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JUSTICE EN DEROUTE

Publie le vendredi 16 décembre 2005 par Open-Publishing

Marco Gregori

L’un a failli mourir à la fin du mois de novembre d’une hémorragie interne.

L’autre a été exécuté dans la nuit de lundi à mardi. Si beaucoup de choses séparent le militant communiste italien Adriano Sofri de l’ancien chef de gang de Los Angeles Tookie Williams, l’arbitraire de la justice -où plutôt du politicien qui se fait justicier- les réunit. Le gouverneur de l’Etat de Californie Arnold Schwarzenegger a refusé la demande de grâce de Tookie Williams, tandis que le ministre de la justice italien Roberto Castelli a encore refusé hier la libération d’Adriano Sofri. Tous deux, poussés par une idéologie aveugle, ont cédé à leur base électorale la plus radicale, au mépris de ce qu’il est convenu d’appeler la justice et du bon sens. Car c’est un euphémisme que d’affirmer que d’énormes doutes existent sur la culpabilité des deux condamnés.

Tookie Williams a été exécuté pour avoir été l’auteur présumé de quatre meurtres en 1979. Or les preuves matérielles de la responsabilité de l’ancien chef de gang, qui n’a cessé de clamer son innocence, n’ont jamais dépassé le stade de l’indice douteux. Pour justifier la demande de grâce, les défenseurs de Tookie Williams faisaient valoir la métamorphose du condamné. Baignant jadis dans la violence, y compris en prison, il a depuis le début des années 1990 considérablement changé, ayant ainsi écrit des livres où il appelle les jeunes à ne pas suivre la piste des gangs. C’est précisément un de ses ouvrages qui a servi d’alibi au gouverneur de Californie pour refuser la grâce. Il est dédié à diverses personnes « ayant connu l’oppression de la prison », dont George Jackson, un Noir accusé d’avoir tué un gardien de prison lors d’une tentative d’évasion, et le célèbre leader afro-américain Malcolm X. Pour le héros de Terminator, c’est la preuve que Tookie Williams restera toujours l’homme violent qu’il a été. La condamnation devient donc politique : la révolte de la communauté noire n’est vue que sous l’angle du crime, chaque Noir est vu comme un criminel en puissance.

C’est la même logique de criminalisation a priori qui a poussé le ministre Castelli a dévié en touche la demande de grâce qui lui était soumise. En raison de son état de santé, Adriano Sofri bénéficie d’une suspension de peine jusqu’au 28 mai prochain. Or, entre-temps, il y aura un nouveau gouvernement et l’actuel garde des Sceaux veut laisser son successeur régler le cas Sofri. Mais l’hypocrisie de la manoeuvre ne doit tromper personne. Car le procès Sofri, avec ses prétendues preuves évaporées et la dénonciation miraculeuse d’un repenti, a surtout été celui de la gauche radicale a qui les dirigeants italiens ont voulu faire porter l’entier des responsabilités des années de plomb. Et occulter la culpabilité de groupes liés au pouvoir tels que la mafia, les services secrets et des excités d’extrême-droite. Ainsi, l’attitude de Roberto Castelli n’a rien d’étonnant si l’on sait que son premier ministre, Silvio Berlusconi, brandit la menace communiste dès que quelqu’un parle de justice sociale.

Williams et Sofri, le parallèle est saisissant. Il l’est d’autant plus que la condamnation du premier vient d’un pays dont le gouvernement fédéral prétend donner des leçons de démocratie au monde alors que celle du second émane d’un de ses plus fidèles valets.

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