Accueil > Israéliens et Palestiniens : le sondage qui dit que la paix est possible
Israéliens et Palestiniens : le sondage qui dit que la paix est possible
Publie le mercredi 2 février 2005 par Open-PublishingUn sondage réalisé parallèlement au sein de la population israélienne et de la population palestinienne semble indiquer - pour la première fois de manière détaillée - une possible convergence des deux opinions publiques vers une solution inspirée des « paramètres Clinton ». Rappelons que ces paramètres, présentés par le président américain à l’automne 2000 après l’échec du sommet de Camp David, avaient été acceptés par le gouvernement israélien d’Ehoud Barak et rejetés par l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat (1). Ils pourraient connaître une nouvelle jeunesse, à l’heure où l’on envisage une relance de la Feuille de route et où il se murmure que George Bush serait prêt à confier à Bill Clinton des responsabilités dans la gestion du processus de paix.
Le sondage dont il est question ici a été réalisé par l’Institut Truman pour la paix (Université de Jérusalem) et le Centre palestinien pour la recherche politique et les sondages (PSR - Ramallah). Ces deux organismes, respectés pour leur indépendance et la qualité de leurs travaux, avaient déjà effectué des enquêtes en commun, notamment un sondage dont nous avons rendu compte dans notre précédent numéro (L’Arche n°561, janvier 2005) qui indiquait « un plus grand réalisme et un espoir prudent » chez les Israéliens et les Palestiniens après la mort de Yasser Arafat.
Une large majorité au sein des deux peuples s’accordait alors à considérer, sans autres détails, qu’un accord de paix pouvait être trouvé sous la houlette de leurs dirigeants actuels (Ariel Sharon et Mahmoud Abbas). Un mois plus tard, les responsables des deux organismes, Yaacov Shamir du côté israélien et Khalil Shikaki du côté palestinien, ont voulu explorer plus précisément les contours d’un accord possible. Les résultats, rendus publics dans un communiqué commun en date du 18 janvier 2005, sont très intéressants (2).
Israéliens et Palestiniens ont répondu à des questions similaires ou identiques aux questions qui leur avaient été posées en décembre 2003. Ces questions étaient relatives à six éléments, considérés comme devant faire partie de tout accord visant à une paix définitive entre les deux peuples : les frontières, les réfugiés, Jérusalem, la démilitarisation de l’État palestinien, la sécurité d’Israël et la fin du conflit. Lors du sondage précédent, qui avait été réalisé au moment de « l’initiative de Genève », une référence explicite à cette initiative controversée avait été introduite dans le questionnaire. Cette fois-ci, les auteurs du sondage se sont contentés de présenter « les éléments d’un accord éventuel », ces éléments étant en fait directement inspirés des « paramètres Clinton ».
On constate, à la lecture des résultats, que le niveau de soutien à un accord réalisé selon ces grandes lignes est en nette hausse d’une année sur l’autre. Globalement, 54% des Palestiniens et 64% des Israéliens sont disposés à s’y rallier. Même s’il ne s’agit là que d’un sondage, par définition tributaire du mode de rédaction des questions et du moment où celles-ci ont été posées, il y a là une indication qui ne saurait être négligée. D’autant que le sondage ne dissimule pas les zones d’ombre, où de futurs conflits peuvent surgir.
1. Les frontières
La formule proposée aux sondés se définit ainsi : Israël se retire de la bande de Gaza et de la majeure partie de la Cisjordanie, à l’exception des « blocs d’implantations » représentant jusqu’à 3% de la superficie des territoires palestiniens ; ces « blocs d’implantations » sont annexés au territoire israélien, et les Palestiniens reçoivent en échange une superficie équivalente sous forme de « troc » ; un État palestinien sera créé dans les territoires palestiniens ainsi définis. Cette formule est acceptée par 63% des Palestiniens (contre 57% un an plus tôt) et par 55% des Israéliens (contre 47% un an plus tôt).
2. Les réfugiés
La formule proposée pour résoudre la question des réfugiés palestiniens est en fait identique à celle inclue dans « l’initiative de Genève ». Les réfugiés devront choisir un lieu permanent de résidence parmi les cinq lieux suivants : le futur État palestinien, les territoires israéliens transférés à l’État palestinien dans le cadre du « troc » (ces deux premiers choix n’étant soumis à aucune limitation), leur pays de résidence actuel, un pays tiers ou l’État d’Israël. Concernant les trois dernières catégories, le choix effectué par les réfugiés sera conditionné par la décision des États. Le nombre des réfugiés admis à s’installer en Israël sera déterminé de manière souveraine par l’État d’Israël, une base indicative étant la moyenne du nombre des réfugiés acceptés par des pays tiers comme l’Australie, le Canada ou les pays d’Europe. Dans tous les cas, les réfugiés auront droit à des compensations financières. Cette formule est acceptée par 46% des Palestiniens (contre 25% un an plus tôt) et 44% des Israéliens (contre 35% un an plus tôt).
3. Jérusalem
La formule proposée, dans la lignée des « paramètres de Clinton » puis de « l’initiative de Genève », repose sur le principe selon lequel les quartiers arabes (y compris l’esplanade des mosquées) reviendront aux Palestiniens et les quartiers juifs (y compris le quartier juif de la vieille ville) reviendront aux Israéliens. Chacune des deux parties de la ville sera la capitale de l’État en question. Sur ce sujet on enregistre, d’une année sur l’autre, un léger retrait : 44% d’accord chez les Palestiniens (contre 46% un an plus tôt) et 39% chez les Israéliens (contre 41% un an plus tôt).
4. L’État palestinien démilitarisé
Le futur État palestinien pourra être doté de services du maintien de l’ordre (c’est déjà le cas de l’Autorité palestinienne) mais pas d’une armée au sens strict du terme. Ce principe, accepté de longue date par les négociateurs palestiniens, ne l’est toujours pas par la majorité de l’opinion palestinienne. En décembre 2003, seuls 36% des Palestiniens acceptaient l’idée que leur État soit démilitarisé. Un an plus tard, le nouveau sondage ajoute à la proposition le déploiement d’une force multinationale, qui devrait rassurer les Palestiniens quant à leur protection contre des agresseurs extérieurs. Mais le taux de soutien baisse encore davantage, descendant à 27%. Chez les Israéliens, en revanche, l’approbation est très large : 68% (contre 61% un an plus tôt).
5. Les questions de sécurité
Une exigence israélienne très ancienne a trait à des garanties de sécurité visant moins une possible agression depuis les territoires palestiniens qu’une menace venant d’au-delà des frontières palestiniennes. Les négociateurs israéliens ont toujours exigé de conserver le droit de survoler l’espace aérien palestinien, et de maintenir pour une période de quinze ans deux stations d’observation au sein de la Cisjordanie - tout cela sans mettre en doute la souveraineté palestinienne. Sur ce point, les négociateurs palestiniens ont généralement été compréhensifs. Il en va de même désormais de l’opinion publique palestinienne, dont 53% accepte un tel arrangement (contre 23% seulement un an plus tôt). Chez les Israéliens, la même formulation est acceptée par une majorité de 61% (contre 50% un an plus tôt).
6. La fin du conflit
Ici, il s’agit d’énoncer clairement qu’un accord entre Israéliens et Palestiniens mettra fin au conflit et qu’aucune revendication ne pourra être présentée par la suite. Les deux parties reconnaîtront la Palestine et Israël comme les patries respectives des deux peuples. (Bien que les choses ne soient pas énoncées ainsi, cela signifie que les Palestiniens renoncent formellement aux rêves du « retour » et de la « grande Palestine », et que les Israéliens renoncent à revendiquer des droits au-delà de leurs nouvelles frontières). Là-dessus, 69% des Palestiniens sont aujourd’hui d’accord (contre 42% seulement un an plus tôt). Chez les Israéliens, le taux d’acceptation est de 76% (contre 66% un an plus tôt).
7. L’accord global
Les six points précédents ayant été énoncés, les sondés ont été amenés à se prononcer sur un accord global qui les incorporerait tous. En d’autres termes : quelles qu’aient été leurs réponses concernant chacun des six sujets pris isolément, sont-ils prêts à accepter un compromis reprenant l’ensemble des éléments qui leur ont été présentés, y compris donc ceux sur lesquels ils ne sont pas d’accord ? Ici vient la grande surprise. Il y a un an (à l’époque, rappelons-le, de « l’initiative de Genève »), la réponse était largement négative, d’un côté comme de l’autre. Seuls 39% des Palestiniens acceptaient le « package » qui leur était proposé, alors que 58% le rejetaient. Chez les Israéliens, le résultat était un peu plus équilibré : 47% pour, et 49% contre. Cette fois-ci, donc sans référence à Genève mais dans la foulée de la mort d’Arafat, l’image a changé du tout au tout. Désormais, 54% des Palestiniens sont prêts à accepter le « package » dans son ensemble, contre 44% qui s’y opposent. Chez les Israéliens, l’accord est plus massif encore : 64% sont pour, et 33% seulement sont contre.
8. La reconnaissance mutuelle
À ces diverses questions d’ordre politique a été ajoutée une dernière question que l’on pourrait qualifier de philosophique. On a demandé aux sondés si, tous les problèmes concrets ayant été résolus, ils accepteraient l’idée d’une reconnaissance mutuelle selon laquelle « Israël est l’État du peuple juif » et « la Palestine est l’État du peuple palestinien ». En décembre 2003, cette proposition était acceptée par une petite majorité de Palestiniens (52%) et une majorité plus nette chez les Israéliens (65%). Désormais, l’acceptation est franche et massive : 63% chez les Palestiniens et 70% chez les Israéliens.
Quelles leçons tirer de ce sondage ? Le professionnalisme des équipes, du côté israélien comme du côté palestinien, n’autorise aucun doute sur la qualité scientifique du travail. Mais, comme pour tout sondage, les réponses des sondés ne peuvent dire davantage que ce que contiennent les questions posées par les sondeurs. Le mélange Clinton-Genève, qui servait de fondement au questionnaire, reflète peut-être un certain consensus au sein de la communauté internationale. Il n’est pourtant pas sacro-saint, loin de là. Sans accuser Yaacov Shamir et Khalil Shikaki de manipulation (ils ont eu l’honnêteté d’annoncer clairement leurs hypothèses de travail), on ne peut que dire qu’un sondage rédigé différemment aurait donné d’autre résultats.
Malgré tout, deux observations s’imposent.
• Il est possible de parvenir - au niveau des opinions publiques - à un accord sur un « package » dont les composantes ne sont pas toutes acceptées. Ainsi, la solution proposée pour les réfugiés est rejetée tant par les Israéliens que par les Palestiniens (dans les deux cas, à une faible majorité). Sur Jérusalem, le refus israélien est plus net que le refus palestinien. Sur la démilitarisation de l’État palestinien, au contraire, l’acceptation massive par les Israéliens contraste avec un rejet non moins massif par les Palestiniens. En dépit de tout cela, lorsqu’ils sont placés face à l’éventualité d’accepter ou de refuser le « package » proposé, une forte majorité d’un côté comme de l’autre se prononce pour l’acceptation. Or c’est bien ainsi que les choses se passent dans les vraies négociations. Nul n’est jamais satisfait sur toute la ligne, et parfois le mécontentement est partagé ; mais c’est la « viabilité » de l’ensemble qui est le critère décisif. Israéliens et Palestiniens en font l’expérience.
• La question que l’on s’entend à définir comme la plus épineuse de toutes, celle où les intérêts sont intrinsèquement opposés, est la question des réfugiés. La formule proposée, qui est identique à l’article 7 de l’initiative de Genève, revient en fait à un abandon par les Palestiniens du « droit au retour » (selon les chiffres avancés à Genève par les partenaires israéliens, le nombre des réfugiés palestiniens autorisés à s’installer en Israël serait de 30 à 40 000). Or les Palestiniens sont presque aussi nombreux à accepter cette formule (46%) qu’à la rejeter (50%).
Il n’en résulte pas que la paix soit pour demain matin, ni que les formules testées par les sondeurs israéliens et palestiniens soient acceptables par les responsables d’un côté et de l’autre de la « barrière de sécurité ». On peut cependant retirer de ce sondage une indication rassurante pour l’avenir. Déjà, le précédent sondage, réalisé après la mort d’Arafat, montrait qu’aux yeux des Israéliens comme des Palestiniens « il y avait avec qui parler ». Ce sondage-ci montre que, toujours selon les principaux intéressés, « il y a de quoi parler ».
1. Il est incontestable que Yasser Arafat a rejeté les « paramètres Clinton ». Tous les acteurs de l’époque l’attestent : non seulement Dennis Ross, le responsable du dossier israélo-palestinien au sein de l’administration Clinton, mais même Robert Malley, membre de l’équipe américaine à Camp David et dont le témoignage est souvent utilisé pour relativiser le refus palestinien lors des négociations de 2000. Dans un article publié par Le Monde peu après la mort d’Arafat (dans le cadre du dossier spécial « Les vies de Yasser Arafat », daté du 6 novembre 2004), Robert Malley écrivait : « Ceux qui estiment, y compris parmi mes anciens collègues américains du peace team, qu’Arafat a rejeté les idées de Clinton en décembre 2000 par refus de faire la paix avec Israël sont, je le crois, victimes d’une coûteuse méprise. D’autres raisons, la poursuite de l’Intifada, la colère palestinienne, bien plus facile à exploiter qu’à apaiser, l’absence de pressions arabes ou palestiniennes en faveur des propositions américaines, la fin du mandat de Clinton et celle, annoncée, de Barak, ainsi que l’espoir d’arracher de nouvelles concessions l’y ont poussé. » Robert Malley ne nie donc pas un instant que Yasser Arafat ait « rejeté les idées de Clinton ». Il considère seulement que ce rejet, qu’il déplore (« Comme toujours, il s’est fié à son intuition politique - à tort, hélas ») n’était pas dû à un refus de principe d’une paix avec Israël mais à son analyse du contexte d’alors.
2. Le sondage palestinien a été réalisé les 30 et 31 décembre 2004 ; sa marge d’erreur est de 3%. Le sondage israélien a été réalisé les 9 et 10 janvier 2005 ; sa marge d’erreur est de 4,5%. Voir le site internet www.pcpsr.org.
Extrait de L’Arche n°562, février 2005
L’Arche, le mensuel du judaïsme français
39, rue Broca, 75005 Paris
Numéro spécimen sur demande à info@arche-mag.com
Reproduction autorisée sur internet avec les mentions ci-dessus