Accueil > KOSOVO : Indépendance ou nouvelle autonomie ? Première région européenne

KOSOVO : Indépendance ou nouvelle autonomie ? Première région européenne

Publie le mercredi 1er février 2006 par Open-Publishing
13 commentaires

de MICHELE NARDELLI* Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

Que la grande presse s’interroge sur ce qui couve sous la cendre des Balkans sans qu’il soit nul besoin de répandre le sang (« Tempo scaduto per il Kosovo » -Temps dépassé pour le Kosovo- titrait le 23 décembre dernier un éditorial de Franco Venturini sur le Corriere della Sera), rien n’est moins sûr, même pas peut-être maintenant que Ibrahim Rugova est mort. Parce que le temps sur le Kosovo, plus encore que dépassé, est comme arrêté, non seulement en liaison avec la faillite proclamée du mandat de l’administration internationale, mais du simple fait que toutes les contradictions sont là comme suspendues depuis le jour où l’on préféra l’intervention armée à la négociation, difficile et exténuante autant que l’on voudra, mais qui avait déjà atteint, au château de Rambouillet, des points de rencontre plus avancés sur le plan de l’autogouvernement de la région que ceux qu’on allait ensuite ratifier avec la paix de Kumanovo.

Fait paradoxal si l’on pense que celle-ci fut signée après 75 jours de bombardements et une guerre que l’OTAN considéra comme une victoire. Comme si l’objectif de la guerre avait été la guerre elle-même, la contre épuration ethnique qui s’en suivit et l’occupation militaire de ce territoire.

Une guerre qui a laissé derrière elle des décombres de tous ordres, y compris l’uranium appauvri des libérateurs, et une situation insoutenable sur le plan du status de la région face à des positions plus distantes et radicales encore qu’il y a six ans. Et avec la conscience, en plus, de l’effet domino qu’une éventuelle déchirure sur le Kosovo pourrait provoquer dans tous les Balkans occidentaux. N’oublions pas en effet que la crise yougoslave ne naît pas en 91 le long de la Sava mais en juin 89 à la Plaine des Merles (Kosovo Polje), dans cet appel aux armes que lança un obscur personnage, à l’époque, à la tête de la rancœur nationaliste serbe.

Grand comme les Abruzzes

Le fait est que tout est paradoxal au Kosovo. Non seulement la guerre, mais aussi les effets du « cirque humanitaire » qui ont amené dans une région grande comme nos Abruzzes, une quantité énorme d’aides, avec comme effet de créer dépendance et assistanat, impossibilité de les assumer et corruption. Sans oublier que dans le déréglement extrême du pays, a prospéré une criminalité économique qui ne connaît pas de frontières et se reflète de l’autre côté de l’Adriatique.

Le Kosovo, sur le status duquel vont se rouvrir ces jours ci les tractations (en février, après le deuil de Rugova), est aujourd’hui un hybride : sur le plan international il s’agit d’une région qui est partie intégrante de l’Union Serbie Monténégro, en substance, d’un protectorat international, forme dépourvue de toute légitimité si l’on exclut la résolution 1244 des Nations Unies, tant il est vrai qu’avec un passeport Unmik on ne va nulle part. Les serbes (pas seulement les ultranationalistes, si l’on considère le vote très largement majoritaire du parlement de Belgrade sur le document de base des tractations en cours) considèrent ce territoire comme partie intégrante de leur souveraineté d’état mais aussi de l’identité et de la culture nationale serbe.

Positions inconciliables

Les albanais du Kosovo, écrasante majorité de la population aujourd’hui, en revendiquent l’indépendance, forts d’une guerre « gagnée » et de l’expulsion de la minorité serbe. Les albanais du Kosovo en appellent au droit à l’autodétermination, les serbes mettent en garde la communauté internationale sur les dangers liés à la mise en discussion de l’intégrité des frontières nationales d’un pays souverain (et sans Milosevic et Seselj, en prison à La Haye), avec des possibles effets de déstabilisation pour la Macédoine, le Monténégro et la très fragile Bosnie Herzégovine, elle même.

La communauté internationale s’est rendue compte qu’elle s’est fourrée dans un guêpier dont elle ne sait pas comment sortir, étant donné que les positions sur le terrain sont inconciliables et que l’adoption unilatérale de l’une d’elles rouvrirait une dispute avec de graves dangers d’instabilité pour toute la région.

Il faudrait un déclic de fantaisie et de clairvoyance politique qu’il n’y a pas eu justement jusqu’aujourd’hui.

Avec le colloque sur l’échec des protectorats internationaux (« Vivre sans avenir », Venise, décembre 2004) nous avons posé il y a un an déjà, en tant qu’Observatoire sur les Balkans, la nécessité de sortir de l’impasse « autonomie indépendance », en mettant la perspective européenne au centre d’une solution possible en mesure de déterminer une voie d’issue honorable pour les deux parties. En posant en premier lieu certains points, à la fois méthodologiques et d’essence politique :

Cinq points de « méthode » et de fond

1. dans la solution négociée il est nécessaire, si l’on ne veut pas que le conflit réexplose, après avoir couvé sous la cendre pendant des années, qu’aucune des parties n’en sorte anéantie : ceci signifie introduire un facteur extérieur en mesure de répondre autant aux instances d’autogouvernement des kosovars, que de protection des racines culturelles et identitaires qui s’originent dans cette région ; 2. le dépassement de la controverse qui occupe le Kosovo ne regarde pas seulement le destin de cette petite région mais l’ensemble de la zone des Balkans et l’Europe en tant que telle, sa capacité à un moment de fournir un cadre juridique institutionnel dans lequel trouver une solution, et d’avoir cette autorité nécessaire si elle veut rouvrir une dialectique internationale en dehors du schéma de « choc des civilisations » imposé par le binôme guerre/terrorisme ; 3.dans l’histoire de l’Europe des nations, l’épuration ethnique n’a pas été une exception, mais une norme ; avec l’épuration ethnique, l’Europe s’est révoltée contre elle-même, contre ses multiples racines culturelles : ici réside le pari d’une nouvelle Europe capable d’inclure et de valoriser la pluralité culturelle qui en a fait l’histoire ;4. à l’époque de l’interdépendance le concept de souveraineté nationale doit être repensé en profondeur : la rupture des assises géopolitiques du 20ème siècle, les effets de l’économie monde, la mobilité des personnes et les flux migratoires, imposent le dépassement de l’état nation comme paradigme dominant et, avec lui, la réduction de la puissance des frontières d’état, l’ouverture des frontières, la démilitarisation des territoires et de nouvelles formes d’associations régionales dans le cadre desquelles les nations représentent toujours plus une référence historique et culturelle ; 5. les chartes mêmes du droit international devraient être revisitées si nous ne voulons pas qu’elles ne deviennent des simulacres vides : ainsi le principe d’autodétermination , dont l’extension à toutes les identités nationales présentes sur la planète aurait des effets catastrophiques. En ceci, la révolte des populations indigènes du Chiapas a montré son grand message de modernité, dans sa revendication d’autogouvernement plutôt que d’autodétermination. Le facteur « externe » dans la crise de la controverse sur le Kosovo s’appelle « Europe des régions ». La perspective européenne est en fait la seule qui puisse être en mesure d’indiquer une voie d’issue raisonnable, crédible, souhaitable et praticable pour le status du Kosovo et pour les aspirations des populations locales. L’Europe est le point de rencontre possible des différents récits que nous rencontrons dans la région et c’est là qu’apparaît plus qu’ailleurs la faille qui divise une perspective « euro atlantique » de celle « euro méditerranéenne ». Un déclic de fantaisie, voila ce qui est nécessaire, renversant la contrainte en opportunité. Un déclic de fantaisie : le Kosovo comme « première région européenne ».

Les responsabilités criminelles de l’Europe

Il s’agirait d’un statut inédit, mais non pour autant inexpérimentable, qui prévoie un statut d’autonomie avec un fort ancrage international garanti tant par l’Europe que par les Nations Unies à travers une Commission internationale de vérification de son application, précédée par un phase constituante à laquelle participent de plein droit toutes les populations résidentes au Kosovo avant 1999 ; la législation européenne comme cadre de référence pour une législation régionale autonome ; la démilitarisation totale de la zone à travers un passage intermédiaire (cinq ans) géré par l’Eufor (n’oublions pas qu’il y a au Kosovo la plus grande base militaire des Etats-Unis en Europe) ; l’adhésion à l’Euro et aux règles qui y président ; la liberté de circulation et l’adoption d’un passeport de l’Union Européenne ; une autonomie locale forte pour les provinces et les municipalités. Un devoir engageant pour l’Europe, certes, mais comme forme, aussi, d’indemnisation pour ce que le vieux continent n’a pas su ou pas voulu faire dans les années 90, pour la grave responsabilité d’avoir assisté au démantèlement de la vieille Yougoslavie sans une politique unitaire mais surtout en soufflant sur le feu des nationalismes afin de garantir aux différents acteurs-états européens leurs zones d’influence spécifiques. Mais aussi un investissement pour son propre avenir, pour une Europe capable d’intégrer et de tenir ce rôle de civilisation sociale et juridique que beaucoup lui réclament.

* Observatoire des Balkans

http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...

Messages