettoyer le terrible gâchis que nous avions contribué à provoquer ?

McG. Je déteste me montrer cynique à propos de ces choses, mais une fois que nous avons obtenu que les Soviétiques s’en aillent, notre raison d’être là s’est fondamentalement évaporée. Vous pouvez vous inquiéter à propos de la pauvreté des gens et du pays. Eh bien, nous traînons derrière nous tout un passé au cours duquel nous avons commis ce genre de choses, en nous servant des gens. Les Kurdes sont un exemple. Nous les utilisons et nous les trahissons et nous ne nous en soucions guère une fois que notre petit objectif géopolitique a été atteint. C’est ce qui était en jeu ici. Personne ne s’en soucie. Nous avons eu une brillante victoire, nous avons réussi à avoir les Soviétiques hors de l’endroit, nous avons commencé à bomber le torse et personne ne s’est vraiment soucié d’aider les pauvres Afghans laissés dans le pétrin.
En outre, ces sales types étaient nos bons amis. Osama bin Laden et tous ces types que nous avons armés et entraînés et quand vous en arrivez à ce point - et c’est un problème systémique avec la CIA - quand vous en arrivez à un point tel que vous vous retrouvez au lit avec ces gars, vous ne pouvez pas reculer et dire : « Ho ! Attendez une seconde. Ces types pourraient constituer un réel danger, dans le futur. » Vous ne pouvez faire une analyse calculée, dépourvue de passion de ce qu’il pourrait y avoir en magasin, pour ces gars-là. C’était une situation minable, politiquement et stratégiquement parlant, et, au vu de la tournure des événements, c’était une situation tout aussi minable sur le plan de l’analyse.

Pitt. Ce dont nous sommes en train de parler, ce sont d’actions et de leurs conséquences. A l’époque, on ne s’est plus guère inquiété de l’Afghanistan après que nous eussions réalisé nos objectifs dans ce pays, et la situation là-bas allait s’envenimer, et le 11 septembre est devenu l’inévitable conséquence de tout cela.

McG. Exact.

Pitt. Etes-vous conscient de la situation qui entoure John O’Neill ? Il était l’un des directeurs adjoints du FBI et le responsable de la chasse à bin Laden. Il est le premier à avoir enquêté sur l’attentat contre les tours jumelles, il a enquêté sur l’attentat contre les tours de Khobar, il a enquêté sur les attentats contre nos ambassades en Afrique, de même que sur l’attentat perpétré contre l’USS Cole. C’était le gars, au gouvernement, qui savait tout sur bin Laden et il a quitté le FBI trois semaines avant le 11 septembre, en guise de protestation. Il est parti en disant qu’il n’avait pas eu l’autorisation d’enquêter sur les connexions terroristes avec l’Arabie saoudite, parce que de telles investigations menaçaient les intérêts pétroliers que nous avons avec cette nation. O’Neill est parti, a été engagé comme chef de la sécurité au World Trade Center, et il est mort le 11 septembre en accomplissant son devoir. Le fait d’avoir été contrecarré dans ses investigations sur le terrorisme a manifesté laissé un vide dans nos possibilités de renseignements en ce qui concerne ces menaces - le type qui en savait le plus sur la question n’a pas eu l’autorisation d’examiner ces connexions avec toute la profondeur que la chose réclamait.

McG. Je suis bien conscient de tout cela. Il y a d’autres personnes du FBI qui ont mentionné le même problème. Il y a un agent de Chicago, du nom de Robert Wright, qui s’est exprimé sur le fait d’avoir été bloqué dans ses tentatives d’enquête sur ces questions. Il suffit de lire le bouquin sur les labos du FBI écrit par Warren et Kelley. La corruption et le mensonge qui continuent à régner là et la mentalité du quartier général, à propos de laquelle vous pouvez être totalement incompétent tout en recevant des récompenses présidentielles - c’est ce qui s’est produit avec le gars qui a rembarré les demandes d’action du Bureau de Minneapolis contre Moussaoui - il y a quelque chose de sournoisement malsain, là-bas. Le problème, c’est que si vous demandez à Pat Roberts ou à la Commission judiciaire d’intervenir à ce propos, eh bien, je vous souhaite bonne chance…

Pitt. Y a-t-il autre chose dont vous aimeriez toucher un mot avant que nous n’en terminions ?

McG. Ma première attention va à la falsification concernant les documents du Niger qui étaient censés prouver que l’Irak développait un programme nucléaire. Il me semble qu’on put avoir des discussions interminables à propos de l’interprétation correcte de tel ou tel élément de renseignement, ou d’une analyse de renseignements, mais un faux est et reste un faux. Il est facile de prouver que de hauts personnages de ce gouvernement, y compris le vice-président, savaient qu’il s’agissait d’un faux en mars de l’an dernier. On s’en est de toute façon servi pour mentir à nos gens du Congrès et à nos sénateurs afin qu’ils votent pour une guerre qui n’avait pas été provoquée. Il me semble qu’il s’agit de quelque chose devant être porté à la connaissance de tout le monde et qu’il faut mettre en exergue afin que tout le monde le sache. Si un public informé et, par extension, un Congrès informé, constitue le fondement même de la démocratie, dans ce cas, ce fondement a subi une fissure qu’il convient de réparer instamment.

J’ai fait pas mal de recherches, ici, et l’une des conclusions que j’ai tirées, c’est que le vice-président Cheney n’était pas seulement intéressé à « venir en aide » à l’analyse, disons, que la CIA tirait de la question irakienne. Il était également intéressé dans la constitution d’indices qu’il allait pouvoir utilisé comme preuves de ce que - je le cite - « les Irakiens avaient reconstitué leur programme nucléaire », alors qu’on a prouvé à suffisance que ce n’était pas du tout le cas.
Ce que je veux dire, c’est qu’il est nécessaire qu’on enquête là-dessus. Nous savons que c’est Dick Cheney qui a envoyé l’ancien ambassadeur américain pour enquêter au Niger. Nous savons qu’on lui a dit, en mars de l’an dernier, que les documents étaient des faux. Et pourtant, ce sont ces mêmes documents ont été utilisés dans cette histoire. Voilà quelque chose qu’il faut à tout prix dévoiler. Nous devons vérifier pourquoi le vice-président a permis que cela se produise. Le fait d’avoir des journalistes de renommée mondiale, comme walter Pincus, qui citent des hauts fonctionnaires de l’administration prétendant que le vice-président Cheney n’a pas été tenu au courant par la CIA des découvertes de cet ancien ambassadeur américain tire sur la ficelle de la crédulité bien au-delà du point de rupture. C’est Cheney qui a ordonné ce voyage et, quand le gars est revenu, il lui a dit : « Ne me dites rien je ne veux pas savoir ce qui s’est passé. » C’est tout bonnement ridicule !

Cheney savait, et Cheney avait une sacrée avance sur tout le monde, à commencer par le 26 août, quand il avait parlé de l’Irak qui cherchait des armes nucléaires. Aussi récemment que le 16 mars, c’est-à-dire trois jours avant la guerre, il ressortait encore la même chose. Cette fois, il dit que l’Irak avait reconstitué son programme d’arment nucléaire. Ce n’était pas vrai. Et c’était prouvé. On n’a rien trouvé sur ce plan en Irak Comme l’ancien président Bush l’avait dit à propos de l’invasion du Koweït, cela ne tient pas debout.
Autre chose que j’aimerais de faire remarquer, c’est l’anomalie qui réside dans le fait que le président Bush a succédé à Saddam Hussein dans le rôle consistant à empêcher les inspecteurs des Nations unies de venir en Irak. On ne lui a même jamais demandé pourquoi.
Il n’y a aucune raison concevable expliquant pourquoi les Etats-Unis d’Amérique ne devraient pas demander à Hans Blix et au reste de son équipe d’y aller directement. Ils disposent de l’expertise, ils ont été là-bas, ils ont fait ce genre de boulot. Ils ont à leur disposition des millions de dollars par le biais de l’ONU. Ils ont des gens qui connaissent les armements, qui savent comment on se les procure, comment on les fabrique. Ils connaissent personnellement les scientifiques, ils les ont déjà interviewés auparavant. Quelle raison possible les Etats-Unis d’Amérique pourraient-ils avoir de dire non merci, nous allons utiliser nos propres GI pour faire ce boulot. Ne vous mêlez pas de ça. Nous devons régler cette affaire. Pour l’ONU qui attendait avec ses inspecteurs prêts à partir, il fallait une bonne raison pour que les Etats-Unis ne les laissent pas retourner sur place.

L’interprétation la plus sinistre, c’est que les Etats-Unis veulent être en mesure d’installer des armes de destruction massive eux-mêmes en Irak. Maintenant, la plupart des gens vont dire : « Allons, McGovern, comment tu vas faire pour faire entrer un Scud là-bas sans que personne ne s’en aperçoive ? ». Il n’y a pas besoin d’un Scud. Ce peut être le genre de petite ampoule que Colin Powell a exhibé le 5 février. Vous mettez deux ou trois histoires de ce genre dans la poche d’un GI, vous lui faites jurer le secret et vous lui dites d’enterrer la chose dans le désert. Vous la découvrez dix jours plus tard et le président Bush, avec le maximum de crédibilité qu’il pourrait afficher dans ce genre d’annonce, viendrait dire : « Hé ! Nous avons trouvé des armes de destruction massive ! »
Je pense que c’est une possibilité, une possibilité réelle. Je pense, puisqu’il s’agit d’une vraie possibilité, que l’air penaud des démocrates à ce sujet, leur répugnance à remuer une patte et à dire qu’il n’y a pas d’armes de destruction massive en Irak, peut être davantage explicable. Mais ils devraient se pointer, de toute façon.

Pitt. J’ai entendu dire qu’il était difficile de fabriquer des armes de ce type selon les méthodes irakiennes, parce que les armes chimiques et biologiques irakiennes ont une signature particulière, des le départ, qu’il est particulièrement malaisé de reproduire.

McG. De même, il était très difficile de réaliser les faux. On a commis des négligences, ici. Quand on a interrogé Colin Powell à ce propos, il a répondu : « Nous disposons de ces informations. Si elles sont inexactes, très bien. » Comme je l’ai dit plus tôt, lui et moi venons du même endroit du Bronx. Il a suivi l’école de charme de l’armée, moi pas. Ce genre de ton, ce genre d’attitude a toujours été accompagné d’un geste obscène et d’un mot de quatre lettres, là, dans l’endroit d’où je viens. Mais c’est l’attitude qu’il a adoptée.
S’ils peuvent adopter ce genre d’attitude avec un faux, ils peuvent adopter le même genre d’attitude dans ce qui nous concerne, ici. « Croyez ce que vous voulez », vont-ils dire. « Vous pouvez croire Hans Blix et Saddam Hussein, ou vous pouvez nous croire. Nous dirons que nous avons trouvé ces choses sur place, là-bas. »

Il y a quatre mois, j’aurais dit : « McGovern, tu es parano de dire des choses de ce genre. » Mais, à la lumière de tout ce qui s’est produit, et à la lumière des terribles enjeux que cela implique pour le président ici - chaque fois qu’il dit que nous allons trouver ces choses, il s’enfonce lui-même un peu plus chaque fois -, je pense qu’il est très possible qu’ils vont recourir à ce genre de chose.

William Rivers Pitt ( william.pitt@mail.truthout.org ), du NY Times, est l’auteur de deux best-sellers : « War on Irak » (La guerre en Irak), en vente chez Context Books, et « The Greatest Sedition is Silence » (La pire sédition est le silence), disponible actuellement chez Pluto Press, sur le site www.SilenceIsSedition.com