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L’Irak réel et celui (imaginaire) de Bush

Publie le lundi 27 septembre 2004 par Open-Publishing


La guerre se précipite et les spot du président Usa ne suffisent plus

de Giancarlo Lannutti

Maintenant même le « faucon des faucons » Donald Rumsfeld s’en est aperçu, ou
plutôt il s’est vu contraint à admettre s’en être aperçu : en Irak, les choses
ne vont pas bien du tout, l’échéance électorale de Janvier est sérieusement à risque
et pour la première fois le secrétaire d’état à la défense en arrive à admettre
que les troupes Usa pourraient se retirer, ou en tout cas amorcer le retrait, « avant
que l’Irak ne soit complètement pacifié ».

Quand Rumsfeld a prononcé ces mots, le spot électoral du dit premier ministre
Allawi était passé depuis environ 48 heures ; un spot qui n’a convaincu personne,
probablement même pas les électeurs républicains des Etats-Unis, tant l’écart
est évident entre les déclarations du « Quisling » de Bagdad et la tragique réalité des
nouvelles qui arrivent tous les jours d’Irak et des images que tout le monde
peut voir sur les écrans

Et évidemment on ne fait pas référence seulement à la tragédie des otages, une réalité qui est, elle aussi, la conséquence directe de l’occupation et du désastre qu’elle a créé. En fait, avant la guerre de Bush il n’y avait pas de terrorisme ni en Irak ni en provenance de l’Irak, les liens présumés de Saddam avec Al Qaeda ont été publiquement démentis par la Cia et même par la commission d’enquête américaine (comme l’autre grand mensonge des armes de destruction de masse) ; et aussi à propos des coulisses de certaines opérations obscures, comme celle dont les victimes sont nos deux Simona, nous sommes bien loin de connaître, ou même seulement d’imaginer, les responsabilités réelles, de savoir jusqu’à quel point les actions des terroristes se sont intriquées aux trames de quelque service secret, appartenant à la coalition, à des pays « alliés » ou même au gouvernement fantoche d’Allawi ; et ce n’est un mystère pour personne que sur ce terrain aussi les opérations militaires et les bombardements « ciblés » des forces Usa ont contribué à rendre les choses plus compliquées.

Il ne s’agit pas d’une construction gratuite : Bush et Allawi ont tout l’intérêt à faire croire qu’en Irak tout irait pour le mieux s’il n’y avait pas « quelques terroristes » décidés à troubler la fête à tout prix, des hommes que le chef de la Maison Blanche a définis hier comme « parmi les plus impitoyables et brutaux de la terre » en les rendant, eux et seulement eux, responsables du fait que - comme il l’a reconnu dans ce même discours - « dans nombre de villes irakiennes de graves difficultés demeurent ». Certes, le terrorisme est un grave problème, mais l’emphase médiatique dont il fait l’objet,de même que la tragédie des otages, vise à cacher l’autre face de la réalité, celle de la résistance, armée ou non, du refus de l’occupation de la part de la grande majorité de la population irakienne ; une résistance et un refus que même les bombardements terroristes tels que ceux sur Fallujah n’arrivent pas à faire plier. Même le commandement américain a admis que des régions entières sont « hors contrôle » et la ville de Bagdad elle-même est quotidiennement le théâtre d’actions de guérilla et d’affrontements qui vont jusqu’à impliquer la « zone verte », où ont leur siège le quartier général de la coalition et le gouvernement Allawi. A tel point que, précisément hier, le contingent de la Nouvelle Zélande, petit en nombre mais politiquement significatif, a lui aussi quitté l’Irak, après ceux de l’Espagne, des Philippines et d’autres pays mineurs.

La presque admission de Rumsfeld apparaît donc beaucoup plus réaliste et crédible que le misérable servilisme d’Allawi ou les vanteries fantaisistes de Bush. La chose est confirmée par le fait que, avec son échéance électorale désormais imminente, la Maison Blanche est plus que jamais à la recherche désespérée de secours auprès des alliés et des « amis », qui au contraire semblent - et ce n’est pas un hasard - de plus en plus réticents à se faire entraîner sous quelque forme que ce soit. La dernière trouvaille est de convoquer pour octobre - c’est-à-dire à la veille du vote aux Usa - une conférence régionale sur l’Irak avec la participation du G8, des leaders irakiens collaborationnistes et de certains pays du Moyen Orient, y compris l’Iran, si maltraité ; une idée, celle de la conférence, proposée à l’origine par le « front du non » à la guerre (Russie, France et Allemagne), à la quelle Bush s’était fortement opposé à l’époque, mais qui devrait devenir maintenant une sorte de bouée de sauvetage préélectorale. Reste à voir qui sera disposé à mordre à l’hameçon et à quelles conditions ; mais pendant ce temps augmente en Amérique le nombre de ceux qui sont désormais convaincus que la guerre en Irak a été au bas mot une erreur, pour ne pas dire carrément « illégale » comme l’a dit hier Kofi Annan.

Giancarlo Lannutti

Liberazione, 26 septembre 2004

Traduit de l’italien par Karl et Rosa - Bellaciao