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L’altermondialisme, Marx, Dieu et les oppressions

Publie le lundi 5 juin 2006 par Open-Publishing
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L’altermondialisme, Marx, Dieu et les oppressions
(persécutions religieuses, sexisme, mentalité anti-laïque) .

De premier abord, on pourrait dire que l’altermondialisme, du moins sa branche athée militante - celle qui ne se borne pas à la simple critique de l’existence de Dieu - dispose d’une double critique de la religion : d’abord, une critique de la religion, en tant que facteur d’aliénation , ensuite, une critique des doctrines sociales et politiques des religions .
Son aile marxiste fait montre indéniablement, malgré la reprise plus ou moins accentuée de ces critiques, d’une attitude plus compréhensive du rôle que peut jouer la croyance religieuse pour les damné/es de la terre . Cela change évidemment le profil critique. Cette phrase de Marx est alors souvent citée : « La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple. » Mais jusqu’ou va cette compréhension ?

Que faire de la religion ?

Pour les marxistes, comme le dit Gilbert Achcar (1) , il ne s’agit pas d’abolir la religion, mais de créer les conditions de son extinction. Il n’est pas question de prohiber « l’opium du peuple », et encore moins d’en réprimer les consommateurs. Il précise que le marxisme classique, celui des fondateurs, n’a pas requis l’inscription de l’athéisme au programme des mouvements sociaux.

Effectivement, c’est bien sur le versant de la laïcité que les marxistes se placent non sur la croyance . Pour de nombreux altermondialistes, c’est donc en laique et en antisexiste que la critique du voile islamique a été menèe mais pas au nom de l’athéisme contre la religion. C’est lorsque une religion, n’importe laquelle, déploie des idèes conservatrices et réactionnaires - sans même invoquer l’intégrisme - que le combat idéologique est inévitable . Surtout quand ses idèes passent dans la pratique sociale.

Le marxisme du XXième siècle comme celui du XXIème siècle a du intégrer la domination impérialiste et coloniale à son référentiel idéologique. Ce qui va alors faire débat c’est le point de savoir jusqu’ou faut-il aller dans la critique des aliénations et oppressions lorsque sévit "la persécution des religions de peuples opprimés par des États oppresseurs appartenant à une autre religion" ?

Les limites - variables - apportées à la critique du fait de la prééminence de la solidarité de classe.

Pour un courant largement "inconditionnaliste" ou "campiste", ces critiques "doivent être rejetées parce qu’elles sont une dimension de l’oppression ethnique ou raciale" . Gilbert ACHCAR justifie ainsi sa thèse : "Certes, les pratiques religieuses des populations colonisées peuvent apparaître comme éminemment rétrogrades aux yeux des populations métropolitaines, dont la supériorité matérielle et scientifique était inscrite dans le fait même de la colonisation. Mais ce n’est pas en imposant le mode de vie de ces dernières aux populations colonisées, contre leur gré, que sera servie la cause de leur émancipation.

D’une part, bien souvent il ne s’agit pas d’imposer mais simplement de mener la bataille idéologique interne au camp des dominés-opprimés-exploités. Dans ce camp que les altermondialistes et les marxistes soutiennent, tout en effet n’est pas à défendre. Les pratiques comme les préceptes sexistes d’une part et la profusion des sympboles religieux d’autres part ne sont pas neutre. Ce sont des vecteurs d’oppression tant pour les dominées du Sud (pour faire bref) que pour le peuple du pays en position dominante.

D’autre part, lorsque la victime se fait "agresseur" - par le/les symboles par trop ostensibles de ses vêtements - le peuple et ses représentants peuvent prendre des mesures d’ordre public pour se prémunir à condition de rester dans un cadre libéral - qui n’est pas la liberté totale - et de respecter ainsi un équilibre des tolérances et libertés . C’est le cas de la loi française qui au printemps 2004 a autorisé à l’école publique les signes discrets religieux (qui sont donc tolérés car obéïssant à une mentalité laique respectueuse des autres) mais qui interdit les signes ostensibles jugés peu porteur de "culture de paix", plus empreint de mentalité conquérante dans la mesure ou outre l’ostensibilité du "signe’ est affiché constamment du matin au soir .
Les proches ne peuvent y échapper à l’école ou en entreprise : C’est comme si on avait des crucifix non pas posés au mur mais sous le nez ! Un certain marxisme a du mal à comprendre que la victime d’un ordre du monde dominateur - celui de Bush ou celui de Sarkosy - peut vouloir à son tour soit imposer une signification religieuse objective (qui insupporte un peuple qui a lutté pour la laïcisation de l’Etat et de la société civile), soit imposer objectivement et bien souvent idéologiquement une vision de la femme respectable reproduisant le clivage de la "mère" désexualisée et neutre et de la "putain" symbole de la femme irrespectable qui simplement se permet de montrer des symboles d’une sexualisation de la personne humaine.

Dans le domaine public ou chacun peut vaquer comme il l’entend, il est exact d’affirmer ainsi que l’écrit Gilbert Achcar que, "la lutte émancipatrice serait gravement compromise si elle cherchait à « libérer » de force les femmes, en usant de la contrainte non à l’égard de leurs oppresseurs, mais à leur propre égard. Arracher par la force le revêtement religieux, porté volontairement -même si l’on juge que son port relève de la servitude volontaire - est un acte oppressif et non un acte d’émancipation réelle". Accord encore avec l’idée que " l’islam est, en France, une religion défavorisée par rapport aux religions présentes depuis des siècles sur le sol français. C’est une religion victime de discriminations criantes, tant en ce qui concerne ses lieux de culte que la tutelle pesante, empreinte de mentalité coloniale, que lui impose l’État français.
L’islam est une religion décriée au quotidien dans les médias français, d’une manière qu’il n’est heureusement plus possible de pratiquer contre la précédente cible prioritaire du racisme, le judaïsme, après le génocide nazi et la complicité vichyste. Un confusionnisme mâtiné d’ignorance et de racisme entretient, par médias interposés, l’image d’une religion islamique intrinsèquement inapte à la modernité, ainsi que l’amalgame entre islam et terrorisme que facilite l’utilisation inappropriée du terme « islamisme » comme synonyme d’intégrisme islamique".

Christian DELARUE

(1) dans "Marxistes et religion, hier et aujourd’hui" article publié sur le site La Gauche ainsi que dans la revue Contretemps

Messages

  • Pour une analyse du fait religieux en rapport avec nos axes d’interventions antiracistes

    par Christian Delarue Secrétaire national du MRAP

    Texte de base proposé au débat pour lla constitution du groupe "Intégrisme" du MRAP (qui n’a jamais vu le jour)


    I - Les raisons d’un examen.

    Depuis que le MRAP a mis dans ses références des liens trés explicites avec le religieux notamment avec la notion d’islamophobie - notion contestée par d’autres associations se voulant antiracistes - il importe d’analyser le "fait religieux", de le faire lucidement pour le rapporter à nos préoccupations antiracistes . Certes il faut parfois en passer par la pose d’un cadre global de méthode . A titre indicatif on pourrait l’examiner sous toutes ses faces : noire (extrémisme) grise (intégrisme, ordre moral, conservatisme), claire (doctrine sociale, laique et féministe) et franchement lumineuse (théologie de la libération). Mais ces analyses doivent pouvoir servir à donner un contenu plus clair aux notions antiracistes employées par nous-memes à l’avenir et par les générations antiracistes de l’avenir.

    Ces analyses peuvent aussi avoir des enjeux de solidarité entre les peuples . Une pensée "campiste" défendant globalement le "sud" de façon acritique, par simple contrepied de la thèse du "Choc des civilisations" ou par anticolonialisme et anti-impérialisme sommaire pourrait se trouver en difficulté. Mais ne donnons pas la conclusion avant l’analyse ! Le travail reste à faire . Voici quelques thèses ou plutot hypothèses.

    II - De quelques thèses provisoires :

    Le religieux concerne ici les principales religions monothéistes. Ne seront donc pas évoqués les religions polythéistes ou les sectes (mais c’est plus par facilité ou méconnaissance du sujet que par principe) et encore moins des extensions de signification : le football comme "religion" par exemple.

    1 - Le fond commun du fait religieux est qu’il est multiple, variable.
    En principe, au MRAP, nous partageons tous ce point de vue.

    2 - Cette variation est contestée par les penseurs radicalement islamophobes,

    * Un penseur radicalement islamophobe (raciste) se distingue d’un simple "religiophobe" (non raciste) . Le "religiophobe" (formule de Vincent GEISSER) excècre les "excés des religions" mais ne tombe pas dans le racisme . Il s’agit bien des seuls excès et de toutes les religions pas seulement d’une seule . Ces excés peuvent etre variables d’une religion à l’autre. Dans les "excès" nous évoquons ce qui s’attache peu ou prou aux positions "d’ordre moral" mais pas aux exactions de groupes terroristes à fondement théologico-religieux, qui relèvent d’une autre nature. Dans ces "simples" excès nous pensons à l’interdiction des rapports sexuels avant le mariage pour le catholicisme ou au port des différents voiles pour les musulmanes.

    * Un penseur radicalement islamophobe pense que l’islam est par nature différent des autres religions :
     d’une part il ne saurait qu’etre unique : les différents courants le traversant s’accordant sur l’essentiel et se distinguant sur de l’accessoire . La prééminence du Coran sur tout le reste l’ensemble de la vie sociale et privée mais aussi les institutions publiques est posée par tous.
     d’autre part son apparition et son histoire le rendrait immuable et inadaptable à "la modernité" (sont ici pointés les refus de la "démocratie libérale", l’accès à la "civilisation libérale" comme la laicité, les droits des femmes)
    Voici un exemple de raisonnement islamophobique sans nuance aucune trouvé sur internet : "L’islam de France : encore un oxymoron" par Alain Dumait :
    http://www.les4verites.com/les4verites/articles/383_25012003g.htm

    3 - Aucune des principales religions n’a échappé dans son histoire comme dans son présent à la production de doctrines et de pratiques socialement et politiquement conservatrices et meme réactionnaires.
    Peu importe ici les frontières entre fondamentalisme et intégrisme.
    Peu importe aussi les diférences entre intégrisme de tel religion et intégrisme d’une autre.

    4 - Chacune des religions a laissé apparaitre à un moment de son histoire des courants progressistes et meme des courants se réclamant de la théologie de la libération.
    La doctrine sociale de l’Eglise catholique ne relève pas de la théologie de la libération. Ce n’est que l’accompagnement social du libéralisme.
    Les théologiens de la libération peuvent conserver des éléments forts criticables notamment en matière d’IVG et de droits des femmes.
    Ceux-ci sont aujourd’hui moins puissants qu’auparvant.
    Se référer à la théologie de la libération comme modèle de référence pour la recherche de courants religieux d’émancipation prete à critique. En l’état de mes connaissances sur le sujet cette référence me parait etre une hypothèse valable mais qu’une hypothèse.