Accueil > Israël-Palestine : Le vieil homme et le sang
Israël-Palestine : Le vieil homme et le sang
Publie le samedi 17 juin 2006 par Open-Publishing2 commentaires
Ce 13 juin, l’armée israélienne a repris ses attaques au moment où des violences entre partisans du Fatah du président palestinien et le Hamas au gouvernement laissent craindre que le bras de fer politique ne vire à l’affrontement armé dans les Territoires. Ilan Shalif, lui, à 70 ans, continue à lutter pacifiquement à Bil’in avec les Anarchistes contre le Mur. Si un vieillard peut le faire, d’autres le peuvent.
Ce mardi 13 juin, l’armée israélienne a frappé en plein coeur de Gaza. Ces frappes, qui visaient un véhicule transportant des militants palestiniens qui aillaient tirer des roquettes sur le sud d’Israël, ont manqué leur cible. Huit civils ont été tués. Une nouvelle fois, ce sont des innoncents qui paient de leur vie la guerre que les nationalistes de tout bord se livrent sans merci.
Ces frappes israéliennes accentuent l’impression de chaos dans les Territoires, où s’affrontent les fidèles du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et les militants du Hamas, à la tête du gouvernement. Ces violences surviennent sur fond de querelle politique entre M. Abbbas et le Hamas, farouchement opposé au référendum que le dirigeant palestinien a convoqué pour le 26 juillet.
L’Etat engendre la violence, soit qu’il cherche à imposer son pouvoir vers l’extérieur soit qu’il tente de le contrôler en son sein. Plus que jamais : deux Etats, ce sont deux Etats de trop.
Le vieil homme et le sang
Cet article de Liat Shlezinger a été publié le 28 mai 2006 dans le journal "Maariv", l’un des deux principaux quotidiens israéliens, dans le cadre d’une manifestation à Bil’in, l’une de la soixantaine que les Anarchistes contre le Mur organisent chaque vendredi depuis près de 16 mois.
Manifester contre le Mur
Ilan Shalif a déjà 70 ans mais cela ne l’empêche pas de se rendre chaque vendredi à la manifestation contre le Mur de séparation à Bil’in et de s’opposer aux soldats israéliens.
"Armé" seulement d’une bouteille d’eau, Ilan Shalif est en route vers une autre bataille contre le barrière de séparation. Chaque vendredi, depuis un an et demi, comme une montre dont la batterie ne s’épuise jamais, il fait la route de Tel-Aviv au village palestinien de Bil’in. Il n’a pas manqué une seule manifestation. Sauf, lorsqu’on lui a interdit de se rendre à Bil’in, après avoir été libéré par la police, et quand il a eu une opération à coeur ouvert. Mais, une semaine plus tard il était de nouveau avec les jeunes anarchistes israéliens contre le mur et esquivait les balles en caoutchouc, qui sifflaient.
Dans le village de Bil’in, où les manifestations les plus violentes de la gauche ont eu récemment lieu, les gens sont "fous" de lui. Ils l’appellent "grand-papa". Tandis que d’autres de son âge préfèrent passer leur temps avec leurs petits-enfants, Shalif, à 70 ans, préfère passer ses vendredi en compagnie des grenades de choc et des gaz lacrymogènes.
Chaque manifestation à Bil’in commence par une longue marche accompagnée par le chant des villageois et des manifestants, qui agitent des drapeaux tout le trajet jusqu’au point de confrontation avec les soldats présents à la barrière qui sépare les terres du village et le secteur de Modi’in Illit, la colonie construite sur les terres de Bil’in et d’autre villages palestiniens voisins palestiniens. Shalif marche rapidement sous le soleil chaud et se trouve à la tête de la manifestation. Quand la confrontation entre les manifestations et les soldats commence, il s’assied sur une des grandes pierres et regarde autour de lui. Du temps en temps, il essuie son front et et nettoie ses lunettes.
Son fils Gal (42 ans) est assis juste derrière lui. Il pose une main ferme sur son épaule à chaque fois qu’il veut rejoindre les manifestants en train de s’opposer aux soldats. "Papa, assieds-toi", lui dit-il d’une voix autoritaire. "Papa, ça suffit. Pas cette fois. Ce n’est plus pour toi. Papa, ça n’ira pas de cette manière." Il s’inquiète pour son père. Chaque vendredi, Gal sert de chauffeur à Ilan jusqu’à Bil’in, puis jusqu’à Tel-Aviv. Mais surtout, Gal se définit comme "la garde personnelle" de son père.
"Je connais mon père... Si je ne vais pas avec lui, il fera quelque chose stupide et sera blessé. C’est une personnes d’un certain âge mais qui se comporte souvent comme un enfant", dit-il en souriant. Ilan est fragile du coeur depuis son opération quelques semaines plus tôt. Gal a accepté de l’accompagner aux manifestations contre la promesse de rester prudent.
C’est la fin de la deuxième semaine de mai, et dans quelques temps Shalif, père de deux enfants et docteur en psychologie, devrat subir une opération compliquée et dangereuse de l’abdomen en Allemagne. Il en reviendra trois semaines plus tard, il s’en remet toujours. "Bien entendu, il est censé se reposer maintenant", expique Gal, "Mais il est réellement beaucoup plus détendu ici ! S’il était à la maison, il serait tellement plus stressé, et, de toute façon, personne peut lui dire ce qu’il doit faire".

La manifestation devient plus violente, même en comparaison avec celles de ces dernières semaines. Trois manifestants sont conduits vers l’hôpital. Gal semble inquiet. "Bientôt, on ouvrira mon père pour une opération", dit-il. "Je n’ai pas l’intention de le laisser ouvrir ici, avec des bâtons".
En dépit de la difficulté d’être le garde du corps d’un rebelle de 70 ans, il le regarde avec grande fierté. "Je ne serais pas ici si je n’avais pas dû le protéger. Je n’ai pas le courage de me battre pour les choses auxquelles je crois, mais lui bien. C’est pourquoi je l’admire".
" Wow, respect ! "
Le village de Bil’in est situé à l’est de la colonie de Modi’in Illit. Les manifestations qui ont eu lieu là chaque vendredi depuis un an et demi font partie de la lutte des habitants du village palestinien contre la barrière de séparation qui menace de les priver d’environ 60% de leurs terres cultivables. Sur ces terres, les villageois cultivent des oliviers, et c’est précisément là que les nouveaux quartiers résidentiels de la colonie de Modi’in Illit doivent être construits. Dix jours plus tôt, les citoyens de Bil’in ont même demandé à la Cour suprême de Justice israélienne d’empêcher la confiscation des terres. Les manifestations de Bil’in voient également la participation d’activistes israéliens de gauche, beaucoup d’extrême gauche comme les "Anarchistes contre le mur", qui viennent du centre d’Israel et manifestent côte à côte avec les Palestiniens.
La manifestation suit son itinéraire selon un rituel connu par les manifestants et les soldats. D’abord, les villageois marchent jusqu’au tracé de la barrière de séparation, où les soldats et la police des frontières les attendent, équipées de gaz lacrymogènes, de grenades de choc, et d’autres munitions destinées à disperser des manifestations. Du côté palestinien, plusieurs jeunes s’arment de pierres. Plusieurs manifestants israéliens ont été blessés ici.
"Si les manifestants de gauche n’étaient pas ici, la lutte serait vue sous un tout autre jour", expliquent les représentants du comité populaire du village. "Leur présence, et celle de la presse, nous protègent de la violence des soldats qui savent qu’ils sont surveillés et qu’ils ne peuvent donc pas faire ce qu’ils veulent. Nous réussirons car nous sommes têtus, et chaque vendredi, sans exception, nous continuerons à venir ici avec les Israéliens et les activistes internationaux et nous manifesteront jusqu’à ce que nos terres nous soient rendues".
Acram Hatib, activiste palestinien et membre du comité populaire du village, dit que l’une des choses les plus encourageantes à ses yeux est de voir Shalif chaque vendredi. "Fermeture, couvre-feu ou tir, je verrai toujours Ilan et ses cheveux gris ici", dit-il tout en essayant de retenir les jeunes lanceurs de pierres.
"Wow, respect !" s’exclame bruyamment une jeune femme aux cheveux noirs et rouges courts quand elle remarque la présence d’Ilan en ces lieux. "C’est un endroit très dangereux, et j’hésite chaque fois que je dois venir. Et de le voir, malgré son âge et tout, j’ai vraiment un grand respect".
Roni Barkan des "Anarchistes contre le mur" voit dans Shalif un modèle personnel. "Je ne m’exprime presque jamais de cette manière, mais à mes yeux il mérite vraiment l’admiration. Ce qui est si beau chez Ilan c’est qu’il a peut-être 70 ans mais il ce qui lui semble juste et il vit sa vie de cette façon, en dépit du prix qu’il doit payer".
Shalif lui-même, d’autre part, ne se sent pas différent quand il regarde la foule jeune qui participe à ces manifs.
- Liat Shlezinger : "Vous savez qu’il n’y a pas beaucoup de personnes de votre âge qui prennent la peine de venir à Bil’in afin de manifester ?"
Ilan Shalif : "C’est vrai, il n’y a pas beaucoup de gens de 70 ans, mais c’est ce que j’aime faire et ce en quoi je crois. Je ne me vois pas faire autre chose. Quand j’étais un enfant j’étais hyperactif et je pense qu’il est en resté quelque chose. Je ne sens pas la nécessité de me rester à la maison et de me reposer. Je suis peut-être un peu plus vieux, mais à l’intérieur de moi je sais que je suis toujours jeune. Il y a des gens de mon âge qui se détendent en faisant d’autres choses. Je ne pense pas que je sois étrange ou exceptionnel. En outre, je pense qu’en raison de mon âge les soldats me traitent relativement doucement. Peut-être aussi par pitié. Ils frappent toujours les jeunes, et à maintes reprises je suis resté indemne. Indemnité pas vraiment parfaite, les soldats attaquent souvent sans distinction les vieux et les jeunes, les Palestiniens, les Israéliens ou les étrangers, les manifestants ou les travailleurs de la presse, les hommes comme les femmes... Une fois, il y a quelques mois, nous nous étions assis sur la route lors d’une manifestation. Les soldats nous ont arrêté l’un après l’autre, sauf moi."
- Liat Shlezinger : "Et qu’a à dire votre épouse à propos de tout ceci ?"
Ilan Shalif : "Nous ne discutons plus de ce sujet. Elle s’inquiète pour moi, mais elle sait qu’à la fin je ferai quand même ce que je veux. Je ne peux simplement pas croire que je puisse juste m’asseoir à la maison, après avoir passé ma vie entière en tant qu’activiste. Je ne sais pas vraiment ce qui pourrait m’inciter à vouloir arrêter".
Anarchiste depuis l’âge de 9 ans
Alors que les crises d’identité de la plupart d’entre nous dure en moyenne quelques mois, l’identité de Shalif était déjà fermement établie dans son enfance. À l’âge de 9, il savait déjà qu’il était anarchiste.
"Nous étions en classe et tous les garçons ont décidé de boycotter des filles", raconte-t-il. "J’ai refusé. Je ne pouvais tout simplement pas accepté car j’étais ami avec les filles. J’avais l’habitude de jouer avec certaines d’entre elles dans le petit quartier où j’ai grandi. Et je n’ai pas cru dans ce boycott stupide. Plus tard, et bien après le boycott, personne ne m’a pris en amitié ou m’a invité aux fêtes pendant un bout de temps. C’est à ce moment que ça a commencé, quand j’ai su que je serais toujours différent. En fait, ce n’était pas mon premier acte de rébellion sociale. Quand j’étais encore au jardin d’enfants, chaque vendredi ils avaient l’habitude de rassembler de petites sommes d’argent comme contribution aux fonds sionistes juifs pour acheter des terres."
En effet, il était différent. Tandis que le reste de ses amis à Jérusalem attendaient avec intérêt leur service militaire, il l’a éludé, grâce à une fracture de la main, une chose dont il est fier à ce jour. "J’ai perdu mes illusions sur le sionisme de Ben Gurion (le premier Premier ministre d’Israel, en 1948) plus rapidement que prévu. Ce n’était pas pour moi", dit-il. En 1967 (la guerre d’occupation du 6 juin), il s’est retrouvé dans le mouvement d’extrême gauche "Matspen", qui a entre autres soutenu politiquement et encouragé l’objection de conscience totale. "Je me suis déplacé d’un endroit à l’autre vivant dans les kibbutzim, et nous avons même été expulsés avec mon épouse Aliza du kibbutz de "Negba" où nous avons vécu, en raison de mes avis radicaux. Principalement, en raison des activités politiques anti-sioniste que j’ai refusé d’arrêter. J’ai toujours su que j’étais extrêmement radical et enfin j’ai trouvé les gens avec qui je suis d’accord."
Plus tard, il s’est installé à Tel-Aviv et y a accompli un doctorat en psychologie. Pendant son travail, il a même développé une technique qui favorise la solution des problèmes en utilisant processus subconscient, principalement et pas seulement en utilisant des techniques verbales.
Tout au long de ses années d’activisme gauchiste, il était bien connu des personnes d’autres organisations et de la police, qui l’a détenu pour interrogation plusieurs fois après de violentes manifestations auxquelles il avait participé. Aujourd’hui, il passe son temps à surfer sur Internet et à traduire des textes pour un site anarchiste international. Il est membre du collectif de l’agence de presse Ainfos.ca depuis 1996. Quand Shalif parle, il emploie le "vous". Il ne sent pas faire partie de nous, les Israéliens, et il ne désire même pas se sentir comme tel, "merci beaucoup". Il ne se rappelle pas quand il a voté pour la dernière fois lors d’élections pour le Parlement. "Je ne me sens pas comme un de ces fous qui crient en rue à propos de n’importe quoi", dit-il. "Mes sentiments à propos d’Israel sont comme un voyageur du temps qui est coincé ici sans pouvoir continuer son voyage. Je crois en un monde non-hiérarchique, dans lequel il y a la liberté, l’égalité et la fraternité. Un monde sans exploitants et exploités, où les gens prennent eux-mêmes leurs décisions."
- Liat Shlezinger : Ne sentez-vous pas un peu isolé parfois ? Nous cherchons tous une sorte d’appartenance de temps en temps.
Ilan Shalif : "Certainement pas. Je n’ai pas besoin du sentiment faux de l’intimité de la nation. Ce sont des substituts fictifs qui servent à nous donner un sentiment agréable. J’ai mes amis ici à Bil’in, j’ai de vrais amis chez les "Matspen" que je rencontre deux fois par un mois. Je n’ai pas besoin d’État".
Bien que la plupart des jeunes Israéliens aient une meilleure idée de là où vit la pop star Maya Buskila que d’où se situe le village de Bil’in, Shalif estime que sa lutte lors des décennies passées n’a pas été vaine. "En 1968, nous étions 18 "utopistes" qui avons pleuré et maudit l’occupation mais maintenant la majorité croit qu’il nécessaire de se retirer des territoires occupés. Une fois que j’ai écrit un poème sur la façon dont chaque épaule aide à faire tourner la roue de l’histoire, et que cela prendra un bon moment pour la faire tourner. Cela peut se produire après beaucoup, beaucoup d’années, mais à la fin la révolution viendra, j’en suis certain".
Sources :
– ainfos.ca
– Traduction par Avoixautre.be, bulletin du groupe bruxellois de la Fédération anarchiste
Messages
1. > Israël-Palestine : Le vieil homme et le sang, 17 juin 2006, 15:30
Merci à Bellaciao pour cet article. N’ayons pas peur de parler de ce sujet passionnel qui fâche, car nous sommes tous concernés.
Il existe donc une résistance à l’intérieur d’Israël. Il faut faire un battage médiatique énorme de ce genre d’action positive qui a un impact certain dans nos populations. C’est montrer que la population israélienne ne suit pas à 100 % son gouvernement dans ses choix politiques inacceptables. C’est cela qu’il fallait nous montrer, nous dire que beaucoup d’israéliens sont amis sincères des palestiniens.
Abreuvez-nous d’exemples positifs, car les médias, d’ordinaire si frileux, ne tarderont pas à prendre le relais pour ne pas être en reste.
Il faudrait beaucoup de papys-mamies avec Ilan, en présence des médias, des observateurs étrangers issus de la société civile ou politique pour fiche la honte à l’armée Israélienne et à leurs chefs, pour les ramener à la raison.
Franchement, Internet s’il n’existait pas il faudrait l’inventer.
2. > Israël-Palestine : Le vieil homme et le sang, 17 juin 2006, 19:15
Hello à toutes et tous,
Pour celles et ceux qui veulent en savoir plus sur les Anarchistes contre le Mur, voici l’adresse de leur site, en anglais http://www.awalls.org/
Dans l’article, le lien vers A voix autre est défaillant. Il semble que le lutin fou du clavier ait encore frappé. L’adresse correcte du site est http://www.avoixautre.be.
A+