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L’ASN Consultant en transparence ! Un avis pertinent A lire et relire.
Publie le jeudi 5 juin 2008 par Open-Publishing1 commentaire
Madame, Monsieur, Je partage la demande de transparence, ailleurs que dans le seul titre d’une loi, exprimée ici par les commentaires des internautes. Mais vous nous consultez sur un projet de document de doctrine. C’est une grande première que nous saluons. Je m’en tiendrai donc à ce document, suffisant je pense pour expliciter les inquiétudes qui exhalent des commentaires précédents.
D’abord, le contexte du document qui laisse entendre qu’il constitue une élaboration prudentielle de doctrine pour des démantèlements, tous à venir dans un futur plus ou moins proche ; ce que nombre de commentaires indiquent qu’il est bien compris ainsi. Alors que le décret du 9 février 2006, qui autorisait le démantèlement complet de l’ancien réacteur EL4 de la centrale nucléaire des Monts d’Arrée (Brennilis), a été annulé par le Conseil d’État, requis par l’association "Réseau sortir du nucléaire", le 6 juin 2007 au motif que la demande d’autorisation et informations n’avaient pas été « mises à disposition du public dans un délai raisonnable afin de donner au public concerné la possibilité d’exprimer son avis avant que l’autorisation ne soit délivrée » ; et alors que les travaux avaient commencé. Ne pas intégrer ce retour d’expérience dans l’élaboration d’une doctrine augure mal de ce dont il sera tenu compte par la suite. 2.1 « ...d’évacuation et d’élimination des déchets (radioactifs ou non). » Cette formulation est trompeuse car elle laisse entendre que tous déchets peuvent être éliminés, qu’il soient radioactifs ou non.
Or la seule manière d’éliminer un déchet radioactif est... de le rendre non radioactif. Ce qui se fait naturellement sur des durées pouvant aller jusqu’à plusieurs millions d’années. Il est impossible de le faire artificiellement sans dépenser plus d’énergie que dégagée par la production du déchet. Si l’on savait le faire, le rendement du nucléaire devenu "propre" serait inéluctablement négatif. Mais on ne sait pas le faire ! 2.2 Les deux stratégie de démantèlement autre qu’immédiat ne sont pas compréhensibles. On ne saisit pas bien la différence entre les deux. Vous appelez l’une "démantèlement différé" et l’autre "confinement sûr". Alors que la WS-R-5 de l’AIEA à laquelle vous vous référez regroupe ces deux appellations sous une seule et même définition : « Deferred dismantling (sometimes called, safe storage, safe store or safe enclosure) ».
Dans ce cas les matières radioactives sont soit traitées [processed] ou conditionnées sur place pour y être stockées le temps que la radioactivité baisse pour permette leur démantèlement sûr (mise sous cocon). Cela correspond bien à ce que vous appelez "démantèlement différé" qui est également un confinement sûr [safe enclosure]. Alors, ce que vous appelez "confinement sûr" est ce que l’AIEA appelle "enterrement" [entombment]. C’est évidement moins présentable mais plus réaliste et risque d’emporter la faveur d’une foule de nucléophobes éclairés. La différence avec le scénario précédent, c’est qu’on attend ainsi le temps nécessaire pour que la radioactivité tombe à un niveau permettant le déclassement du site qui ne résulte pas d’une action d’assainissement. Cela nécessite mieux qu’une « structure de confinement renforcée ("cocon") » qui ne dit pas grand chose, traduction que vous donnez de « encased in a structurally long lived material » qui évoquerait plutôt le scellement dans un matériau de structure de bonne tenue dans le temps.
Mais s’agissant de produits d’activation comme le Co 60 et le Fe 55 dont la radioactivité sera de 1024 fois moindre au bout de 50 ans, un bon béton devrait convenir. Évidemment, la multiplication de ces mausolées sécurisés est moins bonne, au plan marketing, qu’une promesse de "retour à l’herbe" pour faire accepter la construction d’une nouvelle série de réacteurs ! Mais c’est la moins mauvaise solution pour limiter les dégâts en abandonnant cette erreur du passé. Car faire croire qu’on peut les faire disparaître sans grand dommage au vivant est une tromperie et c’est opposé à la mission confiée à l’autorité de sûreté par la loi TSN.
Vous présentez l’option "démantèlement immédiat" comme facile, en la recommandant chaudement (sans jeu de mot !!), mais en oubliant de dire que l’AIEA, dont la mission est pourtant la promotion de l’industrie nucléaire, l’assortit de conditions drastiques : rapide achèvement, retrait de toute radioactivité de l’installation qui implique l’existence de filières d’élimination ou de stockage longue durée pour tous les types de déchets. Pas si simple ! 2.3 Conditions qui, contrairement à ce que vous affirmez, ne sont pas réunies en France à l’heure actuelle : le démantèlement immédiat permettrait, selon vous, « de prévenir ou de limiter les charges qui seront supportées par les générations futures ». S’il s’agit de la charge radioactive, c’est le contraire car elle est considérablement réduite en "différé", et annulée pour les générations plus lointaines en "sarcophage".
De plus, les irradiés d’un démantèlement immédiat d’aujourd’hui font les cancéreux de demain et les mutants d’après demain. Et que dire de la génération précédente qui nous a légué 58 REP à démanteler, des tonnes de produits de fission (dont les stockages fuient), de plutonium et d’uranium appauvri sur l’étagère, en prime ? S’il s’agit des charges financières, ça n’a aucun sens de raisonner financièrement à 50 ans quand les marchés vont à la vitesse de la lumière. Mais le coût économique réel suit le coût social qui sera moindre si on donne aujourd’hui au temps le moyen de réparer l’avenir. 2.3.1 Quant au conditionnement et "traitement" des déchets, la loi les met actuellement à la charge de celui qui les produit : l’exploitant. Opération d’autant plus simplifiée dans la stratégies différée ou "sarcophage". Provisionner des sommes en bourse ne doit pas rentrer dans la doctrine de l’autorité chargée exclusivement "de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et de l’information du public dans ces domaines" (loi TSN art.4).
Vous évoquez "à minima" un entreposage temporaire de déchets mais celui-ci est à raison exclu par l’AIEA de la procédure de démantèlement immédiat pour laquelle les exploitants doivent disposer des filières permettant de gérer TOUS les déchets issus du démantèlement et pas seulement "la majorité" et le reste "dans le futur" ainsi que vous l’écrivez en gras. C’est une condition éliminatoire de l’option démantèlement immédiat. 2.4 « Il est avéré, dites-vous, que les incertitudes augmentent avec le temps ». C’est une aporie. Présentement, les incertitudes des projections augmentent avec la distance à laquelle on se projette dans le temps, mais c’est la connaissance qui, au contraire, avance avec le temps, et d’autant plus vite qu’une information sincère circule ! Ce qui est avéré par contre, c’est que la radioactivité diminue dans le temps, donc le problème de son élimination. Ce n’est pas un risque du démantèlement différé (ou "sarcophage" que vous avez éliminé d’entrée), mais bien un risque de la fuite en avant que traduit le démantèlement immédiat.
C’est d’autant plus EFFRAYANT que vous invoquez le risque de perte de mémoire de l’installation ? Ce qui voudrait dire que toutes les procédure "strictes" et consignations d’interventions et autres RGE qu’on vante au public, pour l’assurer de la sécurité des installations, ne seraient même pas classifiées et sûrement conservées, voire n’existeraient pas. Mais comment faites vous vos contrôles ? Et vous vous interrogez sur la disponibilité des exutoires de déchets dans 100 ans, alors qu’il ne sont pas tous disponibles aujourd’hui ?! Pensez-vous sincèrement gagner la confiance du Public avec de tels propos ?? 3.1 La procédure d’autorisation prévoit donc la consultation de la commission locale d’information (CLI). Très bien ! Mais dans une note d’information du 17 décembre 2007 sur la centrale de Brennilis, l’ASN écrit : « ...de la commission locale d’information (dont le rôle est tenu à Brennilis par l’Observatoire du démantèlement). »
Alors que le Conseil d’État, dans les attendus de son arrêt du 06/06/2007 annulant l’autorisation précédente, a estimé que « la consultation d’un observatoire du démantèlement [...] ne répond pas d’avantage aux objectifs de la directive tenant à la possibilité pour le public concerné d’être informé et d’exprimer son avis préalablement à la délivrance de l’autorisation ». Il est clair que l’Observatoire, dont l’ASN reconnaissait sur son site qu’il n’avait pas d’existence légale (mais cette page a été retirée depuis) ne peut tenir le rôle d’une CLI, telle que définie à l’article 22 de la loi TSN, qui doit être créée au plus vite à Brennilis, et en tout cas « le plus en amont possible de l’enquête publique » ainsi que vous l’écrivez au 6.1. du projet. 6.1 Le dossier d’enquête publique doit « clairement exposer la stratégie de démantèlement retenue, et la justification de ce choix ».
Nous avons mesuré lors de l’étude d’impact précédente combien cette prescription était un voeu pieu. La justification du choix doit comporter un comparatif chiffré des différents scénarii possibles pour justifier, notamment, que la démarche retenue est ALARA ainsi qu’imposé par l’ annexe IV 1.2 de la directive 85/337/CEE. Dès lors, comment l’exploitant peut-il justifier que la solution retenue est celle qui a le plus faible impact si elle lui est imposée en amont du dossier par l’ASN dont ce n’est pas le rôle ? Mais dans sa note du 17 décembre sur Brennilis, l’ASN écrit « L’ASN considère que la stratégie de démantèlement immédiat est la bonne : tout retard pris dans le démantèlement de la centrale de Brennilis ne va pas dans le sens d’une amélioration de la sûreté et de la radioprotection ». Nous pensons avoir montré combien cette affirmation est fausse. Mais je la trouve grave car elle constitue également une accusation implicite envers le Conseil d’État d’aller contre l’amélioration de la sûreté et de la radioprotection en ayant arrêté le processus de démantèlement immédiat de Brennilis. Mais ce retard est dû uniquement au secret dans lequel s’est déroulé cette procédure. Si cette solution est vraiment la meilleure pourquoi ne pas en avoir informé largement pour ne pas subir ce retard ? Et ce n’est pas l’arrêt du Conseil d’État du 6 juin 2007 qui a arrêté, courant 2005, l’assainissement de la station de traitement des effluents (actuellement toujours dans l’impasse) ; mais bien l’exploitant qui n’arrive pas à venir à bout de contaminations radioactives inextricables qui n’ont rien à voir avec celles reportées dans les dossiers.
À Brennilis, tant que la CLI ne sera pas créée pour pouvoir diligenter les contre-expertises indispensables, et que les associations n’auront pas eu communication des mesures qu’on leur dissimule illégalement depuis des années, elles continueront de penser que la fuite en avant dans le démantèlement complet ne sert qu’à cacher l’échec écologique et sanitaire du démantèlement partiel. Et la confiance, que nous désirons tous j’espère, ne pourra s’instaurer.
Salutations transparentes
Messages
1. L’ASN Consultant en transparence ! Un avis pertinent A lire et relire., 6 juin 2008, 20:41
Or la seule manière d’éliminer un déchet radioactif est... de le rendre non radioactif.
Ah bon ? Mais alors, par simple symétrie de raisonnement, la seule manière d’éliminer un déchet non-radioactif, ce serait de le rendre radioactif...
Soyons sérieux : si pour éliminer un déchet toxique il fallait le rendre non toxique, on ne pourrait jamais éliminer une canette de bière. Parce que l’aluminium, j’ai le regret de vous l’apprendre, est un métal toxique. Et il restera toxique quelque soit le traitement que vous pourriez lui faire subir. Et la même chose est valable pour beaucoup de métaux : le chrome, l’arsenic, le mercure sont toxiques pratiquement dans tous leurs composés. Comment je fais pour éliminer mon vieu thermomètre ?
Pour l’élimination des déchets radioactifs, la même règle s’applique : leur "élimination" ne nécessite pas de les rendre non radioactifs. Seulement de les conditionner de manière à les rendre inoffensifs. Ce n’est pas tout à fait la même chose.
Signé : Le rat de Tricastin