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Italie : Franco Chiriaco, secrétaire de la Flai, parle de démocratie et de représentation directe
Publie le jeudi 22 septembre 2005 par Open-Publishing
Des travaux anciens, un syndicat moderne. Que font donc des journaliers et des salariés de l’agroalimentaire dans la même organisation syndicale ? Comment sont conjugués les besoins de ceux qui produisent et transforment la nourriture avec les besoins de ceux qui la consomment ? "Les droits fondamentaux partent de l’alimentation : si tu ne manges pas, tu n’es pas libre, liberté et démocratie sont un binôme de gauche"
VALENTINO PARLATO Traduit de l’italien par Karl&Rosa
La Flai (Fédération des salariés de l’agroalimentaire) est, dans cette période difficile, un syndicat d’un grand intérêt pour ceux qui veulent comprendre ce qui change dans le monde du travail, dans le syndicat et dans la gauche. Ce syndicat réunit le passé des travailleurs agricoles (quelqu’un se souvient des grèves des journaliers de l’Emilie ?) et de ceux de l’industrie alimentaire, mais il a en lui (qui vivra verra) toutes les problématiques de l’avenir : l’exigence d’une nourriture saine pour tous, pour les pauvres du monde aussi, le soin du paysage et, encore, l’insertion des travailleurs extracommunautaires, qui concurrencent aujourd’hui les Italiens.
Mais il y a aussi beaucoup plus et plus intéressant ; le déclin des catégories si elles ne sont pas capables de représenter le travail (les travaux) qui change ; le recentrement autour du travail et des travailleurs qui intervient fortement et d’une façon autonome en politique, une politique qui perd de plus en plus ou cache le sens des intérêts sociaux en jeu et du conflit social lui-même ; une transformation du syndicat, qui devient plus politique (plus "confédéral" en langage syndical) et qui, par sa nature, doit donner de nouvelles indications de sens à son rôle de représentant d’intérêts et à son rôle d’ instrument inéliminable de la démocratie.
L’assemblée du 30 juin dernier à Venise, organisée par la Flai, a choisi pour ces raisons une forme désormais inédite : ne faire parler que les délégués et Guglielmo Epifani (secrétaire général de la Cgil, NdT) à la fin. Un signe de changement profond de hiérarchies souvent autoréférentielles et bureaucratiques. C’est l’acheminement d’une conversation avec Franco Chiriaco, qui est l’audacieux secrétaire général de ce syndicat, environ 300 000 adhérents dont 220 000 dans l’agriculture et 80 000 dans l’alimentation.
Ne te semble-t-il pas, Chiriaco, que ton syndicat est un syndicat centaure, mi-agricole et mi-industriel ?
Avec les transformations du travail, le concept de catégorie aussi s’est nuancé ; dans le monde entier, en Europe, des travaux fortement protégés et corporatifs cohabitent désormais avec du néo-esclavagisme ; just in time et travail à la tâche ; du travail intellectuel et des enfants esclaves ; la prestation de travail a changé, elle s’est brisée en mille facettes, parcellisée dans la subjectivité et dans la conscience de soi et du rôle social que l’on joue ; individualisée dans ses expressions sociales ; divisée dans la recherche de représentation et de représentativité. Tout cela réclame un changement de la physionomie du syndicat traditionnel et provoque aussi des crises. Dans toute l’Europe les syndicats traversent une phase de difficulté. Dans le monde entier - et en premier lieu dans notre pays - avec les transformations du travail et les difficultés de les représenter avance une attaque inédite aux conquêtes démocratiques les plus consolidées. Le début - et ce n’est pas un hasard - a été l’attaque à l’article 18 du Statut des travailleurs.
La Flai est une catégorie de la Cgil. Comment la Confédération répond-elle à ces sollicitations ?
Il s’agit de problèmes auxquels le prochain congrès de la Cgil devra s’attaquer ; libérer le travail de sa marginalisation actuelle et le ramener au centre demande un engagement culturel et politique et peut-être aussi un changement du modèle d’organisation ; à Venise la Flai s’est située dans cet horizon et précisément à proximité du congrès. Nous sommes de l’avis - et nos délégués se sont largement exprimés en ce sens - que la centralité du travail, sa défense et la mise à jour des droits dans l’usine et de ceux de citoyenneté, la question salariale et celle de l’équité dans la répartition sociale entre les salaires, les profits et les rentes sont un moyen essentiel pour donner de la substance à la démocratie. Les partis de l’Union (rassemblement de centre-gauche, NdT) devront tenir compte des thèmes et des problèmes auxquels nous allons nous attaquer avec le Congrès de la Cgil, dans la campagne électorale et dans leur programme de gouvernement. La démocratie ne vit pas seulement de vérifications tous les quatre ou les cinq ans : qu’il s’agisse de référendums sur les contrats ou d’élections primaires. C’est pourquoi l’autonomie du syndicat, de tout le syndicat confédéral, est aujourd’hui un bien auquel on ne peut pas renoncer, pour la démocratie elle-même.
Comment le monde du travail est-il en train de changer et en particulier celui de compétence de la Flai ?
Il apparaît évident que ce qui est en train de changer sont les prestations de travail. Le travail - ses problématiques - s’internationalise, il est de plus en plus hétéro déterminé dans des secteurs comme le nôtre aussi, qui exhibent le made in Italy ; par exemple, on travaille beaucoup sur des produits d’importation dont on ignore pourtant l’origine, le pays de production, l’usine de référence. Des produits de grand charme, proposés obsessionnellement par la publicité (qui pour nombre de grands groupes arrive à avoir un coût très proche de celui des matières premières) comme des exemples de qualité italienne sont composés en réalité de matières premières dont l’origine est étrangère et par rapport auxquelles on ne peut repérer ni la zone ni l’usine de production. Qui nous garantit, par exemple, que de la matière première alimentaire ne soit pas importée des vastes zone de l’Ukraine où la radioactivité est très haute même dans les nappes phréatiques ?
C’est donc la démocratie dans l’état post-industriel qui est au centre de l’attention ?
Grâce aux transformations et à la globalisation du travail, la démocratie prend une valeur non conceptuelle, mais opérationnelle. Il faut plus de démocratie non pas parce que la démocratie est une valeur abstraite, mais parce qu’elle est aujourd’hui une condition décisive de la force des travailleurs, du syndicat et de ses conquêtes. Le syndicat, s’il veut être tel et obtenir des résultats, ne peut pas être un syndicat pour les travailleurs (presque un patronage) mais un syndicat des travailleurs protagonistes de leurs luttes. On dirait un retour au passé. Mais pense à la lutte des ouvriers des forêts, qui ont coupé l’Italie en occupant des gares et des nœuds autoroutiers, ou à la lutte des journaliers pour défendre l’indemnité de chômage. Nous n’avons pas subi le sort des mineurs anglais : nous avons centré nos objectifs et nous avons été les seuls à faire changer la Loi des Finances à Berlusconi. Je ne veux pas faire référence par là aux formes de lutte mais à la conviction de la nécessité du conflit pour arriver à un accord, à un résultat. Concertation ne veut pas dire homologation des fins et des moyens et annulation des subjectivités sociales.
Et la Flai, comment se pose-t-elle devant la nécessité de se confier à la démocratie pour développer son rôle ?
Dans le statut de la Flai, comme dans celui de la Cgil, est fixé un pourcentage de travailleurs actifs dans les organismes dirigeants du syndicat. Nous voulons aller au-delà. Nous pensons à un Congrès dont le parterre élargirait la représentation directe des lieux de travail, des déléguées et des délégués qui discutent et déterminent des lignes stratégiques, des formes de lutte à réaliser. Ils sont les seuls à vivre chaque jour certains problèmes en première ligne.
En substance, sans la subjectivité des travailleurs il ne peut pas y avoir un syndicat fort...
La grande entreprise et les luttes des journaliers pouvaient être le terrain fécond pour la naissance de grands leaders comme cela a été le cas dans le passé, mais désormais ce n’est plus ainsi. Les changements dans la production du travail, la fragmentation même des entreprises, sont toutes conditions qui favorisent et demandent une multiplicité de leaders, chacun lié à sa condition de travail, mais prêt en même temps à diriger et à concorder avec tous les autres la stratégie générale des luttes dans le territoire.
Il me semble deviner que la Flai n’est pas un syndicat statique...
Voila, dans mon approximation, la recherche de la Flai : un syndicat qui part des travaux et des besoins les plus anciens : manger, cultiver la terre, élever les animaux ; et qui peut devenir aujourd’hui le plus moderne de nos syndicats. Le slow food est en train de devenir plus moderne que le fast food. Les droits fondamentaux partent dans le monde entier de l’alimentation qui - et ce n’est pas un hasard - représente l’obstacle au sein de l’OMC. D’ailleurs, si tu ne manges pas, tu n’es pas libre. Et la liberté et la démocratie sont aujourd’hui un binôme de gauche.
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/15-Settembre-2005/art90.html