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L’Irak, matière explosive

Publie le lundi 9 août 2004 par Open-Publishing

de Patrick Apel-Muller

(Le seul chemin pour la paix sera bien celui que les Irakiens choisiront eux-mêmes. Sans la contrainte des pétroliers texans ni des fanatiques religieux.)

L’hôpital de Nadjaf est débordé. Les blessés y affluent, on y conduit les morts. La ville à nouveau tremble sous les bombes et les obus. L’armée du gouvernement irakien tente de mettre au pas les milices, et particulièrement celle de Moqtada Sadr, qui contrôle la ville sainte des chiites. Encore trop peu aguerries, les troupes du premier ministre Iyad Allaoui sont appuyées par les chars, l’artillerie et l’aviation américains. De quoi conforter la résolution d’une guérilla qui prétend défendre les lieux sacrés de la ville et qui trouve des échos dans les autres zones à dominante chiite. On est loin du soulagement qui, à Saddam City, la ville chiite au céur de Bagdad, avait accueilli la chute du dictateur.

L’intervention américaine - fondée sur un mensonge, animée par la voracité des multinationales et à jamais marquée par les tortures de la prison d’Abou Gharib - continue à laisser derrière elle une trace sanglante, incapable d’engendrer quoi que ce soit d’autre que la violence. À Kirkouk même, la grande ville pétrolière kurde, les communautés voisinent désormais dans la haine. Une étincelle suffirait.

Il est à craindre que le nouveau gouvernement irakien souffre à ce point de l’hypothèque américaine qu’il ne parvienne pas à asseoir sa légitimité. Ainsi, hier, sa décision de réintroduire la peine capitale pour les meurtriers et les individus menaçant la sécurité du pays signe-t-elle un grave échec moral et invalide-t-elle largement la promesse d’une amnistie.

La censure infligée à la chaîne Al Jazirah n’est pas non plus pour rassurer. Il n’est pas certain que les déclarations agressives à l’égard de l’Iran atténuent les tensions entre voisins, mais aussi à l’intérieur même de l’Irak, alors que Téhéran appuie la modération du grand ayatollah Ali al-Sistani plutôt que le radicalisme de Moqtada Sadr. La prise en otage du consul iranien à Karbala par un groupe islamiste ne détendra pas l’atmosphère.

Les oscillations de l’exécutif intérimaire entre la guerre aux milices et les négociations ne contribuent pas à sa crédibilité. Elles soulignent au contraire l’impuissance de ceux qui ne parviennent pas à réunir la Conférence nationale promise et envisagent de repousser les élections.

L’intervention américaine a fait de l’Irak une matière instable, explosive. C’est d’ailleurs ce qu’a expliqué hier un expert de la CIA qui vient de publier un ouvrage intitulé Arrogance impériale : pourquoi l’Occident est en train de perdre la guerre contre le terrorisme. L’invasion et l’occupation de l’Irak, a-t-il déclaré à l’AFP, " ont constitué un cadeau formidable pour Ben Laden. Cette guerre a conforté ce que le chef d’al Qaeda répète depuis des années : l’Occident cherche à occuper les lieux sacrés de l’islam, veut se débarrasser des pays qui constituent une menace pour Israël, veut s’approprier le pétrole arabe ".

Aux antipodes, quarante anciens diplomates, militaires de très haut rang et responsables australiens de la défense ont accusé, hier, dans une lettre ouverte, leur gouvernement d’avoir trompé les Australiens sur les justifications de cette guerre. Nul, même au sein de l’équipe de campagne du président George Bush, ne se hasarderait à reprendre les rengaines d’alors sur les armes de destruction massive.

Reste ce pays en feu où croissent les fanatismes. Les occupants n’y lâchent guère de lest. Et les efforts des démocrates irakiens pour reconstruire une espérance semblent tous les jours contrariés. L’invitation lancée à Moqtada Sadr pour qu’il se présente aux élections avec les siens paraît formelle. Pourtant, le seul chemin pour la paix sera bien celui que les Irakiens choisiront eux-mêmes. Sans la contrainte des pétroliers texans ni des fanatiques religieux.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-08-09/2004-08-09-398523