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JUSTICE AU QUOTIDIEN

Publie le jeudi 28 septembre 2006 par Open-Publishing

Carnets de justice : "Il n’a pas eu le temps de commettre le délit..."

de Dominique SIMONNOT

Mamadou se lève dans le box et la procureure se lève aussi : « Euh... il y a un problème, il n’est poursuivi que pour infraction au séjour, mais il a été interpellé dès sa sortie de prison ! Sans vraiment lui laisser le temps de quitter la France, je pense à une relaxe. » Le président sourit : « Eh bien, maintenant qu’il est là, vous allez laisser le tribunal en décider ! » Et l’assesseuse résume à Mamadou : « Il y a deux condamnations à votre casier. Et vous avez donc été interpellé le lendemain de votre sortie de prison... » « Ils m’avaient donné cinq jours pour partir, explique Mamadou, j’ai téléphoné à mon frère pour le rejoindre au Canada, j’ai même pas eu le temps de le rappeler, ils m’ont arrêté. »

La procureure approuve : « Il n’a pas eu le temps de commettre le délit... », et l’avocate rigole : « Hi, hi ! Il l’avait bien dit aux policiers, mais rien n’a été fait pour vérifier ses dires. » Relaxe. Et voilà Kelil, 30 ans, et son copain Thomas, 18 ans, un chétif au regard vide. La veille, André, un acteur célèbre qui promenait son chien, a vu quelqu’un dans sa voiture. Il a appelé la police et désigné Thomas, qu’il avait vu rejoindre Kelil. Dans la voiture, Thomas a volé une canette de coca : « J’avais soif », dit-il. « C’est surprenant, relève le juge, si c’est vrai, vous forcez une portière pour une canette. »

Thomas reconnaît : « Ben, j’ai quand même regardé s’il y avait pas autre chose, mais il y avait rien. Et pour Kelil, il était loin, il savait même pas ce que je faisais. » Le juge soupire : « En une semaine, vous avez été interpellé pour vol à l’étalage et vol de scooter ! Qu’est-ce qui se passe ? Ça ne va pas en ce moment ? » Thomas bafouille : « Je suis dehors. » Selon l’enquête sociale, il a été interné en psychiatrie et sa mère l’a jeté. Il vit chez les parents de sa copine, mais la famille est partie en vacances et Thomas est à l’hôtel. « Je vole car je n’ai rien », a-t-il déclaré. Le juge s’adresse à Kelil : « Et vous monsieur, contrôlé il y a deux jours à la Cité U, vous étiez porteur d’un iPod. Or, ce même jour, un étudiant avait signalé la disparition du sien ! » Kelil hausse les épaules : « Je suis en liberté conditionnelle, alors je ne vais sûrement pas voler. » Le président est embêté : « Le problème est qu’on n’a pas pu contacter le plaignant, et qu’en plus il n’y a pas de plainte.

On a juste une disparition d’iPod, mais est-ce le même ? Tout est là ! » Kelil avance : « Excusez, mais tous les iPod se ressemblent. » « Il y a quand même dix condamnations derrière vous », observe le juge. La procureure réclame un sursis pour Thomas et du ferme pour Kelil. Et l’avocat pousse des clameurs : « Il se promène avec un iPod volé ? Mais à qui ? Quand ? On ne le sait pas, on ne le saura jamais. » Le président jauge Thomas : « Dites-nous, avec votre amie, c’est sérieux ? Oui ? » Relaxe pour Kelil. Trois mois avec sursis pour Thomas : « Allez retrouver votre amie, sans plus traîner dans les rues », conseille le président.
Au tour d’Abderahmane, 42 ans, tout bouffi, yeux injectés, qui dort debout et vacille dans le box.

Il a été arrêté avec un autoradio sous le bras. Toxico, gravement malade et 27 condamnations au casier, « très seul et très fragile, il est suivi et hébergé par Emmaüs », a noté l’enquêteur social. « Il a failli ne pas nous honorer de sa présence, il allait tellement mal qu’il a passé la journée aux urgences médico-judiciaires ! raconte la procureure, et, ce serait drôle si ce n’était désespérant, il a été incapable de dire où avait eu lieu le vol ! » Elle a un geste d’impuissance : « Je ne crois pas que la solution soit la prison, mais je ne vois rien d’autre à proposer. »

L’avocat s’énerve : « En prison, il verra le psy une fois au mieux ! On le sait ! Alors du ferme pour un type dans cet état ! Franchement, ce n’est pas faire oeuvre de justice. » Abderahmane pleure : « Il me faut un logement avec un frigo pour conserver mes médicaments, et c’est en route, grâce à l’association... mais... je suis épuisé. » Sursis et mise à l’épreuve. « Allez, dit le juge, vous allez être libéré ! Vous veillerez à respecter les obligations de la mise à l’épreuve. » « Merci, merci ! » souffle le condamné.

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