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Italiens, braves gens : à Reggio Emilia une "utilisation" différente de la mémoire histori

Publie le dimanche 18 janvier 2004 par Open-Publishing

Italiens,
braves gens : à Reggio Emilia une "utilisation" différente de la mémoire historique


A Reggio Emilia les "journées de la mémoire" ne se limitent pas au 27 janvier
et, même en mettant au centre (comme il est juste) l’anniversaire de la libération
du camp de Auschwitz, elles tentent un lien plus profond avec le versant habituellement
refoulé de la mémoire historique italienne. En fait, on démarre le 14 janvier
avec "Fascist legacy" (l’héritage du fascisme), à savoir le film de Ken Kirby
qui fit scandale en 1989 en Grande-Bretagne, qui fut acheté par la RAI (Radio
TV italienne : NdT) et ... y est stocké depuis : mercredi soir, au cinéma Rosebud
de Reggio, Massimo Sani (réalisateur et chargé de la version italienne du documentaire)
dialoguera avec Fabio Galluccio (auteur du livre "I lager in Italia", édité par
Nonluoghi) et expliquera, peut-être, le mystère d’un film qui fut acheté pour
n’être pas diffusé. Ou peut-être n’y a-t-il aucun secret et la vérité est-elle
encore celle pour laquelle dans l’après-guerre quelques réalisateurs italiens
furent littéralement empêchés d’aborder ces arguments : en somme un documentaire
sur les crimes de l’Italie en Ethiopie, en Libye, en Somalie - mais aussi en
Albanie, en Yougoslavie et en Grèce - démentirait le mythe commode des "Italiens,
braves gens".

Et précisément "Italiens, braves gens", c’est le titre du numéro 113, daté de
janvier 2004, du mensuel de Reggio Emilia "Pollicino gnus" (44 pages, l’abonnement
annuel coûte 16 euros). Un choix cohérent, car auparavant, dans les années passées,
la revue s’était occupée des "persécutions oubliées" - gitans, homosexuels, Témoins
de Jéhovah, jeunes non-alignés, malades, opposants politiques.. - et avait traité ensuite
du rôle de l’Eglise de Pie XII dans les persécutions nazifascistes.

Le matériel publié est en partie inédit et en partie déjà publié (mais souvent,
hélas, dans des revues qui ne profitent aucunement du tam-tam médiatique) et
parle de ce qui s’est passé dans les camps de concentration italiens pour les
Juifs, dans ceux des colonies africaines et des Balkans et lors de l’assignation à résidence
des "indésirables". La seule signature connue par le dit grand public est celle
de Angelo Del Boca, qui se demande à la fin de son texte : "Quand aura lieu la
projection à la TV publique de l’enquête Fascist Legacy de Ken Kirby ? Et pour
quelle raison est-il encore interdit de projeter dans les salles "Le lion du
désert", le film de Akkad, qui narre l’épopée tragique de Omar-el-Mukhtar, pendu
par Graziani (gouverneur fasciste de la Libye dans les années 30 : NdT) dans le
lager de Soluch ?".
Et c’est précisément au héros de la Résistance libyenne, au vieux "lion" du désert
dont tous les textes anti-colonialistes se souviennent encore aujourd’hui, qu’est
dédiée la couverture de "Pollicino gnus".

Après la rencontre du 14 janvier, deux autres rendez-vous publics importants
sont prévus à Reggio Emilia. Le 21 janvier chez Istoreco, c’est-à-dire l’Institut
historique de la Résistance (0522 580890 http://www.istoreco.re.it), on discute
de "Violence fasciste en Emilie avec les historiens Gianfranco Porta et Marco
Minardi, tandis que le 31 dans l’après-midi est fixée une rencontre avec Carlo
Spartaco Capogreco, président de la Fondation internationale Ferramonti et auteur
du livre "Les camps du Duce : l’internement civil dans l’Italie fasciste" (édité par
Einaudi). Même si peu de gens s’en souviennent, à Ferramonti di Tarsia, dans
la province de Cosenza (ville du Sud de l’Italie : NdT), fonctionna le plus grand
camp de concentration italien pour les Juifs. Le plus grand, pas l’unique : car
entre Juin 1940 et Août 1943 les camps "soumis à la juridiction du Ministère
de l’Intérieur" furent plus de 50, mais il y eut encore 200 localités supplémentaires - dites,
par oxymoron, "d’internement libre" - où les Juifs (mais aussi les apatrides)
furent amenés. De combien de personnes s’agissait-il ? Selon l’essai de Carlo
Spartaco Capogreco (sorti en 1991 dans "Storia contemporanea" et dont on peut
lire une synthèse dans le numéro cité de "Pollicino gnus"), en Juin 1940, les
Juifs internés "comptés" en Italie étaient un peu plus de 4000 dont aussi quelques
apatrides. Entre 1941 et 1942 s’y ajouta un "deuxième contingent des zones ex-yougoslaves
faisant partie de l’Etat croate ou annexées par l’Italie, composé d’environ 2000
Juifs surtout slaves, qui comprend aussi les 500 naufragés du Pentcho, bateau
fluvial parti de Bratislava en mai 1940 avec l’improbable propos de rejoindre
la Palestine et échoué, six mois plus tard, près de Rhodes".

On doit rappeler aussi que, en ce qui concerne les internés dans les camps les
plus grands du Sud de l’Italie (Ferentino, précisément, et Campagna, en province
de Salerne), leur salut fut dû à l’arrivée soudaine des troupes alliées mais
aussi à la solidarité que les "libérés" avaient trouvée dans les campagnes et
dans les villages avoisinants (l’ordre d’internement ne fut révoqué qu’après
le 10 septembre 1943), des "libérés" qui furent en pratique abandonnés à eux-mêmes
par le nouveau gouvernement (le gouvernement Badoglio : NdT). Evidemment la situation
des camps fut bien différente au Centre-Nord et - nous citons à nouveau Capogreco - "le
sort des Juifs dépendait de deux facteurs : leur collocation géographique et la
capacité à se trouver un refuge pour échapper à la capture par les Nazis" : avant
septembre, environ 2000 Juifs, internés au Sud, étaient sous la protection des
Alliés tandis qu’au Nord l’internement fut rétabli (officiellement le 30 Novembre
1943) par la soi-disant République de Salo’ et pour 6815 cet emprisonnement - écrit
encore Capogreco - ne fut presque toujours "qu’un court répit sur le chemin d’Auschwitz".

Il est significatif (comme l’écrit Renato Moschetti en bas de la dernière page
du numéro cité de "Pollicino gnus") qu’à partir de 2001 (année de la victoire
du centre-droit aux élections législatives : NdT) la Fondation internationale
Ferramonti, née pour que la mémoire historique ne soit pas perdue, ait été privée
de tout soutien institutionnel.

C’est encore la peine de souligner que, hélas, le choix de lier la "Journée de
la mémoire" (instituée par la loi 211 du 20 juillet 2000) à ce qui a été refoulé du
colonialisme et/ou du fascisme n’a été fait que par Reggio Emilia et par très
peu d’autres villes (parmi ces dernières Pise, qui va accueillir aussi une rencontre
sur l’ "assignation à résidence"). Et si nous recevons des nouvelles en ce sens - même
d’initiatives liant la mémoire historique à l’actualité - "Migra" sera heureuse
d’en rendre compte, car la plante du racisme a encore en Italie - il est regrettable
de devoir le dire - des racines bien solides et se nourrit aussi d’une mémoire
refoulée ou partielle, ou seulement instrumentalisée.
Qui désire recevoir la brochure citée peut s’adresser à la rédaction de "Pollicino
gnus" : 0522 454832 ou pollicino@comune.re.it

Daniele Barbieri

(Traduction de M.c. et G.R.)

17.01.2004
Collectif Bellaciao